Open Innovation: Qu’est-ce qu’une stratégie d’innovation ouverte?

Le monde tourne autour de l’open innovation

L’innovation ouverte (open innovation, en anglais) est un concept qui encourage l’utilisation de ressources externes (en plus des ressources internes) dans le cadre d’un processus créatif dont le but est généralement de créer un produit ou un service.

Les ressources externes peuvent être purement informationnelles (par exemple, documents, code de conception, etc.), mais dans la société actuelle, très connectée, l’exploitation de ressources collaboratives externes telles que les communautés en ligne d’utilisateurs est encore plus passionnante. Dans ce sens, l’intelligence mondiale est le carburant créatif qui propulse l’open innovation.

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Ce concept existe néanmoins depuis les années 60, notamment lorsque les entreprises ont commencé à collaborer autour des efforts de recherche et développement. Un exemple typique est la société Digital Equipment Corporation (aujourd’hui disparue) faisant don aux étudiants du M.I.T. de Boston de certains de ses ordinateurs de la série PDP. Cela a eu de nombreux avantages, parmi lesquels l’encouragement à l’adoption, le “débogage gratuit des logiciels” ainsi que l’apparition de nouveaux logiciels apportant des perspectives uniques, créés par des passionnés d’informatique (des “hackers”).

Dans le livre de Steven Levy “Hackers”, vous pouvez lire un récit de telles histoires, en particulier comment certains des premiers logiciels “open-source” ont été produits par des personnes dont le seul intérêt dans la vie était l’informatique. Par exemple, cela a produit le tout premier jeu, à savoir “Spacewar !” écrit sur le PDP-1.

Spacewar! on a PDP-1 Designed by Steven Russell (Wikipedia)

Le terme “innovation ouverte” (open innovation, en anglais) aurait été diffusé par Henry Chesbrough, professeur au Centre pour l’open innovation de la Haas School of Business (Université de Californie à Berkeley).

Il existe plusieurs définitions de l’open innovation, mais une définition récente due à Chesbrough est “un processus d’innovation distribué basé sur la gestion des flux de connaissances à travers les frontières organisationnelles, en utilisant des mécanismes pécuniaires et non pécuniaires en accord avec le modèle d’entreprise de l’organisation“.

Bien que cette définition semble compliquée, mon but avec cet article est d’illustrer les moyens et les mécanismes qui sont utilisés pour mettre en œuvre un processus d’open innovation aujourd’hui.

Qu’est-ce que l’innovation fermée et deux voies vers l’ouverture

Bien qu’aujourd’hui l’avantage de tirer parti des collaborations et de la richesse des informations en ligne pour développer un produit semble évident, de nombreuses entreprises ont mené un processus d’innovation plutôt fermé jusqu’à récemment.

Par exemple, une erreur typique est de ne pas s’inspirer de la concurrence ou de ne pas impliquer le client assez rapidement dans la boucle de conception. Il est particulièrement intéressant de noter la prévalence d’un syndrome de “pas-inventé-ici” (i.e. ignorer ce qui se passe à l’extérieur)  que j’ai personnellement vécu lorsque je travaillais dans la division de recherche d’une grande entreprise Américaine au Japon de 2006 à 2011.

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Aujourd’hui, grâce à GitHub, à la prévalence des logiciels open-source (libres de droits), aux API ouvertes et à la disponibilité des données et des informations en ligne, il est devenu plus facile de s’appuyer sur les briques technologiques existantes pour créer des produits de classe mondiale.

Dans la dernière start-up que j’ai cofondée, nous vendions un compilateur assurant une protection contre les cyber-attaques. Mais nous n’avons vraiment développé que la partie en rapport avec la protection car nous nous sommes appuyés sur le projet de compilateur open source LLVM. Devoir construire un compilateur à partir de zéro aurait été une aventure complètement différente (et probablement économiquement irréalisable). Je fais référence ci-après déjà ce type d’innovation ouverte par le terme “open design innovation” (innovation ouverte de conception).

Article de Bloomberg sur ma dernière start-up

Sur le plan de la collaboration, il est complexe d’exploiter les communautés en ligne pour recueillir des informations et les entreprises (en particulier leurs équipes de marketing) commencent à peine à gratter la surface sur ce sujet.

Dans un des mes articles précédents (publié sur Medium, en anglais) j’explique que l’interaction avec les clients, l’obtention d’un retour sur le produit avant et après-vente, ou encore l’investigation du comportement des clients sont maintenant possibles grâce à la connectivité tout au long du processus d’innovation grâce à un grand nombre d’outils. Je me réfère à la mise en œuvre ces concepts ici en tant que collaboration ouverte (open collaboration).

Examinons maintenant plus en détail ces deux types d’open innovation: (1) innovation ouverte de conception et (2) la collaboration ouverte, en particulier pour la génération et la sélection des idées.

L’innovation ouverte de conception et ses dangers

Nous constatons tous quotidiennement que beaucoup d’informations sont accessibles en ligne  (profitez de la richesse des tutoriels sur YouTube) et que des idées de toutes origines peuvent être facilement réutilisées.

D’un point de vue conceptuel, les entreprises cherchent à savoir comment choisir la bonne approche d‘innovation ouverte.

J’ai donné l’exemple ci-dessus de la réutilisation de briques technologiques existantes avec l’innovation ouverte de conception pour améliorer les produits ou réduire vos coûts (ou les deux). Cela inclut les logiciels avec des sites tels que GitHub, mais aussi le matériel avec la prédominance de la conception de matériel open source (qui fait partie de la culture “Maker”). Il y a même des projets tels que celui de micrologiciel ouvert OpenWRT qui lie les deux mondes.

L'Arduino est une conception populaire et précoce de matériel à source ouverte. (Wikipédia)

Le design de l’Arduino est open-source. (Wikipédia)

Cependant, s’appuyer sur des logiciels existants n’est pas sans danger : vous devez vous méfier de l’origine des logiciels ou libraires que vous réutilisez, par exemple pour éviter d’incorporer dans un projet  à votre insu un malware (logiciel malveillant) ou un cheval de Troie. La réutilisation des logiciels open source a déclenché un tout nouveau domaine d’intérêt pour la cybersécurité et donné naissance au domaine de l’analyse de la composition des logiciels (Software Composition Analysis, en anglais).

Le danger n’est pas seulement les malwares, mais aussi d’intégrer des vulnérabilités logicielles dans votre produit. Ces vulnérabilités peuvent être exploitées par des acteurs malveillants afin de prendre le contrôle de vos produits une fois qu’ils sont entre les mains de vos client.

La vulnérabilité de Heartbleed a permis aux acteurs malveillants d’avoir accès à la liste des mots de passe.

Un exemple particulièrement notoire est l’utilisation extensive du logiciel open source OpenSSL pour mettre en œuvre des connexions sécurisées (c’est-à-dire cryptées) entre votre navigateur et plus de 80% des serveurs web dans le monde. Une vulnérabilité (nommée Heartbleed après sa découverte en 2014) a permis à des criminels d’accéder à la liste des mots de passe du serveur. Vous pouvez consulter ma série d’articles sur la cryptographie si vous vous intéressez à ce type d’anecdotes en cybersécurité.

Un excellent livre sur les risques de l’innovation en matière de conception ouverte autour de la cybersécurité est “Click Here to Kill Everybody” de Bruce Schneier.

La collaboration ouverte pour la génération d’idées

Je présente un cadre conceptuel pour la collaboration ouverte dans l’image ci-dessous. Pour l’obtenir, j’ai adapté le graphique de l’article d’Andrew King et Karim R. Lakhani de 2013 “Using Open Innovation to Identify the Best Ideas” dans le MIT Sloan Management Review pour illustrer les mécanismes présentés dans cet article. De plus, j’ai rajouté certains mécanismes dont les auteurs n’ont pas tenu compte (car certains n’existaient pas !)

Cadre conceptuel de la collaboration ouverte pour illustrer les mécanismes introduits dans cet article.

Cadre conceptuel de la collaboration ouverte pour illustrer les mécanismes introduits dans cet article.

Les entreprises peuvent ouvrir leur processus de génération d’idées en impliquant leurs clients dès le début de la boucle d’innovation. La collecte d’idées auprès de communautés construites autour d’une marque ou d’un produit est un mécanisme efficace si vous pouvez le mettre en oeuvre. J’en discute plus en détail dans la conclusion de l’article.

Le crowd-sourcing d’idées, par exemple en utilisant certains des logiciels dont je parle dans cette article, produit probablement une quantité considérable d’idées (si vous avez la chance d’avoir un grand nombre de “followers”) et la qualité des idées peut varier considérablement, en particulier si vous utilisez une communauté pour laquelle vous n’avez pas identifié ou sélectionné les différents participants. Cela rend l’évaluation et la sélection des idées difficiles.

Une autre approche plus ciblée pour ouvrir le processus de sélection des idées est l’utilisation de tournois d’innovation. Il s’agit d’une sorte d’enchère inversée : une entreprise offre un prix pour résoudre un problème et les innovateurs proposent des solutions possibles. Ce type de collaboration ouverte a donné naissance à des courtiers en innovation, tels que Innocentive, CrowdSpring ou Kaggle et bien d’autres. Ce sont des entreprises qui mettre de ligne des concours, annoncent les prix et collectent les solutions. Ils font cela pour de différents types d’innovation : Innocentive fait la promotion de concours scientifiques, par exemple dans le domaine des sciences de la vie. CrowdSpring permet aux entreprises d’utiliser les internautes pour affiner leur image de marque, par exemple pour trouver des noms de produits. Kaggle encourage la competition dans le domaine de la science des données (data science) et de l’apprentissage machine (machine learning).

Pourquoi avons-nous besoin de courtiers en innovation ?

Il existe de nombreuses raisons de faire appel à un courtier en innovation. Par exemple, l’avantage de participer à un tournoi d’innovation est la possibilité de toucher un public très ciblé et spécialisé, plutôt que de demander à une marque ou à une communauté de produits.

L’aspect compétitif (récompensé par un prix en espèces) est également très important. Des équipes composées d’universitaires et de professionnels se forment autour des concours. On rapporte que la composition des équipes évolue au fil du temps, par exemple avec la formation d’alliances pour augmenter les chances de gagner.

La composition des équipes peut également être très inattendue : Dans un concours lié au traitement du diabète de type 1, il est rapporté par King et Lakhani que la solution gagnante est venue d’une équipe formée d’un étudiant de premier cycle en chimie, d’un dentiste à la retraite, d’un géophysicien et d’un chercheur en génétique de haut niveau sans expérience dans la recherche sur le diabète.

Traitements du diabète de type 1

Traitements du diabète de type 1

Les courtiers en innovation nous permettent aussi de faire face à un corollaire du paradoxe d’Arrow. Ce paradoxe est attribué au lauréat du prix Nobel Kenneth Arrow et le corollaire est que la valeur d’une idée ne peut être évaluée tant qu’elle n’est pas révélée. Il est clair qu’une fois révélée, sa valeur tombe à zéro. Ce point est également abordé par King et Lakhani dans leur document MIT Sloan.

Si cela vous rappelle l’histoire du chat de Schrödinger, c’est parce que, comme moi, vous pourriez trouver qu’il est de nature similaire.

Pour que les concours d’innovation fonctionnent (et ne souffrent pas du paradoxe d’Arrow), les innovateurs doivent être assurés qu’ils seront effectivement récompensés si leur idée est sélectionnée. Les courtiers remplissent ce rôle de cohésion. Sans eux, vous ne pourriez pas garantir que votre chat est vivant au cas où vous auriez une bonne idée dans la boîte, c’est-à-dire que vous serez payé. Ne prenez pas ce dernier point trop au sérieux.

Photo by Manja Vitolic on Unsplash

Photo by Manja Vitolic on Unsplash

La collaboration ouverte pour la sélection des idées

Une autre façon d’ouvrir la collaboration consiste à laisser choisir nos idées à des personnes extérieures (par exemple, les internautes). Cela peut se faire avec plusieurs degrés d’effort en fonction de l’objectif.

Le concept du “Minimal Viable Product” (MVP) introduit dans la méthodologie Lean Startup et dont je parle dans de nombreux articles (voir par exemple “Assessing the Feasibility of your Minimal Viable Product”, sur Medium en anglais) est peut-être le plus impliqué en termes d’efforts. L’objectif est ici de faire valider (entre autres, par les clients potentiels) les hypothèses de conceptions d’un produit afin d’évaluer son intérêt pour un marché potentiel.

Un autre mécanisme en rapport est les plateformes de financement collaboratives. Grâce à Kickstarter ou Indiegogo, vous pouvez étendre la validation de la désirabilité de votre MVP au grand public et l’utiliser pour lever des fonds pour le compléter, le commercialiser, le distribuer, etc. En fonction du niveau de contribution, vous serez redevable à vos premiers investisseurs providentiels d’une série de récompenses de votre choix.

Des approches plus légères, donc plus opérationnelles, sont utilisées (par exemple dans les entreprises matures) pour déterminer l’opportunité de nouvelles lignes de produits, par exemple dans le domaine des vêtements de mode. Certaines marques disposent d’applications pour smartphones qui leur permettent d’interagir directement avec leur public avec de nouvelles collections et de recueillir des commentaires.

L'application CALA permet d'adapter des vêtements de marque à votre corps grâce aux photos de l'iPhone

L’application CALA permet d’adapter des vêtements de marque à votre corps grâce aux photos de l’iPhone

De manière plus générale, de nombreuses marques utilisent les réseaux sociaux pour effectuer des analyses de sentiments dans le cadre de diverses initiatives de marketing. Le concept de marketing d’influence (Influencer marketing) permet aujourd’hui aux marques de sonder leurs clients et d’affiner leur stratégie de sélection des idées.

Une manière encore plus immersive d’impliquer votre client dans la sélection est de le faire participer au processus de conception de votre produit. Certaines marques mettent en place des outils en ligne pour que les clients sélectionnent les produits, les couleurs, les formes et autres caractéristiques des produits, ce qui leur permet également d’optimiser leur processus de production en utilisant l’approche de la personnalisation de masse.

Il est clair que l’ouverture de votre processus d’innovation à une sélection externe comporte le risque de “révéler votre jeu” à vos concurrents également. C’est pourquoi une collaboration ouverte exige une réflexion stratégique et un équilibre prudent entre la révélation et la dissimulation des facettes de votre processus d’innovation.

Enfin, vous pouvez clairement mélanger la génération et la sélection, par exemple en organisant des hackathons, des ateliers clients, etc. Au Japon, la marque Muji organise des “hakensai” (littéralement, “festival de la découverte” en japonais) pour inciter les clients à générer des idées et à sélectionner des concepts de produits.

Comment mettre en œuvre un processus d’innovation ouvert et votre entreprise

La mise en œuvre d’un processus d’open innovation dans votre entreprise consiste à sélectionner les éléments d’innovation de conception ouverte et de collaboration ouverte (génération d’idées, sélection ou les deux) qui conviennent à votre processus créatif.

La vue d'ensemble : Considérez toutes les composantes d'une stratégie d'open innovation pour votre processus d'innovation.

La vue d’ensemble : Considérez toutes les composantes d’une stratégie d’open innovation.

En outre, il y a quelques éléments que vous devez prendre en considération pour réussir à la mettre en œuvre.

Lorsque vous envisagez de générer des idées de manière externe, vous devez vous demander si des personnes en ligne possèdent les connaissances nécessaires pour générer une solution plausible. En outre, vous devez vous demander si une solution potentielle nécessite un groupe ciblé ou si elle pourrait ou devrait être récoltée auprès d’une échantillon de population en ligne générique.

Vous devez également réfléchir à la manière d’inciter les personnes extérieures à vous faire part de leurs idées. La recherche d’une solution nécessite-t-elle un investissement considérable de leur part ? Quel est le risque financier qu’elle seraient prête à prendre ? Le concours doit-il être un concours où tout le monde gagne quelque chose ou la récompense doit-elle être partagée ? Pouvez-vous rassurer les innovateurs que leurs idées ne seront pas détournées ?

Pouvez-vous rassurer les innovateurs que leurs idées ne seront pas détournées ?

Pouvez-vous rassurer les innovateurs que leurs idées ne seront pas détournées ?

Vous pouvez susciter une série de questions similaires lorsque vous envisagez de mettre en œuvre une sélection externe. Les sélectionneurs d’idées ont-ils les connaissances appropriées sur les besoins de vos clients ? Et s’il s’agit de vos clients, comprennent-ils vraiment leurs propres besoins ? Pouvez-vous aligner les incitations des sélecteurs externes sur les objectifs de votre entreprise ? Pouvez-vous motiver les sélecteurs à participer tout en gardant le contrôle des idées choisies ?

J’espère qu’avec cet article, je vous ai donné une idée des nombreux défis que vous aurez probablement à relever pour mettre en place un processus d’innovation moderne et ouvert. 

Vous pouvez en savoir plus sur l’innovation de produit grâce à la série d’articles de ma classe d’innovation à l’université en Suisse et  à Tokyo, au Japon, ou sur la cybersécurité et d’autres sujets dans ma collection d’articles sur la plateforme Medium (en anglais) ou le blog du temps (en francais).

Commentaires, réactions : Laurent Balmelli (Twitter Laurent Balmelli)

Laurent Balmelli

Je suis un professionnel de l'innovation, en particulier envers les technologie (de la cybersécurité, du cloud et de l'approche DevOps) et les modèles d'affaires. J'ai reçu mon doctorat de l’EPFL en 2000 et ensuite vécu ensuite à New York et Tokyo avant de revenir en Suisse en 2012. Mes intérêts aujourd'hui sont la création de produits technologiques, la lecture, l’écriture et ma famille. Mise à part mes activités professionnelles, j'enseigne l'innovation à l’université en Suisse et au Japon à Tokyo. Retrouvez aussi mes articles en Anglais sur Medium à l'adresse: https://medium.com/@laurentbalmelli

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