Milliardaires de Cologny – comment nous avons utilisé les données du cadastre

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“Le Temps” a publié le 24 novembre 2014, sous la plume de Mehdi Atmani, Jean Abbiateci et Olivier Francey, une grande enquête sur la commune genevoise de Cologny intitulée “Le paradis perdu des forfaitaires”. Ce travail a donné lieu à une publication print – une double page dans “Le Temps” – ainsi qu’à un long format multimédia sur le site web.

↦ Cliquez ici pour lire notre long format multimédia

Comme notre enquête précédente (lire le making-of de notre enquête sur Airbnb), cette investigation s’appuie aussi sur une démarche de datajournalisme.

Voici comment nous avons procédé et quelles ont été nos difficultés et nos réflexions.

Cologny, le paradis perdu des milliardaires

L’actualité tout d’abord: les Suisses se sont prononcés le 30 novembre sur l’abolition ou non des forfaits fiscaux, un régime fiscal préférentiel qui permet notamment aux riches étrangers de bénéficier d’un taux d’imposition relativement bas et attractif.

En marge de ce rendez-vous électoral, nous avons voulu faire un éclairage sur Cologny, qui compte plusieurs milliardaires étrangers et qui cristallise souvent les imaginaires avec ses émirs saoudiens ou ses tycoons russes.

Notre enquête s’intéresse donc aux riches étrangers de Cologny, à leur organisation, à leurs activités économiques, et à leur départ possible ou non de la commune en cas de votation favorable. Sachant que la Suisse perd déjà depuis assez longtemps son statut d’eldorado fiscal au profit d’autres destinations comme Dubaï ou Londres.

Notre base de données principale: le cadastre

Malheureusement, ces étrangers de Cologny sont souvent aussi riches que discrets. Pour mener cette enquête, nous sommes donc partis d’une base de données: le registre foncier, c’est-à-dire le cadastre de Cologny. Dès le début de ce projet, nous savions que nous voulions articuler ce travail de datajournalisme avec du reportage de terrain et de l’enquête “à l’ancienne”.

Quel fut le modus operandi de ce projet ?

Nous avons d’abord récupéré, avec l’aide d’un script informatique, les (données publiques du registre foncier) disponibles sur le site de l’Etat de Genève. Ces données sont publiques et accessibles à tous. Nous avons utilisé le logiciel OutWit pour cela.

Vous pouvez voir ci-dessous le modèle d’une fiche (nous avons enlevé le nom et la date de naissance). Les données du cadastre contiennent à la fois des données très précises (biens immobiliers, date de naissance) mais aucune sur la nationalité ou la profession des propriétaires. Et bien évidemment, le statut fiscal (au forfait ou pas) n’est pas, logiquement, mentionné.

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Avec ce “scraping”, nous avons récupéré un tableau de plusieurs milliers de lignes, pour résumer tous les propriétaires de Cologny. Il nous fallait, dans ce tableau, trouver un moyen d’identifier comment isoler les personnes les plus riches qui nous intéressaient. Et pour des raisons de temps et de ressources humaines, nous avons fait un choix.

Notre choix : villas et terrains de plus de 1500 m2

Nous avons commencé par nous concentrer sur les maisons individuelles, les villas. Et nous avons choisi de ne garder que les terrains de plus de 1500 m2. Bien évidemment, ce choix est subjectif: on peut être milliardaire dans un studio. Ou inversement, vivre dans un immense domaine en étant pauvre. Peut-être Bill Gates a-t-il un appartement à Cologny que nous avons “raté”…

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Avec ce choix (villas sur un terrain de plus de 1500 m2), nous avions donc à disposition une base de données d’environ 500 propriétaires, suisses et étrangers.

C’est là que le travail le plus difficile a commencé…

De la difficulté de croiser les bases de données

Ces données, il a fallu les enrichir. Nous avons donc cherché, ligne par ligne, la nationalité, l’origine de la fortune et la date d’arrivée dans la commune de chaque propriétaire, ainsi que son activité professionnelle.

Nous avions pour nous aider plusieurs bases de données à disposition, dans lesquelles nous avons pioché:

  • Zefix, la base de données du commerce suisse
  • Teledata, un site payant qui lui aussi regroupe plusieurs bases de données
  • OpenCorporates, une base de données ouverte sur les entreprises du monde entier
  • LinkedIn, le réseau social professionnel (pour recouper des informations)
  • La recherche Google, sans doute l’outil le plus efficace au final (là aussi pour recouper les informations)

Au début, nous avons pensé que nous pourrions automatiser ce travail. Peine perdue: une multitude de situations nous ont empêchés de le faire.

Tout d’abord, une grande partie des propriétés sont enregistrées au nom de l’épouse (nous avons par exemple échoué à identifier le propriétaire réel de l’une des plus grandes propriétés de Cologny, installé tout récemment).

Ensuite, une série de cas précis rendent ce croisement de données automatique impossible : les couples divorcés, les remariages, les noms de jeune fille, les noms composés, les fratries, les maisons enregistrées au nom des enfants (souvent des cadeaux), les propriétaires décédés, les orthographes différentes…

Au final, nous avons donc dû croiser ces données “à la main”. Et autant les informations sur les “grands propriétaires” sont très faciles d’accès, autant à l’inverse les “petits” ne sont référencés nulle part.

Quand le journalisme “traditionnel” prend le relais

Nous avons tout de même constitué notre base de données enrichie par nos soins, 200 riches étrangers que nous avons pu regrouper par nationalité, secteur d’activité et date d’arrivée (on note ainsi plusieurs vagues d’implantation depuis l’après-guerre). Plusieurs tableaux croisés dynamiques dans notre tableur nous ont permis de construire notre infographie, publiée dans le journal et sur le site du “Temps”.

Pour finir, les données publiques de la “Feuille d’avis officielle” (FAO) de Genève nous ont permis de connaître les noms et l’adresse des acheteurs, ainsi que des vendeurs de propriétés depuis 2012, avec le montant et la date de la transaction. Notre base de données ainsi complète, nous nous sommes rendus sur le terrain avec des techniques de journalisme plus traditionnelles. Ce fut d’ailleurs le plus gros du travail: interroger des promoteurs, des avocats, des politiques, qui puissent nous raconter et nous expliquer ce que nous avions pu percevoir grâce à ce travail de “datajournalisme”.

Un mot important pour finir: ces données contiennent, comme nous l’écrivions plus haut, les adresses précises de chaque résident. Nous les avons utilisées en interne pour notre enquête, de même que les dates de naissance, mais nous avons choisi de ne jamais les publier.

Le résultat de cette enquête est à lire ici.

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