Transiter vers la parentalité

Quand la culpabilité est maternelle

Depuis près de 30 ans, les mères suisses sont toujours plus actives professionnellement, passant de 60% en 1990 à près de 80% en 2023.

Cette progression témoigne d’une évolution de la société qui abandonne progressivement les modèles familiaux traditionnels au profit des modèle familiaux semi-traditionnels.

Si les jeunes femmes souhaitent se réaliser professionnellement, ce sont encore elles qui sont socialement et moralement assignées à la famille et aux tâches éducatives.

Cette pression culturelle peut faire apparaître de la culpabilité, un sentiment souvent retrouvé dans les discours maternels.

Chez nous la solution n’a pas été que mon mari va faire plus, mais plutôt : il nous faut plus d’aide …. Silence …. J’ai eu du mal à l’accepter au début…. J’ai eu comme beaucoup de mamans, le côté « on ne fait pas des enfants pour que ça soit une nounou qui s’en occupe » …. Ça m’a fait culpabiliser …. » Kristina.         « Quand on a décidé de faire des enfants, je me souviens lui avoir dit : je veux être là pour mes enfants, je ne veux pas être une mère qui a une bonne position mais qui n’est pas présente au quotidien… Ça sera clairement un échec, le jour où on ne verra plus nos enfants que le week-end. » Éléonore.

Le destin des mères serait-il influencé par une confusion mêlant responsabilité maternelle et culpabilité ?

L’exaltation actuelle des responsabilités parentales est telle, que les obligations qui en découlent constituent un vaste champ de l’existence de l’enfant, incluant sa sécurité physique, son épanouissement psychique, sa réussite scolaire et sociale.

Lien maternel et sentiment de responsabilité sont implicitement imbriqués et cela parfois même avant la naissance. Les injonctions sont nombreuses et elles jettent leur dévolu sur la grossesse, l’accouchement, l’allaitement, les soins à l’enfant, pour se poursuivre également lorsque les mères sont amenées à reprendre le travail.

Les normes sont ultra présentes que cela soit du point de vue du développement biologique ou des comportements de maternage. La maternité totale ou totalmotherhood, comme l’a repris Rinaldi, astreint les mères à être tenues les principales responsables du bien-être de leurs enfants.

« Tomber enceinte c’est s’engager par défaut dans un code moral universel » qui s’appuie de plus en plus sur des arguments scientifiques. Le mélange de recommandations morales et médicales, justifiées scientifiquement, augmentent ainsi la responsabilité individuelle des actes et par conséquent la culpabilité. Après la surmédicalisation des naissances, on assiste parfois à un surinvestissement maternel qui peut nourrir un puits sans fond de perfectionnisme et d’anxiété.

 

D’où vient cette charge morale inhérente à la condition de mère et qui leur attribue la responsabilité originelle de protéger leur enfant ?

Dérivé du mot culpa et désignant la faute, la culpabilité est un sentiment provoqué par la transgression d’une norme morale.

Les théories qui ont abordé la culpabilité maternelle s’appuient sur des études de cas cliniques ainsi que sur des théories du développement.

Pour les psychanalystes, la culpabilité trouverait son origine dans des sentiments ambivalents animés à la fois par l’amour de l’enfant et par la souffrance d’être mère.

Les mères vivraient des pulsions les faisant osciller entre un fantasme de toute puissance pour l’enfant et un besoin de se séparer de lui. Les théories postulent que la séparation mère-enfant représenterait une coupure symbolique, permettant à la fois à l’enfant de se construire et à la mère de réinvestir le champ féminin.

L’ambivalence est toutefois décrite comme une sorte de « réussite à atteindre », qui permettrait à l’enfant de se structurer ainsi que se socialiser par sa capacité de « sollicitude ». C’est pourquoi le psychanalyste Winnicott a parlé de « la mère suffisamment bonne », la « juste mais pas trop ».

Du côté des sciences sociales, la culpabilité peut être vue comme un régulateur des normes sociétales.

Ainsi, l’obligation du don de soi, qui apparaît avec les liens de parenté et particulièrement avec la maternité, permettrait de cimenter l’équilibre des communautés. En renforçant les relations interpersonnelles, la culpabilité maintiendrait les modèles familiaux culturellement construits. La culpabilité en serait donc un sentiment médiateur interpersonnel et culturel qui influencerait l’équilibre de nos sociétés.

Toutefois les mères semblent subir cette culpabilité alors même qu’elles sont encouragées à s’émanciper professionnellement. Les voilà assignées à une double charge d’assujettissement social et d’émancipation !

 

Faites carrière, mais rappelez-vous que vous êtes aussi les principales responsables du devenir de vos enfants !

Leurs aspirations de carrière seraient-elles rattrapées par l’expression morales des modèles traditionnels ? La culpabilité veille à ce que les femmes continuent de s’occuper de leurs familles ! Ce sont en effet les premières à exécuter le travail invisible non rémunéré, celui qu’on nomme le travail de care.

La culpabilité des mères exprime les contradictions d’une société qui devrait davantage valoriser celles qui portent les familles et favoriser le partage des tâches familiales. Car si les femmes ne s’occupent pas des enfants, qui le fera ?

 

Références:

Ammon-Chansel, L. (2021). https://www.bloomcoblog.com/post/travail-et-agencement-des-rôles-familiaux-une-enquête-qualitative-sur-la-transition-à-la-parentalité

Baumeister R. F., Stillwell A. M., Heatherton T. F. (1994). “Guilt : An Interpersonal Approach”, Psychological Bulletin, 115, 2, pp. 243-267.

Benhaïm, M. (2002). La culpabilité maternelle. La lettre de l’enfance et de l’adolescence, n°47, (49-56).

Rinaldi, R. (2019). Chapitre 4. #mamanlouve: Médias, standards éducatifs et anxiété parentale. Dans : , R. Rinaldi, Éloge des mères imparfaites (pp. 203-258). Auxerre: Éditions Sciences Humaines.

 

 

 

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