Solar Impulse : les ailes d’une révolution

Solar Impulse II vient d’atterrir, après quelques voltiges autour de la Statue de la Liberté devant des spectateurs fascinés, à l’aéroport John F. Kennedy de New York. Ce saut de puce depuis Lehigh est chargé de signification : « Terminer notre traversée des Etats-Unis à la Statue de la Liberté, qui représente pour moi la liberté d’entreprise et d’innovation, est si symbolique. », s’exclame l’un des deux pilotes, André Borschberg. Cette prouesse technologique n’est toutefois pas l’effort de quelques jours. Décembre 2009, Dübendorf, Solar Impulse I et ses 12’000 cellules photovoltaïques se lancent dans un ambitieux vol de 350 mètres, à 1 mètre d’altitude, sur une piste de la base aérienne de la ville. « C’était un jour extraordinaire », se souvient-il. 6’000 cellules photovoltaïques et 200 kg de batterie plus tard, Solar Impulse II est en train d’entrer dans l’histoire en réalisant le premier tour du monde en avion propulsé par l’unique énergie du soleil. Plus qu’un accomplissement technique, le projet est devenu un ambassadeur affirmé de son pays natal et la vitrine d’une révolution énergétique et sociétale. Plongeon dans l’aventure d’André et Bertrand, en halte dans la grosse pomme.

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Une arrivée théâtrale

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Samedi 11 juin, 1h30 du matin, du bout du « Pier A » sur les quais sud de Manhattan, nous apercevons une fine silhouette illuminée parmi les étoiles. Le contraste de l’éclat de la Statue de la Liberté éclairée et le noir profond du ciel newyorkais pose le décor d’un moment unique. L’avion solaire Solar Impulse, piloté par André Borschberg, vient d’entrer dans la baie de New York par la porte sud, au-dessus du Verrazano Bridge. Il s’approche lentement de l’île de Manhattan et s’apprête à aller danser avec la Statue de la Liberté avant de passer les quartiers de Brooklyn et de Queens et de se poser à l’aéroport Kennedy. Un hélicoptère qui transporte le photographe de l’équipe le suit à la trace pour immortaliser l’instant. Ce dernier n’a pas le droit à l’erreur. Cela fait des mois que l’équipe négocie et prépare cette séance photo hors du commun. Le spectacle ne déçoit pas. Tout se déroule comme initialement prévu et finement orchestré par le bras droit d’André et Bertrand, Gregory Blatt. La centaine de personnes qui attendait sagement sur le tarmac de l’aéroport acclame les deux héros, qui saluent fièrement la foule. C’est une opération réussie pour l’équipe Solar Impulse.

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En direct à l’ONU avec Ban Ki Moon

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Si l’exploit relève bien évidemment de l’extraordinaire, il serait faux de ne relever que cela. Le tour du monde de l’avion solaire helvétique a une portée bien supérieure au défi sportif que sont en train de relever André et Bertrand. À travers leur mouvement #FUTUREISCLEAN, lancé en parallèle à l’aventure Solar Impulse, les deux hommes rêvent d’un monde plus propre. Leurs exploits dans les airs doivent avoir un écho sur terre. Si l’on peut faire le tour du monde en avion sans carburant, il paraît immédiatement moins impossible d’appuyer nos habitudes et nos infrastructures sur des bases plus saines et plus soutenables. Voici donc la mission qu’ils se sont fixée : réaliser l’impossible pour repousser les limites de l’envisageable. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont été entendus. En dehors du fait que leur projet fait la une des meilleurs journaux écrits et télévisés de la planète, leur message s’est doté d’une aura particulière. Le 22 avril dernier, Bertrand était aux commandes de son bolide pour relier Hawaï à San Francisco et ainsi terminer la traversée du Pacifique qu’André avait commencée 10 mois plus tôt. Au même moment, 175 chefs d’états et leaders mondiaux étaient réunis au siège des Nations Unies à New York pour la signature historique de l’accord de Paris sur le climat. Ban Ki Moon, secrétaire général de l’organisation, introduit donc par vidéo-conférence, devant une assemblée captivée, le pilote Bertrand Piccard en direct de son cockpit. Après avoir brièvement expliqué le fonctionnement de son avion, Bertrand enchaîne : « Ce que vous faites aujourd’hui à New York est plus que protéger l’environnement. C’est le lancement de la révolution des technologies propres. Cette révolution va remplacer les vieilles technologies polluantes et inefficientes comme les moteurs à combustion, les ampoules à incandescence, les bâtiments mal isolés et les réseaux électriques inefficients. Tout cela va disparaître. Ce sont eux qui sont responsables des émissions de CO2 et de la pollution. […] Malheureusement il y a encore aujourd’hui beaucoup de résistance. Soyez des pionniers, soyez des aventuriers, soyez des explorateurs des solutions d’aujourd’hui. C’est de cette manière que nous ferons un monde meilleur. ». En regardant l’écran géant de cette salle de conférence de l’ONU, on comprend la portée et l’importance de l’impact que le message de nos deux compatriotes a réussi à avoir sur le monde. Et puis quand Al Gore, sur la scène du World Economic Forum, introduit les aventuriers André et Bertrand pour ouvrir la séance sur le climat, on comprend que Solar Impulse n’est pas une simple recherche de record, mais bel et bien une volonté de servir de locomotive à cette révolution énergétique qu’on entend arriver au galop.

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Itinéraire

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LEG 1 : 9 mars. Abu Dhabi (UAE) to Muscat (Oman) – 772km – 13h, 1min

LEG 2 : 10 mars. Muscat (Oman) to Ahmedabad (Inde) – 1,593km – 15h, 20min

LEG 3 : 18 mars. Ahmedabad (Inde) to Varanasi (Inde) – 1,170km – 13h, 15min

LEG 4 : 18 mars. Varanasi (Inde) to Mandalay (Myanmar) – 1,536km – 13h, 29min

LEG 5 : 29 mars. Mandalay (Myanmar) to Chongqing (China) – 1,636km – 20h, 29min

LEG 6 : 21 avril. Chongqing (China) to Nanjing (China) – 1,384km – 17h, 22min

LEG 7 : 30 mai. Nanjing (China) to Nagoya (Japon) – 2,942km – 1j, 20h, 9min

LEG 8 : 28 juin. Nagoya (Japon) to Kalaeloa, Hawaii (US) – 8,924km – 4j, 21h, 52min

LEG 9 : 21 avril. Kalaeloa, Hawaii (US) to Mountain View, Californie (US) – 4,523km – 2j, 17h, 29min

LEG 10 : 2 mai. Mountain View, Californie (US) to Phoenix, Arizona (US) – 1,199km – 15h, 52min

LEG 11 : 12 mai. Phoenix, Arizona (US) to Tulsa, Oklahoma (US) – 1,570 km – 18h 10min

LEG 12 : 21 mai. Tulsa, Oklahoma (US) to Dayton, Ohio (US) – 1,113 km – 16h, 34min

LEG 13 : 25 mai. Dayton, Ohio (US) to Lehigh Valley, Pennsylvanie (US) – 1,044 km – 16h, 47min

LEG 14 : 11 juin. Lehigh Valley, Pennsylvanie (US) to New York (US) – 230km – 4h, 41min

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Pourquoi ne pas faire le tour du monde d’un coup ?

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En théorie, faire le tour du monde d’une seule traite aurait été imaginable pour Solar Impulse. En effet, les batteries sont rechargées pendant le jour par les cellules photovoltaïques disposées sur les ailes et permettent ainsi à l’avion d’avoir assez d’énergie pour pouvoir rester en vol pendant la nuit. C’est en soi une petite révolution qui a d’ailleurs permis à André Borschberg de battre le record du plus long vol en solitaire en terme de temps, en reliant en juillet dernier Nagoya (Japon) à Kalaeloa (Hawaï) en 4 jours, 21 heures et 52 minutes. Alors pourquoi ne pas tenter le tour du monde sans interruption ? La particularité du vol d’André est qu’il s’est déroulé au-dessus de l’Océan Pacifique. Quand l’avion survole des terres, les conditions météorologiques sont plus difficiles à gérer. Par exemple, les massifs montagneux forment pendant l’été des courants d’air chaud qui montent dans les airs, ce qui peut former des nuages cumulonimbus et provoquer de gros orages. Ces nuages doivent être assez bas pour permettre à l’avion de les survoler, ou assez dispersés pour passer à travers. Un autre problème qui se pose au-dessus du continent nord américain est l’« allée des tornades » qui couvre une importante partie du centre des Etats-Unis. Diviser le voyage en plusieurs segments permet une meilleure gestion de ces contraintes météorologiques.

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Passage par la Chine, un symbole pour Bertrand

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En 1999, Bertrand Piccard et Brian Jones se préparent – aux commandes du Breitling Orbiter 3 – à entamer le premier tour du monde en montgolfière. Alors que tout est planifié, la Chine – à la suite d’une tentative similaire infructueuse de Richard Branson et de son co-pilote Steve Fossett – interdit tout survol du pays en montgolfière. Cette nouvelle atterre l’explorateur vaudois qui s’était pourtant rendu personnellement en Chine l’année précédente pour négocier son passage au-dessus de l’empire du milieu. Après de longues négociations, ils trouveront finalement un compromis qui obligera l’équipage à passer en-dehors d’une certaine zone couvrant la majorité du pays. Cette contrainte supplémentaire compliquera grandement l’immense défi qui attend les deux hommes. 17 ans plus tard, c’est donc tout un symbole pour Bertrand que d’avoir pu atterrir avec Solar Impulse dans les deux villes chinoises de Chongqing et Nanjing.

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Le futur de l’aviation

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Si l’aventure Solar Impulse est aujourd’hui possible, cela veut-il dire que nos avions de ligne voleront également à l’énergie solaire dans quelques années ? « Peu probable dans un futur proche », explique Bertrand Piccard avant de rappeler tout de même que les frères Wright n’imaginaient pas, lors de leur premier vol en 1903, pouvoir un jour transporter des passagers. Si ce n’est pas à l’énergie solaire, il tient le pari que dans 10 ans, des vols commerciaux de courte distance transporteront 50 passagers dans des avions entièrement électriques. Mais pour avoir une vision de long terme, il convient plutôt selon lui de se tourner vers des projets comme celui de son ami Richard Branson, Virgin Galactic. Le but du milliardaire suédois est tout simplement la création d’une navette spatiale commerciale. Avec Burt Rutan, ils rêvent de pouvoir voir de leurs vivants la naissance du tourisme spatial. Bertrand voit également en ce projet le début du transport aérien suborbital (à plus de 100km d’altitude) : « Pouvez-vous vous imaginer un décollage en Europe avec une énergie propre, une ascension à 100 km d’altitude suivie par un vol parabolique vers l’Australie et un atterrissage après une heure ? Avec l’expérience de l’apesanteur pour le même prix. C’est ainsi que je conçois l’avenir des transports aériens commerciaux. ».

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Traversée de l’Atlantique

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Si le dernier vol n’a duré que quelques heures, le suivant sera nettement plus éprouvant pour Bertrand qui aura la lourde tâche de traverser l’Océan Atlantique. Selon les conditions météorologiques, l’avion devrait être dans les airs pendant 3 à 6 jours. La ville de destination n’est pas encore connue. En effet, les forts vents au-dessus de l’océan pourraient faire fortement dériver l’avion. L’équipe a donc pour l’instant sélectionné plusieurs aéroports allant de l’Irlande au Maroc. La destination de rêve serait l’aéroport de Paris-Le Bourget, en référence au vol de Charges Lindbergh en 1927, qui – étant également parti de New York – fut le premier vol transatlantique en solitaire. Le tout pour Solar Impulse sera maintenant de trouver la meilleure fenêtre météo pour pouvoir mener à bien cette étape cruciale. Même si cette halte à l’aéroport John F. Kennedy est loin d’être désagréable, il ne faudrait pas trop tergiverser. « Après le 21 juin, les jours vont commencer à se raccourcir. Cela veut dire plus de pression à agir vite, ce qui peut potentiellement nous pousser à prendre de mauvaises décisions », explique André Borschberg.

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Dans les alentours du mois d’août, l’avion devrait atterrir à Abu Dhabi, d’où il avait commencé son tour du monde en mars de l’année dernière. Le complètement de cette aventure n’est toutefois pas la finalité. Solar Impulse a réellement pour but d’envoyer un message aux citoyens du monde, d’éduquer la jeunesse et de s’assurer du bien-être des générations futures. Faire le tour du monde ne ferait que renforcer ce message déjà si puissant : « Ce que nous faisons est toujours considéré comme impossible et le sera jusqu’au moment où nous atterrirons à Abu Dhabi », explique Bertrand Piccard au micro de la RTS. Mais si par malheur il devait ne pas arriver à bon port, nous retiendrons surtout que si l’on peut voler jour et nuit avec un avion solaire, nous pouvons sereinement entamer notre voyage dans ce nouveau monde libre d’énergies fossiles. Pour terminer par les mots du pilote : Solar Impulse, « Un avant-goût de ce que le monde pourrait être : propre, efficient et respectueux de l’environnement. Les solutions existent. Nous devons simplement avoir le courage de renoncer à notre dépendance aux vieilles technologies et briser le rempart de nos habitudes. ».

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J.G.

Julien Grange

Julien Grange a fait ses études d’économie entre HEC Lausanne et la Stern School of Business de NYU, New York. Il vit aujourd’hui à Londres et travaille pour une entreprise active dans le développement et le financement de projets immobiliers en Europe. Il se passionne pour le devenir du monde et celui de ses habitants. En tête de sa liste pour le Père Noël chaque année : une boule de crystal. Elle n'est pas encore arrivée, mais elle ne saurait tarder.

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