70 ans du Conseil de l’Europe : d’hier à aujourd’hui

Je reproduis ici la version française du discours que j’ai prononcé le 16 mai 2019 à Helsinki, en tant que présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à l’occasion de la commémoration du 70ème anniversaire du Conseil de l’Europe.

Afin de marquer la commémoration du 70ème anniversaire du Conseil de l’Europe, je voudrais me concentrer sur deux mots : HIER et AUJOURD’HUI.

HIER

Il y a 70 ans, nous étions un continent dévasté par le plus terrible conflit de l’histoire de l’humanité, une société profondément blessée par des pertes colossales en vies humaines et une profonde méfiance.

Nous dérivions loin de nos références morales. Parmi celles et ceux qui ont été témoins de l’inimaginable – l’Holocauste -, beaucoup avaient perdu toute confiance dans les valeurs fondamentales de l’humanité. Certain·e·s ont même soutenu que la Seconde Guerre Mondiale était la fin de la civilisation.

C’est contre cette image de destruction, de souffrance et de désarroi moral que nous avons vu s’élever notre phénix : le Traité de Londres et la création du Conseil de l’Europe.

« Que l’Europe advienne ! », a dit Winston Churchill dans son célèbre discours à Zurich, en 1948. « Nous ne pouvons pas nous permettre de traîner, au cours des années à venir, les haines et les vengeances nées des blessures du passé… Que règnent la justice, la miséricorde et la liberté ! ».

Imaginez ce que ces mots signifiaient à l’époque !

Pour moi, en tant que politicienne, la portée symbolique de la création du Conseil de l’Europe résidait dans sa mission politique : rétablir la confiance entre les peuples, relancer le dialogue et la coopération entre les nations et créer une base solide pour une paix et une unité durables entre les pays.

Pour moi, en tant qu’être humain et en tant que femme, le sens de la création du Conseil de l’Europe était de fournir aux Européennes et aux Européens une référence morale et de protéger et promouvoir les droits de chacune et chacun, sans discrimination, sur notre continent.

Comme Winston Churchill et ces femmes et hommes qui ont soutenu le projet européen seraient fières et fiers si elles et ils pouvaient voir comment cette organisation est devenue la « maison européenne commune » de 830 millions de citoyennes et citoyens et un véritable forum multilatéral pour la coopération entre 47 États membres.

Auraient-elles et ils pu imaginer un accord sur plus de 200 conventions – dont beaucoup sont particulièrement novatrices – ou la mise en place de mécanismes juridiques uniques pour protéger les droits sociaux ainsi que les personnes les plus vulnérables, comme les détenus, les victimes de violences domestiques et les enfants maltraités ?

Les principaux rédacteurs de la Convention européenne des droits de l’homme, Pierre-Henri Teitgen et David Maxwell-Fyfe, auraient-ils pu imaginer que la Cour européenne des droits de l’homme et son ancienne Commission auraient traité plus de 840’000 requêtes depuis 1949 ?

À l’époque dite des « heures sombres » de l’Europe, en 1940 et 1941, qui aurait pu imaginer la création d’un mécanisme institutionnel multilatéral de coopération, avec le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire, pour défendre les droits humains, la démocratie et l’État de droit ?

Beaucoup d’entre vous se rappellent exactement où elles et ils étaient en 1989 lorsque le mur de Berlin est tombé. Vous connaissez le rôle joué par le Conseil de l’Europe à la suite de l’extension de l’espace juridique paneuropéen commun à 830 millions de personnes. 415 millions de femmes en Europe ont ainsi pu se rapprocher de l’égalité avec 415 millions d’hommes. Mais si vous regardez les sept premières photos sur le site web du 70ème anniversaire du Conseil de l’Europe, vous verrez 57 hommes et aucune femme. Dans cette salle aujourd’hui, vous pouvez faire votre propre décompte pour constater les progrès réalisés et ce qu’il reste à accomplir.

AUJOURD’HUI

Aujourd’hui, la mission politique est aussi pertinente qu’elle l’était il y a 70 ans.

Aujourd’hui, l’idéal de l’unité européenne est hélas mis à rude épreuve avec le recul des libertés et des droits fondamentaux, la montée inquiétante de tendances nationalistes, populistes et autoritaires, ainsi que l’apparition de nouvelles lignes de division et de conflits sur notre continent.

Aujourd’hui, face à ces défis, nous pouvons et devons rappeler les principes de base qui constituent les fondements de ce qui est devenu notre « maison européenne commune ».

Je suis profondément convaincue que ce qui nous unit – notre histoire commune et notre ferme volonté de faire de l’Europe un lieu de vie pacifique et prospère – est plus fort que les désaccords, les divisions et les conflits auxquels nous sommes confronté·e·s.

Mais ce n’est pas seulement une question d’hier et d’aujourd’hui, c’est aussi une question d’avenir.

Comme le disait Winston Churchill à Zurich il y a 71 ans, « les peuples n’ont qu’à le vouloir et tous réaliseront le désir de leur cœur… ».

Si nous voulons réaliser les nôtres, nous devons assumer nos responsabilités et défendre nos droits, nos libertés et notre Europe. L’Europe aura alors un brillant avenir, pour les 70 prochaines années et pour les nombreuses générations à venir.

Un peu de Suisse à Strasbourg… et réciproquement

Le 25 juin, j’ai eu l’immense honneur d’être élue à la présidence de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Un honneur mais aussi un défi, dans un contexte particulièrement délicat de séisme institutionnel.

Je pense bien sûr aux allégations de corruption qui ont touché, insidieusement, un organe pourtant chargé de promouvoir la démocratie (lire à ce propos mon article dans Le Temps du 8 mai 2018). L’Assemblée a depuis adopté une véritable stratégie de lutte contre ce fléau. Sous ma présidence, elle poursuivra la reconquête de son honneur et sa mue vers une transparence totale.

Si ce séisme permet au final de construire des fondations plus saines pour l’Assemblée elle-même et pour d’autres institutions nationales ou internationales, alors celui-ci n’aura pas été vain. Mieux, il aura contribué à renforcer les valeurs du Conseil de l’Europe, lesquelles ne sont pas à vendre, pas plus que le Conseil de l’Europe ne s’achète par le biais de cadeaux ou d’autres promesses indues.

Ces valeurs ont plus que jamais besoin d’être promues, portées, vécues, sur le continent européen et au-delà. Car les vents contraires ne soufflent pas qu’à l’interne de cette institution. La montée des extrémismes, des violences et de la répression, dans un contexte migratoire et sécuritaire très tendu, requiert que nous réaffirmions haut et fort la primauté des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit.

Il s’agira aussi de résister aux coups de boutoir souverainistes portés par certains États membres du Conseil de l’Europe, notamment contre la Convention Européenne des Droits de l’Homme. La Suisse elle-même devra voter prochainement sur l’initiative visant à consacrer la primauté du droit constitutionnel national sur le droit international, avec le risque d’affaiblir la protection des droits fondamentaux de ses citoyen·ne·s.

Ma présidence sera celle d’une Suissesse, imprégnée de dialogue et de recherche de solutions constructives. Et, de même que j’apporterai un peu de Suisse à Strasbourg, j’amènerai un peu de Strasbourg en Suisse. J’espère y faire mieux rayonner le Conseil de l’Europe, souvent méconnu, et renforcer les liens qui unissent historiquement, culturellement, profondément notre pays à cette institution. La Suisse n’est-elle pas, après tout, le berceau des Conventions de Genève, de la Croix-Rouge et du Conseil des droits de l’homme ?

Ma présidence sera aussi celle d’une femme, pour la quatrième fois seulement à l’Assemblée. C’est avec la conviction qu’une véritable démocratie ne peut oublier la moitié de l’humanité et que les femmes doivent être dignement représentées, y compris dans les hautes fonctions, que je ferai de la promotion de l’égalité l’une de mes priorités.

Je me réjouis de ce mandat aussi exigeant que passionnant au sein d’un Parlement qui réunit des représentant·e·s de 47 pays du continent européen, autour de valeurs si proches et si cruciales. Le terme d’ « assemblée » prend ici tout son sens : c’est, plus qu’une réunion, une union, riche de ses pluralités, autour de l’Europe que nous aspirons à construire ensemble. Une Europe unie, où le respect de la dignité humaine est le pilier de la société.