Les compétences en langues étrangères jouent un rôle essentiel à l’heure de la mondialisation. Elles ouvrent des portes, augmentent les possibilités de carrière et contribuent à de meilleurs revenus. Dans la formation professionnelle, 16% seulement des formations initiales intègrent l’enseignement de langues étrangères (deuxième langue nationale ou l’anglais). Tour d’horizon de cette thématique d’actualité.
Enfin la soupe arrive. La soupe du professeur, à trois heures de l’après-midi, very delicious! Nous sommes dans une classe de formation professionnelle pour les cuisiniers de troisième année et nous vivons la fin d’un cours de cuisine spécial. Pendant vingt minutes, le professeur Erwin Mumenthaler de l’école professionnelle Gibb à Berne a préparé des oignons et des poireaux, a fait griller du gruau et a goûté la soupe, tandis que les élèves ont décrit les actions en anglais. La leçon de cuisine comme leçon de langue (voir article de Daniel Fleischmann dans Panorama référencé au bas de l’article).
L’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP) a accompagné le projet d’introduction de la langue étrangère dans les leçons de cuisine et a conçu un manuel bilingue en collaboration avec les cuisiniers. Depuis quelques années maintenant, l’acquisition d’une langue supplémentaire fait partie du programme de formation des cuisiniers et est intégrée dans l’enseignement professionnel.
Compétences linguistiques – une clé de la réussite professionnelle
Des entreprises en réseau à l’échelle mondiale, des conférences via Skype, des collègues internationaux ou un paysage professionnel en constante évolution : les compétences en langues étrangères jouent un rôle essentiel à l’heure de la mondialisation. Elles ouvrent des portes, augmentent les possibilités de carrière et contribuent à de meilleurs revenus. Ceci est également confirmé par une étude du professeur François Grin de l’Université de Genève, qui a évalué la valeur financière des compétences en langues étrangères : si une personne de Suisse alémanique parle le français “de bien à très bien”, elle peut gagner jusqu’à 15 % de plus qu’un employé ne connaissant pas le français ; avec l’anglais, l’augmentation de salaire peut atteindre 25 %. De même, en Suisse romande, la connaissance de l’allemand est payante : Ceux qui parlent un allemand “bon à très bon” peuvent gagner jusqu’à 23 % de plus. Une très bonne maîtrise de l’anglais permet à une personne de Suisse romande de gagner jusqu’à 12 % de plus.
Pour reprendre les mots de Josef Widmer, directeur adjoint du Secrétariat d’État à l’éducation, à la recherche et à l’innovation SERI : “Cela dit, l’économie et la société s’internationalisent chaque jour un peu plus. Et la notion de “mobilité professionnelle” n’a rien d’une expression à la mode, mais fait partie de la réalité professionnelle d’aujourd’hui”.
L’enseignement bilingue dans la formation professionnelle
Les compétences en langues étrangères ne sont pas un objectif traditionnel de la formation professionnelle et peu d’ordonnances de formation prévoient l’enseignement d’une ou plusieurs langues étrangères. En effet, à ce jour, 36 des 222 ordonnances de formations intègrent l’enseignement de langues étrangères (deuxième langue nationale ou l’anglais), soit à peine 16%. Par ailleurs, les horaires des apprenants sont si chargés qu’ils ne permettent guère d’intégrer des cours de langues étrangères supplémentaires.
L’enseignement bilingue selon le principe “deux en un”, selon lequel le contenu des matières est transmis dans une langue étrangère, peut être un moyen de faire en sorte que les compétences linguistiques acquises au niveau secondaire I (école obligatoire) ne soient pas perdues.
L’enseignement bilingue dans les cantons
C’est en 1999 que l’enseignement bilingue a été introduit dans la formation professionnelle à travers le projet pilote « bi-li » auquel ont participé environ 25 classes d’écoles professionnelles des cantons de Zurich, Saint-Gall, Zoug, Schwyz et des Grisons. L’objectif était de permettre à tous les apprenants de poursuivre leur apprentissage et de conserver une deuxième langue à travers l’utilisant en classe. Le projet pilote a fait l’objet d’une évaluation. Selon les chercheurs Brohy et Gurtner (2011), l’enseignement bilingue est considéré comme propice à l’apprentissage tant du point de vue des matières enseignées que des contenus et des compétences linguistiques.
La Conférence allemande des ministres de l’éducation et des affaires culturelles (KMK) a déclaré que le bili était un modèle de réussite dès 2006. Actuellement en Suisse, les cantons de Lucerne, Zürich, Berne et du Tessin soutiennent activement l’enseignement bilingue au niveau de la formation professionnelle. Dans le canton de Lucerne, environ 20 % des apprentis sont formés en bilingue.
Les ingrédients d’un enseignement bilingue réussi
Cependant, l’enseignement bilingue est confronté à divers défis. Souvent les enseignants ont eux-mêmes appris peu de langues étrangères. En outre, ils partent du principe que ce sont avant tout leurs compétences en langues étrangères qui déterminent la qualité de leur enseignement bilingue.
Or, pour réussir un enseignement bilingue, il est nécessaire de disposer de méthodes et d’approches permettant de soutenir les apprenants à se servir de la langue étrangère. Cette méthode, selon laquelle la langue s’apprend par le contenu et le contenu par la langue, a été conceptualisée sous le nom d’EMILE (apprentissage intégré du contenu et de la langue). Elle représente encore aujourd’hui le cadre didactique de l’enseignement bilingue.
Qu’en disent les personnes concernées ?
Pour Luca Pession, Directeur de l’école professionnelle commerciale (EPC) de Fribourg, son école vise à donner la possibilité aux apprentis de suivre leur formation duale en bilingue grâce au modèle de l’immersion. “Pour garantir la réussite de ce projet il a été fondamental de compléter la formation des enseignants par un CAS en enseignement bilingue.”
Les jeunes qui suivent la formation bilingue sont plus ouverts à échanger avec les collègues de “l’autre langue”, Luca Pession
Qu’est-ce qui a amené Luca Pession à orienter son école vers le bilinguisme ?
“Dans un canton bilingue, il nous semblait fondamental de donner une opportunité supplémentaire pour améliorer l’employabilité de nos jeunes ainsi que de promouvoir la compréhension interculturelle dans un canton bilingue. En effet, l’EPC étant une école bilingue (français / allemand), nous pouvons mettre en parallèle les horaires de classes francophones et de classes germanophones permettant aux apprentis de suivre une partie des cours dans une classe de la langue partenaire. Nous constatons que les jeunes qui suivent la formation bilingue ou ceux qui suivent les cours avec des élèves bili sont plus ouverts à échanger avec les collègues de « l’autre langue ».”
Claudine Brohy, chargée de cours, mène des recherches sur le bilinguisme à l’Université de Fribourg. En collaboration avec le Prof. Jean-Luc Gurtner, elle a publié l’étude d’évaluation de l’enseignement bilingue dans les écoles professionnelles du canton de Zurich (précisions sur l’étude au bas de cet artcile). Quels résultats l’ont le plus frappée ?
Les apprenantes et apprenants bili font clairement plus de progrès en anglais, Claudine Brohy
“Les résultats les plus saillants montrent qu’en ce qui concerne les notes obtenues dans les disciplines non linguistiques, il n’y a pas de différences significatives entre les classes de contrôle et les classes expérimentales avec un enseignement partiel en anglais, ce qui est corroboré par les directions des établissements et le corps enseignant, les contenus techniques et professionnels sont donc maîtrisés également en anglais. Les apprenantes et apprenants bili font clairement plus de progrès en anglais que celles et ceux du groupe de contrôle. Les observations dans les classes montrent que l’anglais est utilisé de manière communicative, spontanée et décontractée, et que le plurilinguisme fait partie de la vie professionnelle et sociale. La présentation du travail personnel d’approfondissement montre de l’aisance dans l’utilisation de l’anglais. Les résultats montrent aussi que le dispositif demande des efforts de tous les protagonistes, qu’une bonne communication et information sont importantes, et que bili en français devrait être promu.”
Centre de compétences bili de la Confédération pour la formation professionnelle
La nécessité de renforcer l’apprentissage des langues en formation professionnelle a été reconnue par la Confédération. Pour soutenir les écoles professionnelles et les enseignants dans cette démarche, le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation a mandaté l’IFFP d’agir comme centre de compétence bili. L’IFFP propose divers cours de didactique et travaille avec les cantons et les hautes écoles pédagogiques dans le but d’implémenter davantage l’enseignement bilingue dans la formation professionnelle.
Kathrin Jonas Lambert, responsable du centre de compétences bili de l’IFFP, est la figure de proue, « la magicienne » de l’enseignement bilingue. Je la remercie chaleureusement ici d’avoir coécrit cet article avec moi 😊.
Vous avez besoins de ressources ou d’informations complémentaires ?
Centre de compétences de l’enseignement bilingue de l’IFFP : www.iffp.swiss/enseignement-bilingue-bili
Panorama : «Näher an der Praxis», Daniel Fleischmann, Panorama 05/2014, www.panorama.ch
Vous voulez en savoir plus sur l’étude d’évalutation de l’enseignement bilingue dans les écoles professionnelles du canton de Zurich qu’a mené Claudine Brohy ? L’étude est ici : https://edudoc.ch/record/100393?ln=de
Sur mandat du « Mittelschul- und Berufsbildungsamt » de l’Instruction publique du canton de Zurich, l’Université de Fribourg a effectué en 2010 une recherche sur l’enseignement/apprentissage bilingue dans les écoles professionnelles (bili). Neuf écoles professionnelles étaient impliquées, avec presque 1’200 apprenantes et apprenants, 71 classes et 35 enseignantes et enseignants, en plus des directions des écoles et des responsables du projet. Par triangulation, la recherche a dégagé un nombre élevé de données tant quantitatives (comparaison des notes, tests et auto-évaluation de l’anglais, représentations, etc.) que qualitatives (entrevues semi-dirigées, discussions, observations dans les classes, etc.).