Une classe, un monde en soi, au confin de mille mondes

Claire Descloux enseigne dans une classe à triple degrés (6 – 7 – 8P, élèves de 10 à 13 ans) dans l’école publique genevoise depuis de nombreuses années. Elle nous propose ici son expérience de terrain autour de l’animation de dialogues philosophiques avec ses élèves. Elle est également membre du comité de proPhilo. 

Un monde aux multiples facettes où l’étonnement est sous-jacent, les joies et les tourments également. Notre « petit monde » se situe entre le lac et le Jura, un lieu charmant où tout peut sembler très important. Une classe, au sein d’une école qui en comptent trois. Chaque enfant évolue dans une dynamique de triple degrés, il aura toujours un plus petit ou un plus grand que lui, pourtant sa taille n’y est pour rien. Ce n’est pas si différent, et pourtant…Si la différence est constitutive d’apprentissages multiples, de recherches et de réflexions; je veux, en tant qu’enseignante, absolument continuer à chercher ensemble, à chercher à comprendre et surtout à « s’enseigner » ensemble.

« S’enseigner » ensemble semble être une posture étonnante alors que notre rôle est par ailleurs important en tant que passeurs de savoirs. La pratique du dialogue philosophique accompagnée et soutenue par plusieurs formations est la principale responsable de vraies nuances au gré des mes diverses postures et casquettes professionnelles. Je ne peux plus être « enfermée » dans le seul triangle pédagogique: le savoir, l’enseignant et l’apprenant. Il me semble que ce triangle peut se transformer en une montagne où chaque cheminement se révélera une éclosion de découvertes, d’interrogations et d’émerveillement possibles.

 

 

La pratique du dialogue philosophique au sein de la classe n’est pas seulement un moment où les enfants échangent à propos de concepts qui les intéressent. C’est rencontrer, exercer notre « petit monde », une mini société aux dimensions non moins importantes que celles qu’ils rencontrent et rencontreront peut être. Ce moment hebdomadaire fait partie intégrante de la vie de la classe, dans le sens où les sujets, les thèmes restent en liens avec les préoccupations et les activités vécues et évoquées par les élèves. Plusieurs fois dans l’année, nous faisons notre tour de table « ça va, ça va moyennement, ça ne va pas et j’ai besoin de » Ils savent que nous n’allons pas engager un échange sur les faits énoncés succinctement mais, je prends note et cela guidera en priorité nos choix de supports et de thèmes à venir. Ainsi, nous n’aborderons pas une situation précise mais simplement, plus tard, un thème en lien. Faut-il encore leur laisser un espace de paroles régulier, je ne suis pas celle qui sait mais juste celle qui soutient, s’interroge, relance en puisant avec eux dans la boite à outils des habiletés de pensées.

Plusieurs élèves ont des rôles précis au sein du dialogue: le président donne la parole en s’appliquant à l’offrir à celui qui la prend le moins, en priorité, il peut également demander de l’aide au reformulateur afin de tenter de clarifier ou simplement de répéter une intervention. Deux observateurs s’attachent à relever quels sont les exemples, les contre-exemples, les hypothèses qui selon eux ont fait avancer le dialogue. Un participant s’attache à demander une recherche de définition d’un concept ou d’un mot qui lui semble peu clair pour la communauté. Je suis très souvent impressionnée par les facultés parfois insoupçonnées dont ils font preuve, leur souci de raisonner ensemble de partager et d’écouter, de chercher à définir selon plusieurs critères, de dégager des présupposés et vraiment de penser par et pour eux-même.

Depuis deux ans, parfois selon les sujets et maintenant à leurs demandes; je construis en direct une carte mentale au gré de leurs propos. Le côté visuel de l’évolution du dialogue semble pour certains se révéler une aide afin d’approfondir, d’aller plus loin et même parfois de soutenir une controverse, d’affiner un questionnement; ce qui nous engage parfois à poursuivre la semaine suivante. Trois « grands » de la classe, installés séparement en dehors du cercle, s’essayent, depuis peu, à l’élaboration de la carte mentale selon les propos de leurs camarades; cet ajout au processus habituel se révèle un appoint surprenant pour « les retours » cette partie importante du dialogue philosophique, qui revenait auparavant aux seuls observateurs. Les élèves ont relevé qu’ils pouvaient également ajouter des liens entre les concepts évoqués et ne pas partir exclusivement du concept ou de la question centrale.

Offrir un espace de paroles, penser ensemble, s’interroger et au sein de l’expérience précédente: « passer la main » et continuer à « s’enseigner », me semble au gré de mes expériences, dans notre «  petit monde », être un véritable cheminement toujours parsemé d’interrogations et peut être pas, une utopie pour notre présent et notre futur en marche.

Cet article sera publié dans la revue Diotime (n°80), Revue internationale de didactique de la philosophie.

Laetitia Bernardinelli

Laetitia Bernardinelli est secrétaire de l'association romande proPhilo qui développe et soutient la pratique du dialogue philosophique avec les enfants et les adolescents, mais aussi les adultes. A travers son métier d'enseignante, elle met tout en oeuvre afin que ses jeunes élèves pensent par et pour eux-mêmes.

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