L’étranger, le réfugié, l’autre

Des dealers vendent de la drogue à proximité des préaux des écoles lausannoises, des élèves sont dispensés de serrer la main de leur enseignante dans le canton de Bâle-Campagne, des femmes sont victimes d’agressions sexuelles durant la soirée du Nouvel An à Cologne, des quartiers entiers de villes en Europe sont devenus des zones de non-droit. Ces récents faits divers ont mis l’opinion publique en émoi et l’emballement médiatique qu’ils ont suscité nous rappellent que nos sociétés vivent actuellement une période de grave crise identitaire et morale.

Le coupable idéal

Partout le même coupable est pointé du doigt – l’étranger, le réfugié, l’autre. Ces noms ne sont même plus employés au pluriel tant certains partis au pouvoir, médias et individus amalgament quotidiennement les origines, le vécu et les raisons qui poussent ces populations à fuir leur pays à la recherche d’un avenir meilleur. L’autre, c’est celui qui profite des prestations sociales offertes par son pays hôte. L’autre, c’est celui qui envahit son pays d’accueil pour y réunir sa famille – trop – nombreuse. L’autre, c’est celui qui vole le travail des natifs déjà exposés à un chômage de masse. L’autre, c’est celui qui impose ses us et coutumes, ses traditions et sa religion.

Peu importe si la récente recrudescence de réfugiés en Europe a un lien direct avec l’éclatement de conflits internationaux ou que le continent compte moins de 7% de ressortissants étrangers sur son territoire, ces préjugés sont tenaces et gagnent en notoriété auprès d’une population qui voit en l’autre le coupable idéal, la victime expiatoire.

Le repli identitaire

Prenant pour cible les réfugiés qui affluent sur leurs territoires, des mouvements populistes fleurissent un peu partout en Europe. Hongrois, allemands ou italiens, ces mouvements font de la lutte contre l’immigration leur fonds de commerce et exploitent sciemment le sentiment d’impuissance ressenti par la population face aux grands défis qui l’accablent. Le repli national a ainsi pris l’ascendant sur l’ouverture promue par plusieurs pays européens au début de la crise migratoire, accentuant par la même occasion le climat de méfiance et d’hostilité à l’égard de l’autre. De nouveaux discours identitaires surgissent, cristallisant le débat public autour d’identités nationales mystifiées et de valeurs occidentales présumées, dont l’intolérance, l’exclusion, le repli sur soi et la non-assistance semblent être, selon ses défenseurs, des principes fondamentaux.

Longue tradition d’accueil

Pourtant, ces mêmes personnes préfèrent oublier que l’Europe tout comme la Suisse se sont construites grâce aux vagues successives de migrants qui sont venus trouver refuge sur leurs territoires. Que cela soit les Européens eux-mêmes après la Seconde Guerre mondiale, les Sud-américains et les boat-people dans les années 1970, ou encore les populations des Balkans lors des guerres de Yougoslavie, l’Europe a accueilli et protégé des millions de ressortissants étrangers. En Suisse, le brassage culturel est tout aussi important. En effet, ce ne sont pas moins de 2 millions d’étrangers qui sont installés en Suisse, représentant près d’un quart de sa population. Bien que plus de 80% d’entre eux proviennent de pays européens, la Suisse accueille également d’importantes populations issues des pays d’ex-Yougoslavie, d’Asie et d’Afrique. Ces différentes nationalités constituent indéniablement la richesse culturelle de notre pays qui compte plus de dix communautés religieuses, qui parle couramment près de quinze langues et qui accueille plus de 190 nationalités différentes sur son territoire. Le flux migratoire a également contribué à notre économie en permettant de satisfaire la demande de main-d’œuvre qualifiée et en réduisant le chômage, participant ainsi à la hausse du PIB annuel depuis 2002. Malgré les clichés, l’expérience de la migration en Suisse est donc quotidienne, constante et bénéfique.

La cohabitation des différentes communautés n’en demeure pas moins compliquée et les défis sont nombreux. Une récente enquête de l’Office fédéral de la statistique relève ainsi qu’un tiers des sondés se sentent dérangés par la présence de personnes perçues comme différentes, alors que 27% d’entre eux se considèrent comme victimes de discrimination ou de violence. Dans un tel contexte, comment favoriser l’intégration des réfugiés dans un pays reconnu comme très conservateur par ces derniers et dont la difficulté à comprendre les règles implicites complique leur vie au quotidien ?

Réponses locales à l’intégration

Face à l’incapacité des gouvernements à s’accorder sur l’instauration de mesures communes et audacieuses, des citoyens s’engagent localement pour accueillir ces populations d’exilés sur notre territoire et leur permettre un nouveau départ. Les cantons du Valais et des Grisons proposent par exemple des projets alliant cours de langue intensifs, formations professionnelles et accompagnement individuel. L’association Alma à Lausanne utilise le kick-boxing comme espace d’expression et de rencontre pour soutenir les jeunes migrants dans leur quotidien. Le projet théâtral Babel 2.0 a permis à des réfugiés de monter un spectacle à Genève afin de questionner le grand public sur leur condition de vie. Le projet 1 set de + à table du Service social international permet à des requérants mineurs et des jeunes adultes du foyer de l’Etoile à Genève de tisser des liens avec des familles suisses. Le projet IRIS de la Fondation Act On Your Future, quant à lui, a offert une formation de base en audiovisuel à des jeunes adultes réfugiés pour leur permettre de réaliser des courts-métrages sur leur parcours d’intégration qui ont été présentés cette année au FIFDH à Genève.

Professionnelles, sportives ou culturelles, nombreuses sont les initiatives qui cherchent à donner une place aux réfugiés dans notre société. Des acteurs cantonaux, institutionnels et associatifs mais aussi de simples citoyens répondent ainsi à leur manière au défi migratoire, préférant s’opposer au discours anxiogène, à la menace sécuritaire et au repli identitaire.

Alors que l’Aquarius attend toujours de trouver un pavillon pour continuer sa mission humanitaire, des dizaines de milliers de citoyens ont envahi les rues de Berlin pour manifester contre le racisme et l’extrême-droite. Comme une réponse face à l’inaction des gouvernements, pour contrer l’onde de choc populiste qui déstabilise nos démocraties. Car dans cette crise migratoire se joue le fondement même des valeurs sur lesquelles reposent nos sociétés : la tolérance, le pluralisme, la solidarité, la dignité humaine et l’assistance à autrui.

Au final, ne sommes-nous pas tous « l’autre » de quelqu’un ?

Keyvan Ghavami

Keyvan Ghavami est directeur exécutif et cofondateur d'Act On Your Future, une fondation genevoise qui vise à promouvoir les droits humains de manière innovante auprès des générations futures. Il a acquis plusieurs expériences dans les domaines de la philanthropie et de l’investissement d’impact et porte un intérêt particulier aux enjeux actuels de société. Keyvan est membre du Comité Human Rights Watch de Genève, membre des Global Shapers du Forum économique mondial, et ambassadeur NEXUS Suisse. Il est titulaire d’un MSc en études du développement de SOAS et a obtenu un BA en science politique à l’UNIL.

3 réponses à “L’étranger, le réfugié, l’autre

  1. Beaucoup de bonnes pensées dans cet article. Le problème réside dans la différence de vision qui s’impose entre, d’une part, les relations au niveau individuel et, d’autre part, la situation considérée dans son ensemble. Je conseille vivement le visionnement de cette vidéo au réalisme dérangeant, mais dénuée d’idéologie, pour prendre conscience de l’ampleur de la problématique migratoire qui se profile pour l’Europe: https://youtu.be/UgOJvFhpT34

  2. “Peu importe si la récente recrudescence de réfugiés en Europe a un lien direct avec l’éclatement de conflits internationaux ou que le continent compte moins de 7% de ressortissants étrangers sur son territoire, ces préjugés sont tenaces et gagnent en notoriété auprès d’une population qui voit en l’autre le coupable idéal, la victime expiatoire.”

    Je ne crois pas que la Confédération Helvétique soit beaucoup impliquées dans l’éclatement de conflits internationaux et il me semble que la proportion de ressortissants étrangers tourne autour de 20% en Suisse (et encore davantage à Genève) ==> bref, cet article mériterait d’être publié sur des sites de journaux Européens avant de l’être sur le site d’un journal Suisse. Il toucherait les interlocuteurs adéquats.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *