Dans son allocution du 31 août 2022, le Conseil fédéral a prodigué à la population ses recommandations pour éviter une pénurie d’énergie cet hiver. Depuis, des affiches nous invitent un peu partout à adopter des gestes simples pour économiser l’énergie. Mais peut-on vraiment demander les mêmes efforts à l’ensemble de la population ?
Cette question fait écho à l’un des épisodes de l’excellent podcast Chaleur humaine. À la question « Climat : faut-il faire payer les riches ? », l’économiste Lucas Chancel répond que si l’ensemble de la population est appelé à faire des efforts, il va de soi que les plus riches – qui consomment bien davantage – sont celles et ceux qui doivent en faire plus. En France, les 10 % les plus aisés émettent plus de vingt-cinq tonnes de CO2 par an, alors que la moitié des Françaises et Français n’en émettent “que” cinq tonnes…et que l’idéal serait d’en produire 2 tonnes.
Cette logique ne s’applique-t-elle pas également en termes d’économie d’énergie ? Comme en France, les chiffres montrent qu’en Suisse, les ménages à hauts revenus consomment davantage d’énergie. En cause: des logements plus grands, des loisirs, appareils électroniques, équipements électroménagers et véhicules plus gourmands en énergie, davantage de résidences secondaires, etc. Quant aux personnes à bas revenu, elles adoptent, le plus souvent par défaut, des comportements de sobriété…voire de précarité énergétique.
Dépenses d’énergie par mois, couples avec enfants selon la classe de revenu, 2015-2017 [2]
Pour des recommandations spéciales riches
Face aux recommandations du Conseil fédéral, une femme de ménage – qui réalise donc des tâches pénibles et peu rémunérées – et qui prend un bain pour détendre ses muscles, doit-elle désormais culpabiliser ? Peut-on décemment lui demander les mêmes efforts qu’à des personnes qui utilisent leur piscine intérieure ou leur jacuzzi privé en plein hiver ? Ou qu’à celles qui chauffent en avance leurs résidences secondaires pour éviter d’y avoir froid les premières heures de leur retour ? Ne serait-il pas plus efficace d’établir des recommandations dans ces domaines plutôt que nous enjoindre à mettre un couvercle quand on cuisine?
Ces exemples illustrent à quel point on ne peut penser économie d’énergie sans y associer l’idée de répartition des efforts. À s’adresser à la population sans tenir compte de l’hétérogénéité de ses moyens d’action, les autorités risquent de rater le coche : plus nos revenus et nos consommations sont élevés, plus nous pouvons faire une réelle différence cet hiver. À défaut d’y avoir pensé par soi-même, le Conseil fédéral doit nous y inciter!
Notes
[1] Energie : Le Conseil fédéral lance la campagne d’économies d’énergie. Communiqué de presse du Conseil fédéral du 31.08.2022
[2] Source des données : Enquête sur le budget des ménages, Office fédéral de la statistique. Utilisation des classes de revenu par type de ménage afin d’avoir des situations de composition de ménages comparables.