Le RBI a-t-il sa place dans la 4ème révolution industrielle ?

Nous sommes à la veille de changements titanesques dans nos habitudes de vie, de consommation et surtout de production. Les nouvelles technologies nous ont apporté des solutions, puis des améliorations et aujourd’hui des optimisations. Le progrès technique est en passe de remplacer l’être humain à bien des échelons. Cet accomplissement d’un vieux rêve de l’humanité que décrit le World Economic Forum, pose néanmoins une question : Comment faire pour être du bon côté de cette 4ème révolution ?

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Mes rimes ne suffiront certainement pas à masquer les potentiels côtés sombres de ce nouveau monde. Le vice-président américain Joe Biden inaugure le rendez-vous de Davos en mettant en garde : « Will it be for better or for worse ? ». Le rapport du WEF, malgré les louanges qu’il accorde au phénomène, parle de la perte de 7 millions d’emplois d’ici à 2020, pour seulement 2 millions de nouveaux emplois créés. On comprend rapidement que le monde va se retrouver face à un défi de taille : celui d’adapter – comme en 1784 (machine à vapeur), 1870 (division du travail, électricité) et 1969 (électronique, IT) – l’offre de travail à la demande. Sauf que cette fois-ci, la vitesse du changement est toute autre. 65% des enfants entrant aujourd’hui à l’école primaire auront un métier qui n’existe pas encore.

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À voir : Vidéo du WEF

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Je ne remets pas en question le fait que le marché du travail va s’adapter, c’est une évidence. Je me demande uniquement comment faire pour en limiter les conséquences négatives. À notre échelle nationale, nous sommes tous d’accords sur le fait qu’une des clés de cette réussite va se baser sur l’innovation et l’entrepreneuriat. En soutenant la recherche et l’esprit d’initiative, nous arriverons à augmenter notre productivité et notre compétitivité. Jusque-là, pas de débat. C’est plutôt la manière d’y arriver qui crée bataille.

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Quelques semaines après la fin du sommet grison, est apparue sous les feux des projecteurs l’initiative pour un Revenu de Base Inconditionnel (RBI), pour laquelle nous allons voter le 5 juin prochain. Chaque habitant du pays, peu importe ses origines ou son revenu, recevrait une somme d’argent chaque mois lui permettant de vivre. Les initiants suivent la théorie suivante : en garantissant un revenu minimum à chaque individu, on lui ôte une « peur existentielle » liée au financement de ses besoins de base, ce qui renforcerait sa capacité d’initiatives personnelles, et donc encouragerait l’entrepreneuriat et l’innovation. C’est le pari de dire que sans pression financière, le travailleur sera plus libre et plus inventif, mais c’est aussi celui de dire que sans incitation financière, il continuera à travailler. C’est pour beaucoup un pari risqué, trop risqué même. On peut ne pas s’entendre sur des détails de mise en place et de financement sur lesquels je reviendrai plus tard, mais la question qu’il faut se poser avant tout est la suivante : « Va-t-on continuer à travailler si on nous donne à manger ? ».

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Et si tout allait bien ?

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Il est vrai que les retombées sociales de la mise en place d’un tel projet pourraient en théorie être positives. Selon les initiants, 60% des activités qui contribuent à la création de richesses sont non-rémunérées : éduquer ses enfants, assister ses proches, se former, travailler bénévolement, ou encore développer l’art ou la culture. Un revenu de base inconditionnel permettrait de rémunérer ces activités et donc – par incitation – de potentiellement les améliorer. On pourrait même imaginer que cela réduise certaines dépenses de l’Etat. On pense également à la simplification du système des assurances sociales qui verrait sa tâche de vérification allégée. On pense à l’augmentation du pouvoir de négociation des travailleurs face aux employeurs, ce qui les mènerait à un emploi qui leur convient mieux et donc augmenterait leur bonheur, leur productivité et même leur créativité. Finalement, le RBI permettrait de soutenir les travailleurs – devenus obsolètes à cause de ces fameux progrès techniques et technologiques – dans leurs formations.

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Un risque considérable

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Mais toutes ces vertus sont véridiques dans un monde où la réponse à la question que j’ai posée quelques lignes plus haut est « oui ». Les initiants ont beau avoir « sondé » la population, si on se trompe sur cette nature fondamentalement bonne de l’être humain, si on se trompe sur sa motivation à se lever le matin à la même heure qu’avant, si on se trompe sur sa volonté de travailler pour autre chose qu’une rémunération de base, c’est notre économie toute entière qui va s’effondrer. Les jeunes en apprentissages arrêteront de se former, les rues ne seront probablement plus balayées, les taxes qu’on devra inévitablement imposer pour financer le système ne seront pas compensées par le gain de productivité espéré, les entreprises perdront en attractivité internationale, ce qui fera chuter les revenus du tissu économique helvétique, qui lui-même finance le RBI. C’est pour moi prendre un risque démesuré dans un contexte actuellement aussi instable. Ce risque est d’autant plus grand que nous l’appliquerions en premier et seuls. Le couteau sous la gorge qu’auront les pays voisins les poussant à se réinventer, jouerait un rôle majeur dans la prise d’un retard considérable d’une Suisse avec RBI. Un RBI mondial appliqué à toutes les nations en même temps est toutefois une histoire complètement différente qui méritrait la rédaction d’un article supplémentaire.

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Pour en revenir à la situation face à laquelle nous nous trouvons dans le cadre des votations, je ne nie pas que l’Etat va devoir jouer un rôle d’aide aux personnes se retrouvant sans emploi ou que la 4ème révolution industrielle aura des conséquences néfastes sur notre économie. Mais il sera de notre devoir de les assister dans la prise en charge de leurs besoins vitaux à travers l’assurance chômage, de les assister dans leurs formations et de les entourer dans la recherche d’un nouvel emploi. Je ne nie pas non plus que nous allons devoir redoubler d’efforts pour booster l’innovation et l’entrepreneuriat dans le pays en investissant dans des incubateurs, accélérateurs, programmes d’aide aux entrepreneurs, Universités et subventions à l’industrie. Mais nous devons et allons le faire avec un système qui ne prend pas le risque de compter uniquement sur la motivation et la bonne volonté d’individus. Affaire à suivre.

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Julien Grange

Julien Grange a fait ses études d’économie entre HEC Lausanne et la Stern School of Business de NYU, New York. Il vit aujourd’hui à Londres et travaille pour une entreprise active dans le développement et le financement de projets immobiliers en Europe. Il se passionne pour le devenir du monde et celui de ses habitants. En tête de sa liste pour le Père Noël chaque année : une boule de crystal. Elle n'est pas encore arrivée, mais elle ne saurait tarder.

4 réponses à “Le RBI a-t-il sa place dans la 4ème révolution industrielle ?

  1. Je suis du même avis, et contre un rbi . Les risques sont trop grands , même si l’idée fondamentale semble attrayante , les conséquences économiques et finalement sociales me paraissent trop dangereuses

  2. Le RBI ne créée pas la raréfaction ou la démotivation à l’emploi. C’est l’emploi lui-même: l’ubérisation, grains de productivité, numérisation, “technologisation”, robotisation alogorithmatisation et blokchain qui provoqueront la raréfaction et ou précarisation de l’emploi salarié ! le RBI permet l’adaptation administrative souple et délicate au changement de paradigme social, culturel, économique et ontologique (c’est un simple outil administratif et pas une idéologie “infra-politique” càd victime de sa bureaucratie) du 21siècle. un simple contrat social et “civilisationnel” une oxygénation et pacification sociétale. On envoie des satellites aux confins de la galaxie et on ne pourrait pas financer le RBI ? soyons sérieux ! la taxe chesney/Bollinger =0,2 % des transactions commerciales économiques et financières permet aisément -et de manière “parfaitement indolore”- de financer le RBI … ou monnaie pleine à venir ! d’autres financements plus classiques sont aussi réalistes et réalisables. Evidement que le rBI est finançable… et même aisément !

  3. Si je vous ai bien compris c’est, en gros, bouffer ou être bouffé.
    C’est fou de vérifier chaque jour à quel point notre système compétitif a exacerbé nos craintes.
    Et si nous pouvons nous réjouir de la qualité de vie que nous avons atteinte, il serait temps de commencer à faire confiance à l’intelligence et accélérer le basculement vers la collaboration librement consentie.
    Si le besoin de se surpasser semble inhérent à notre nature, ce qui devrait au passage vous rassurer sur nos intentions de continuer à travailler, cette tendance est devenue caricaturale dans le sport. Les athlètes ont librement consenti de se saborder pour monter sur des podiums et ravir une audience de voyeurs en quête d’exploits par procuration, en bouffant des chips devant l’écran. Plus un seul sport n’est resté “propre”. La dérive de ce trait devient caricature. On parle de système d’assurance sociale pour assister ces êtres sacrifiés sur l’hôtel du spectacle permanent et très lucratif. Des actions en justice vont contraindre les promoteurs à indemniser ces athlètes pris au berceau et conditionnés pour entretenir l’illusion.
    J’ai confiance dans la vie, dans l’homme qui n’est ni bon, ni mauvais, mais qui a un potentiel d’amélioration. Le chemin est long, les mutations lentes. Mais l’économie collaborative qui se profile dessine un monde qui relèguera le système compétitif au rang des pathologies.
    Mais il faudra rester vigilants, car sous cette appellation alléchante du partage se cachent des prédateurs comme Uber qui surfent sur le changement de paradigme pour s’en foutre plein les poches en exploitant les esclaves des temps modernes.
    Le RBI diminuera considérablement leur pouvoir de nuisance. Il s’imposera à terme de manière universelle. Il est un des piliers de la révolution numérique qui permettra l’accélération de la mutation et l’explosion de la créativité humaine.

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