Le défi de l’abstentionnisme

Avec les nombreuses échéances électorales qui marquent le paysage politique en ce début d’année 2017, un mot occupe les devants de la scène médiatique : l’abstentionnisme. Tantôt décrié comme le mal de nos démocraties contemporaines, tantôt érigé en acte politique, l’abstentionnisme est un défi auquel sont confrontés bon nombre de pays occidentaux. A chaque nouvelle élection, son niveau est fébrilement scruté et analysé par de nombreux commentateurs de la scène politique. Baromètre de l’opinion publique, ce dernier atteste du degré d’adhésion de la population aux représentants politiques et à leurs actions. Le vote tient ainsi une place centrale dans notre système politique. Il permet à l’individu, à travers son bulletin, d’exprimer sa citoyenneté et de participer au bon fonctionnement de la collectivité.

Le malaise démocratique

La récente montée du populisme et les dérives autoritaires qui sévissent en Europe et ailleurs nous obligent à questionner notre modèle électoral. Force est de constater que l’abstentionnisme est symptomatique d’un certain malaise de nos démocraties occidentales qui n’arrivent plus à rassembler le peuple autour de ses représentants, de ses projets et de ses valeurs. Doit-on comprendre cet acte comme un désintérêt du citoyen pour la chose publique, comme une défiance à l’égard des institutions politiques, ou comme la volonté de voir le retour d’un état fort dirigé par un leader charismatique ?

Le projet démocratique est indéniablement en crise. Une crise de confiance tout d’abord des citoyens à l’égard des représentants politiques qui ne tiennent pas leurs engagements électoraux et qui semblent privilégier leur intérêt personnel au détriment de l’intérêt général. Une crise de la représentativité ensuite d’une élite politique de plus en plus éloignée des préoccupations du peuple et qui voit le poids croissant de lobbies privés influencer l’agenda politique. Une crise structurelle aussi d’un système politique basé sur un clivage gauche-droite dépassé qui ne répond plus aux enjeux de notre époque. Une crise idéologique finalement du citoyen devenu électeur-consommateur qui privilégie son intérêt individuel au détriment du bien commun et qui ne se sent plus porté par les idées véhiculées par les partis.

Généralisation et progression de l’abstention 

Dans un tel contexte, l’abstention se généralise. En Suisse, le taux de participation aux élections fédérales se situe entre 42% et 48%, avec une forte disparité en fonction des objets soumis au vote. La participation y est bien inférieure à celle des autres démocraties européennes qui attirent en moyenne 66% de citoyens vers les urnes lors de leurs élections législatives. En outre, la progression du taux d’abstention dans les démocraties occidentales inquiète. En effet, ces dernières enregistrent une baisse d’environ 5.5% de la participation électorale entre 1945 et 1999, la Suisse enregistrant même une chute de 34.7% sur cette même période, alors que des facteurs tels que la hausse du niveau d’instruction ou la croissance de la classe moyenne ne parviennent pas à stopper cette évolution.

Ce constat concerne avant tout les jeunes générations qui sont les premières à bouder les urnes. Avec un taux moyen de 32% lors des élections au Conseil national de 2015, la participation des jeunes aux scrutins électoraux est inférieure à celle des autres catégories d’âge. Bien que les raisons poussant les jeunes en Suisse à s’abstenir soient diverses, certaines d’entre elles méritent une attention particulière. Nous pouvons ici citer la fatigue électorale du peuple qui est appelé aux urnes tous les trois ou quatre mois sur des sujets très variés, la difficulté à comprendre les objets soumis au vote, ou encore un sentiment d’impuissance face aux nombreux défis de notre époque.

Nouvelles formes d’engagement politique 

L’abstention peut également revêtir un sens tout autre pour certains citoyens qui en font usage. Le nombre croissant d’individus de toute obédience politique appelant à s’abstenir lors des prochaines élections présidentielles en France pour exprimer leur mécontentement à l’égard des classes politiques en est un parfait exemple. Cependant, la conséquence d’une telle abstention pourrait favoriser l’élection du candidat populiste dont l’électorat se mobilise plus facilement. Sachant cela, comment alors justifier l’abstention ? Il n’en demeure pas moins que cet acte, tout comme le vote, devient ici l’expression d’un droit qui devrait être reconnu comme tel par notre système politique : un acte libre entrepris par des citoyens responsables et non comme le signe d’un quelconque déficit démocratique.

Ainsi, le vote à lui seul ne peut plus contenir toutes les formes d’engagement politique qui se sont multipliées ces dernières années, comme l’attestent les associations soutenant des causes humanitaires ou environnementales qui voient augmenter leur nombre d’adhérents. Ces nouvelles actions collectives témoignent de l’avènement d’un nouveau type de citoyenneté, questionnant nos conceptions du vivre ensemble et du bien commun au fondement même de nos démocraties participatives. Que cela soit au travers de ces initiatives ou de l’utilisation de l’abstention pour exprimer un mécontentement, notre système démocratique se doit donc de redéfinir les modalités de participation politique pour permettre à ses institutions de se rapprocher des citoyens et de les rassembler à nouveau autour des idéaux qui l’animent.