Aviron, leçon de vie n°5 : La tradition est changeante – fille dans un sport de mecs

« L’aviron, c’est un peu un sport de mec, non ? »

Il y a un mois, c’était la grève des femmes.

Et parmi les revendications : Arrêter d’enfermer les femmes (et les hommes !) dans des rôles prédéfinis. Mattéo fera du foot et Emma de la danse. Luca sera fort et rapide, Emilie gracieuse et svelte.

Le sport est peut-être le domaine où le discours « ça c’est pour les filles, ça c’est pour les garçons » est le plus flagrant. Les thématiques de genres – différences d’ordre biologique, prédispositions à la compétitivité, à la coopération, etc. – que l’on retrouve complexifiées dans le reste de la société y ressortent de manière plus « primaire », plus « animale ». *

Malheureusement, je n’ai ni l’expertise, ni les données pour vous sortir une analyse des rapports de genres dans la pratique sportive de l’aviron.

Par contre, en tant que fille dans un sport traditionnellement masculin, j’ai quelques histoires à raconter.

« Mais l’aviron, ça va te faire des gros bras, non ? »

La tradition, justement, elle m’a été racontée par mon grand-père, rameur olympique (1960 et 1964) pour la Tchécoslovaquie. Il a toujours été question de jeunes hommes universitaires, de gentlemen en vestons assortis, d’un esprit un peu mousquetaire (« un pour tous et tous pour un !»). L’image du long bateau en bois sur lequel huit mâles puissants galèrent à l’unisson sous les cris du barreur, grognent, suent, repoussent leurs limites pour passer les premiers la ligne d’arrivée.

Pas très féminin tout ça…

1960 Rome Olympics gold medal 4-man coxless gold medal crew–L-R: John Sayre, Rusty Wailes, Ted Nash, Dan Ayrault (Source: https://www.flickr.com/photos/thehappyrower)

Et pourtant, en Tchécoslovaquie déjà, mon arrière-grand-mère ramait en jupe. Quand mon grand-père a débarqué en Suisse en 1970, il s’est employé à développer, entre autre, l’aviron féminin qui était quasiment inexistant. En 1973, une course (de démonstration) a été autorisée pour la première fois aux championnats suisses et en 1974 ont été introduits les premiers championnats du monde féminins.

Bien-évidemment, les réticences étaient nombreuses.

« Ce n’est pas très esthétique, une fille sur un bateau ! »

« elles ne risquent pas de se faire mal ?! »

« bon, tant qu’on juge leur grâce et leur technique plutôt que leur force… ».

Mais les choses avaient déjà commencé à changer.

30 ans plus tard (seulement 30 ans !), j’ai commencé moi-même à ramer. Et très honnêtement, je me suis toujours sentie aussi légitime que n’importe qui sur un bateau. Ce que l’entraîneur attendait de nous et ce que l’on valorisait était pareil chez les filles et les garçons : pousser sur les jambes, s’entraîner dur, donner tout ce que l’on a. Plus question de privilégier la grâce à la vitesse. Cloques sur les mains, squatts pour faire gonfler les cuisses, longs entraînements ; les filles et les garçons à la même enseigne !

Mais c’est là que ça coince.

Parce que les diktats esthétiques, eux, n’ont pas reçu le mémo. Et il est difficile de ne pas entendre les voix – réelles ou dans sa tête, d’ailleurs – qui se permettent des petites remarques :

« Mieux vaut ne pas attirer l’attention sur tes mains en mettant des bagues, non ?! »

« Ce short avec ces cuisses, tu oublies »

« Met un top pour aller sur l’eau, sinon c’est marques de bronzage assuré !»

«Tu n’es pas gênée de te montrer toute rouge et transpirante ? ».

Petites remarques réservées aux filles, évidemment.

Au fond, les rameuses acceptent souvent, avec plus ou moins de complexes, ce que l’aviron implique sur le physique. Mais est-ce qu’il y en a que ça poussent à ne jamais commencer ? Ou est-ce qu’un sport aussi musculeux n’entre même pas en ligne de compte ?

Aujourd’hui, il y a toujours moins de filles que de garçons qui s’inscrivent à l’aviron chaque année.

Et demain, est-ce que l’aviron cessera d’être un sport de mec ? C’est déjà le cas aux Etats-Unis, où l’aviron féminin reçoit plus de financement des universités que l’aviron masculin. Aux jeux olympiques de 2020 à Tokyo, pour la première fois, il y aura autant de rameuses que de rameurs qui s’aligneront au départ, même si le nombre de compétitrices dans le monde n’égale pas encore le nombre de compétiteurs.

Comme les barrières psychologiques et les habitudes prennent forcément du temps à tomber la responsabilité des organismes sportifs entre en jeu : abattre les barrières structurelles et prêcher par l’exemple. Avec les médias, elles ont le pouvoir d’envoyer le bon message aux petites filles :

« Vous avez aussi votre place dans un club, sur un bateau, dans une salle de musculation, sur la première marche du podium ».

Et non, faire du sport ne vous ne rendra pas moins féminine.

Comme dans la société, il reste plusieurs combats à mener dans le monde de l’aviron et du sport en général (plus grande représentativité des femmes, revenus égaux, visibilité dans les médias, etc). Mais un bon bout de chemin a déjà été parcouru entre 1976 (première rameuse aux JO) et 2020 (parité homme-femme).

Les femmes ne sont plus jugées sur leur grâce, mais bien sur leur force, leur volonté, leur technique.

Comme la société, l’aviron évolue et il emporte certaines traditions dans son sillage.

 

*Sur le sujet, super intéressant:

Un Podcast “Pourquoi le sport reste encore un truc de mec”: https://www.binge.audio/pourquoi-le-sport-reste-encore-un-truc-de-mecs/)

Un article sur le soutien des athlètes femmes au moment de la maternité : https://www.nytimes.com/2019/05/22/opinion/allyson-felix-pregnancy-nike.html

Juliette Jeannet

Juliette hérite de sa passion du sport de son grand-père, ancien rameur olympique. Grâce à un esprit de club stimulant, elle s’engage dans la compétition internationale en aviron (2011 à 2013). Très active au sein du LS aviron, elle pratique et côtoie une multitude d’autres sports. En parallèle, elle vulgarise et promeut des thématiques de la transition écologique à travers des vidéos pour la Fondation Zoein.

4 réponses à “Aviron, leçon de vie n°5 : La tradition est changeante – fille dans un sport de mecs

  1. Allez les filles,
    moi j’ai bien essayé de faire de l’aviron, jeune, mais à force de me mélanger les rames et de me coincer les doigts, j’ai vite arrêté!

  2. Bonjour belle Juliette 🙂
    à propos du sport “musculeux”, qui handicaperait les filles , avce leurs “grosses cuisses” (!) , ça ne déplait pas à tout le monde, loin de là…, et les patineuses ? elles sont belles aussi ! D’ailleurs , je remarque de plus en plus de belles filles , avec des “carrés de chocolat”, qui posent pour la mode, en maillot de bain par exemple.
    Arretez de faire un complexe, les femmes “sveltes” ne plaisent qu’aux publicitaires !!!
    et la personnalité, ça n’est pas le plus important ?
    Merci pour votre blog.

  3. La photo de cet article m’a fait penser à votre blog, chère Juliette,
    https://www.letemps.ch/culture/avignon-nirvana-artistes-suisses

    Ne sais pas si une avironneuse (on dit ça?) a un aussi beau corps que cette danseuse (ou sûrement aussi celui du danseur que l’on devine)?

    Un peu comme sur la photo de votre blog, des hommes équilibrés, comme les sauteurs à la perche.
    Sans doute, une évolution des morphologies, dans le sport.

    Encore que Federer, l’élégance incarnée, me paraisse parfaitement et mieux équilibré que Nadal ou Djokovich, sans parler de Serena Williams, une monstrueuse ogresse.

    Alors, ne vous préoccupez pas de ces détails et vivez votre passion, autant que votre vie de femme, suerte 🙂

  4. bonjour,
    Extrait de “L’AVIRON” par J Manchon (début 1900) Editions NILSSON
    “Dans les promenades, c’est souvent une dame qui barre. Ce rôle lui convient à merveille; mais est-ce le seul qui lui lui soit réservé? La nage à banc fixe est pour la femme un excellent exercice qu’il faut d’autant moins lui refuser que les sports féminins sont peu nombreux. Dans certains pays, en Italie particulèrement, il y a aux grandes régates des courses dames. Nous ne disons pas que nous les approuvons. Du moins elles démontrent que si l’aviron devient parfois pour la femme un sport, il peut être à coup sûr une forme de promenade et d’exercice plus charmante, plus élégante et plus saine pour elle que l’excursion à bicyclette .”
    Heuseusement pour les cyclistes dames que le fameux J Manchon n’ait rien écrit sur le sport cycliste !

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