La clope, ma meilleure ennemie

J’ai écrit cet article hier pour réagir aux pourparlers actuels entre Berne, l’OMS et les responsables de la prochaine Exposition Universelle 2020 à Dubaï. Objet de la négociation: interroger la pertinence d’un cigarettier comme sponsor du pavillon suisse. Notons que, côté suisse, l’humour sera au rendez-vous en 2020 [1]. Le pavillon invitera les visiteurs  à une randonnée, “passe-temps suisse par excellence” [2]. C’est bien connu: cigarettes et randonnées dans des paysages sublimes font toujours bon ménage…[ironie].

 

Samedi matin. Vacances. Enfin le temps de lire le journal accompagné du combo magique. Le fameux café / clope.

Ah la clope…  Depuis des années, nous sommes dans une relation que je qualifierais de “compliquée”. Mais je sais qu’un jour on se quittera. Pour toujours.

Oh, elle n’est pas contente quand je lui dis ça. Elle exprime fortement son désaccord en me susurrant des mots plus ou moins doux à l’oreille.

“Tu n’y arriveras jamais” me chuchote-t-elle…

Tu m’aimes bien trop pour me quitter. Tu reviendras à moi.  Pourquoi vouloir me quitter alors que je t’ai tant apporté ?

Te souviens-tu en 2015 ? Tu étais tellement heureuse de me retrouver le lendemain de ta rupture. J’ai été le témoin de la reconquête de ta liberté. C’était enfin reparti pour les apéros entre potes à refaire le monde et les fêtes jusqu’à pas d’heure.

Et puis quand le boomerang post-rupture t’est revenu en pleine face, je ne t’ai pas abandonnée. Notre ami le café et moi étions même devenus ta seule motivation pour commencer ta journée. Quand ta tristesse était trop grande, je te laissais respirer mon parfum pour rassurer tes angoisses de jeune célibataire. Tu m’as même trouvé un charmant surnom. “Ma béquille”.

J’ai assisté avec bonheur quand, telle une guerrière des temps modernes, tu as retrouvé ton sourire. Par la suite, nous avons vécu des moments inoubliables où nous étions seules au monde. Toi et moi, en tête-à-tête avec tes pensées.

Ce printemps, je t’ai pardonné ton infidélité avec le sport, la méditation et les massages. Tu te rappelles ? C’est quand tu as pensé m’écraser une dernière fois le 1erjanvier.  Un grain de sable dans les rouages de ta vie et tes nouveaux amants ne te suffisaient déjà plus. Je t’ai pardonné parce que je sais que notre amour est plus fort.

…Et moi je lui réponds: “Je suis une guerrière”

Un jour, je t’écraserai une dernière fois et je t’enterrerai encore fumante. Ensuite, j’irai dire à tous les fumeurs [3] que je croise qu’il est possible de sortir victorieux contre toi. Je le sais car je connais des tas de gens qui y sont arrivés avant moi.

J’ai aussi accompagné jusqu’à son dernier souffle une femme que j’aimais profondément.  Elle est morte de ton poison. Et c’était moche. Tu avais été sa béquille tout au long de sa vie professionnelle. Elle t’avait écrasé une dernière fois à l’aube de sa retraite. Mais elle n’a pas pu faire long feu. Tes créateurs diront qu’on ne peut pas te mettre ce cancer sur la conscience. Que les facteurs sont multiples. Mais ce n’est pas à une statisticienne qu’on va la faire à l’envers [4]. Tu augmentes FORTEMENT les risques. Point final.

Oh, je te connais. Mais je n’ai pas peur.

je sais que tes stratégies sont bien établies. Je sais que tu sors ta robe la plus courte et la plus décolletée qui soit pour venir à notre rencontre. Tu ne te gênes pas non plus pour t’immiscer parmi ceux qui prennent les décisions censées assurer notre bien-être individuel et collectif.

Puis tu alignes la tune. Tu te fais passer pour une femme libre qui nous apportera un bonheur sans nul autre pareil. Subjugués, certains ne pensent plus à aller voir ce qui se cache derrière ton apparat.

Prends garde. Nous sommes de plus en plus nombreux à ne plus être dupes. Nous n’avons plus peur. Nous nous battrons pour nous libérer de ton joug et trouver notre bien-être ailleurs que dans une bouffée de ton poison.

 

Notes

[1] “L’humour c’est bon pour la santé” disiez-vous M. Schneider-Ammann. Apparemment, le pavillon suisse n’a pas saisi toute la subtilité de votre phrase culte. 

[2] Page d’accueil du site officiel du pavillon suisse à l’Expo2020. 

[3] Cet article étant auto-biographique (et étant une femme…), le genre féminin est adopté quand je parle de moi. Pour le reste, l’utilisation du genre masculin a été adoptée lorsque le neutre n’était pas possible. Ce choix a été fait afin de faciliter la lecture. Cela n’a aucune intention discriminatoire. Pour des raisons d’égalité dans la représentation des deux genres, le genre féminin sera adopté dans le prochain article lorsque le neutre ne sera pas possible.

[4] Les statistiques ont occupé une grande partie de mes études puis de ma vie professionnelle.

Laure Kaeser

Née d’une mère institutrice jurassienne et d’un père pasteur bernois, Laure Kaeser a grandi à Marseille jusqu’à 18 ans. La sociologie et la psychologie lui ont permis de casser certains codes sans renier ses racines. Docteure en socioéconomie et insatiable observatrice de la société depuis plus de 30 ans, son blog retranscrit ce que ses lectures, rencontres et réflexions lui ont apporté.

2 réponses à “La clope, ma meilleure ennemie

  1. Il y a quarante ans, j’avais suivi une psychothérapie chez un médecin psychiatre qui m’avait bien aidé pour que je puisse démarrer dans la vie. Quand je lui disais mes regrets de n’avoir pas fait ceci, au lieu de cela… en ajoutant : « Maintenant c’est trop tard… » Il me répondait : « Il y a tant de chemins derrière soi pour dire « Si… », et qu’est-ce qu’on en sait ?.. Regardez mes mains, elles sont toutes déformées, je tremble. J’ai regretté un temps de n’avoir pas choisi après mon diplôme la spécialisation en neurochirurgie, il n’y avait pas de place libre, je ne voulais pas attendre… Maintenant je devrais déjà arrêter… »

    Au dernier entretien, avant qu’on se quitte, j’avais à nouveau songé à ces chemins, quand il me répondait : « À votre âge, vous les avez encore tous devant vous, et même moi sur les quelques-uns qui me restent je veux vivre. Alors bien sûr y aura encore toujours des « si… », mais je ne veux plus les entendre !.. » Et moi : « Oui, d’accord, mais… Si vous aviez pu faire autrement quand vous aviez mon âge, une seule chose que vous pourriez changer maintenant avec une baguette magique, ce serait quoi ?.. » Lui : « Ah ! Vous me faites souffrir ! Je voudrais n’avoir jamais commencé à fumer… »

    Comme moi maintenant.

  2. (A ne lire qu’après vos vacances, chère Laure des flots aussi bleus phocéens)

    Ai vu la fameuse fête… oui, vous savez, celle des vignelurons (sur TV5).
    Alors, délicieuse âme, ne mourrez pas idiote, faites-moi plaisir, voyez-la, car c’est divin!

    P.S. Enfin, ptêt que quand vous lirez ce message, la fête sera déjà finie…?
    P.S.2 Bien que, enthousiaste de ce magnifique travail de tous, je n’ai aucun intérêt pécunier dans l’affaire, mais le Canton de Vaud est capable du meilleur, comme du pire.
    Pour une fois c’est le meilleur, grâce à des tessinois 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *