De la nourriture électorale

Le débat sur l'avenir de notre nourriture ne semble pas passionner les commentateurs des élections fédérales. Et pourtant, la Suisse va vivre dans les 4 ans qui viennent, un débat assez unique au monde, celui de son alimentation.

Elles sont 4 initiatives à se bousculer au portillon. Certaines ont déjà abouti (Pour la sécurité alimentaire de l'Union suisse des paysans, Contre la spéculation sur les denrées alimentaires des Jeunes socialistes), d'autres sont sur les rails (Pour des aliments équitables des Verts et Pour la souveraineté alimentaire du syndicat paysan Uniterre).

Unique au monde ce débat, parce que la population suisse, qui vit l'industrialisation de la nourriture dans son quotidien, jusqu'à la nausée … va pouvoir ajouter son grain de sel. Ailleurs, malgré les initiatives citoyennes pour sortir du supermarché, les décisions sont l'appropriation stricte à défaut des gouvernements, des multinationales de l'agro-alimentaire qui imposent leur libre-échangisme mondial.

Une petite enquête toute récente sur environ 600 candidats 2015 dans toute la Suisse donne la mesure des sommes folles que va devoir engager, sans tarder, le secteur de la malbouffe pour nous convaincre du contenu de "leur" assiette.

Bizarrement, les 4 initiatives passent la rampe des 600 consultés. Certes, avec des différences, mais toutes, pour l'heure ! En tête celle de l'USP, mais très vite derrière celle d'Uniterre. Bien sûr, avec une Romandie plus favorable que le reste du pays. Et la ligne de démarcation traverse les clivages gauche-droite, avec des candidats de droite qui doivent montrer leur inquiétude sur la destruction exponentielle de la paysannerie.

On verra… Et les sommes colossales qui vont être engagées (prises sur notre nourriture, comme pour les caisses maladies) et la résistance du bon sens populaire face aux affameurs climatiques.

Personne ne parle de ce débat qui s'annonce. Raison de plus pour signer toutes les initiatives qui restent. Les surprises ne sont pas exclues. Il est grand temps de pouvoir choisir la sauce que nous voulons manger.

Et voilà l’enzyme OGM autorisée dans le pain !

A peine la session parlementaire de printemps bouclée (comme par hasard !), voilà que la Confédération annonce qu'une enzyme issue de bactéries génétiquement modifiées poura être utilisée dans la fabrication du pain…

Et les autorités fédérales sont formelles: il n'y a sucun danger pour les mangeurs ! Le Danemark le fait depuis 1992, la France depuis 1993 et le reste de l'Europe aussi.

Désormais, les fabricants n'ont pas besoin d'écrire sur l'étiquette, la mention OGM.

Sur un produit de fabrication millénaire, nous n'aurons plus le droit de savoir. Bonjour la transparence !

Alors qu'il y a une majorité populaire évidente pour le moratoire OGM dans notre pays, la Confédération fait un cadeau à l'industrie alimentaire. En vérité, il n'y a aucun besoin d'utilisation de cette enzyme pour faire du bon pain. Il s'agit principalement de battre en brèche le principe de transparence, en plus sur un produit hautement symbolique de la nourriture.

Dorénavant, il ne reste plus qu'à demander à son boulanger préféré, s'il ne nous roule pas dans la farine.

Le débat sur les OGM s'annonce ardu pour la communauté de la nourriture.

 

 

 

Le goût des autres

Obésité au nord, faim au sud, malnutrition partout. Et si notre problème était la solitude alimentaire, qui nous a fait perdre l’amour de la nourriture ?

Sans aucun doute l’industrie agro-alimentaire a ses programmes planifiés sur les aliments que la planète consommera dans les années futures. Il n’y a pas de doute aussi que la destruction des modes de vie, la mobilité et les horaires de travail ont mis au rencart la question de la nourriture quotidienne, dernier poste du budget des familles…

Le plus grave de tout cela, c’est que nous avons perdu le goût des autres.

Le goût de la communauté, paysans ou éleveurs qui nous nourrissent toute l’année. Le goût du manger ensemble autour d’une belle tablée et de regards partagés. Le goût de la cuisine, comme alternative quotidienne au prémâché standardisé. Et aussi le goût de la transmission de valeurs à nos enfants.

Mais il n’y a pas de fatalité à cela ! Et surtout, cela ne sert à rien de se lamenter contre des acteurs financiers, qui font leur beurre certes, mais dont nous sommes pour l’instant les meilleurs alliés de la destruction de la biodiversité culinaire. Malgré nous.

Au fond, nous avons un pouvoir sur cette situation. Alors, prenons-nous en main ! Devenons maîtres de notre nourriture !

La Semaine du Goût, c’est d’abord cela. Prendre le temps de se poser de bonnes questions et prendre des résolutions pour soi-même, sa famille, ses amis, tout en voyageant au rythme des découvertes dans le pays et ses régions. Bref, une plateformes joyeuse d'amitiés culinaires.

Disco Soupe, comme plat de résistance

C'est parti d'Allemagne, une sorte d'interprétation de la Vokü (Volksküche) et le spectre s'étend sur tous les continents.

Collectif, solidaire et convivial, tout un programme. La Disco Soupe, comme acte de résistance festif à une société de gaspillage généralisé. L'acte de gratuité par essence, basé sur la récupération de légumes ou fruits non conformistes des grands groupes alimentaires, qui eux-même excluent les produits hors-normes de la communauté qui nous nourrit.

Eplucheurs au poing, la population est invitée à faire bouillir la marmite et à la déguster en dansant, comme pied de nez à la solitude alimentaire qui nous a envahis.

Slow Food est en train d'en faire sa marque de fabrique dans plusieurs pays. Il y a du retour du collectif là-dedans, de la nostalgie des grandes tablées, qui rythmaient le quotidien avec des produits de simplicité gustative. Un spontanéisme bienvenu et volontariste contre le gaspillage alimentaire.

Car, avec près de 40% de nourriture jetée dans notre pays, le propre-en-ordre a transformé les dates de péremption en ordre de marche militaire sans jugeote. Finalement, le pendant de cette bouffe insipide, sans valeur qui ne nourrit plus son homme ou sa femme, prend le chemin direct de la poubelle. La nourriture trop bon marché fait le lit de la disparition programmée de la paysannerie. Le consommateur d’Europe ou d’Amérique du Nord gaspille entre 95 et 115 kg de bouffe par an, alors que le reste du monde en est "encore" entre 6 et 11kg… Mais le progrès tant attendu viendra, pas d'inquiétude.

Alors, le mouvement de résistance est lancé. La prochaine Disco Soupe aura lieu à Lausanne le 10 avril entre 15 et 19H à la Place de l'Europe. Pas besoin de réserver, mais de passer.

Pas de souveraineté alimentaire sans OGM !

Il y a parfois des retournements passionnants. Celle du Centre patronal vaudois sur les OGM est un délice gustatif, à défaut d'être intellectuel.

Voilà donc l'organisation patronale qui prend fait et cause pour la souveraineté alimentaire. Ce qui est nouveau. Mais cela se fait, c'est paraît-il politiquement correct désormais…

Mais voilà, la définition de la souveraineté alimentaire patronale vaudoise n'a rien avoir avec celle de Via Campesina, l'organisation syndicale qui représente près de 200 millions de paysannes et de paysans dans le monde.

En l'occurrence, il s'agit plutôt du concept fumeux d'autarcie agricole ou viticole (selon les heures…).

Maintenant que la souveraineté alimentaire est entrée dans la politique agricole 2014-2017, on va l'utiliser pour nous faire bientôt bouffer les OGM dans notre assiette.

Evidemment, il fallait y penser. Et c'est logique non ? Si la Suisse ne produit que 50% de ce qu'elle mange, il faudra bien nous adapter à d'autres techniques plus modernes d'engraissement humain. Alors, pourquoi fermer la porte aux OGM ? Ce serait suicidaire non ? Imparable.

La coexistence entre cultures OGM et non-OGM a été au centre de la consultation qui vient de se terminer par la Confédération. Pour l'instant, le moratoire va tenir jusqu'à fin 2017. En 2018, nous allons savoir à quelle sauce le lobby agro-industriel va nous dévorer.

D'ici là, le débat est engagé, mais les opposants aux cultures OGM ont du souci à se faire. Si les souverainistes alimentaires commencent à se travestir pour faire pousser leurs rhubarbes transgéniques, le choc des cultures va être rude.

On mérite les lasagnes au canasson !

Laissons de côté pour l'heure ceux qui ne voient pas le problème: veau, cheval, boeuf, cochon, c'est tout de la viande non ?

Laissons aussi sur le bas-côté les soudains tiers-mondistes, qui se la jouent misérabilistes: ça sentirait le richeton de se préoccuper de choix de viande.

Reprenons donc.

Tout ce qui arrive en terme de manipulation alimentaire, ingurgitée en intraveineuse ou par voie buccale n’est que la conséquence logique de la marchandisation industrielle de la nourriture. Il ne sert à rien de se lamenter. Il y a en premier les responsables de ce système agro-alimentaire, mais il y a aussi les co-responsables, les collabos que nous sommes tous devenus avec les années de cette bouffe insipide.

Nous avons appris à l’avaler sans questions, par insouciance, par manque de temps (!) ou refus de résistance.

Les scandales alimentaires qui se multiplient, exigent l’absolue priorité à la production et à la consommation alimentaire locale. Nous allons droit au mur avec cette exploitation économique qui pourrit la nourriture et dégrade l’environnement.

Au lieu de prendre plaisir à manger, la nourriture va finir par nous dévorer.

Cette logique est mortelle. Non seulement parce qu’elle provoque obésité et malnutrition sur la planète. Mais parce qu’elle détruit la petite paysannerie, qui est notre communauté nourricière.

Refusons l’opposition entre petits producteurs et consommateurs que nous distille la grande chaîne des multinationales de l’agro-alimentaire. Nos intérêts sont communs entre des producteurs qui veulent être payés au juste prix et les mangeurs qui luttent pour une nourriture qui nourrit vraiment, sans fraude, le corps et la tête.

Nous sommes confrontés à un développement monstrueux en très peu de temps, qui détruit les systèmes alimentaires locaux millénaires.

Notre résistance doit consister à constituer des chaînes courtes, des chaînes de proximité. Chaque projet d’agriculture contractuelle est un pôle de résistance. Ce qui compte, c’est que les gens nouent des liens, non pour parler seulement de vente et d’achat de produits, mais pour un projet de société commune fondée sur le respect mutuel et la préservation de la biodiversité locale.

Alors, mettons en pratique quotidiennement la souveraineté alimentaire par des actes. Au coin de la rue, il y a le mouvement associatif Slow Food (www.slowfood.ch),qui se développe actuellement en Suisse romande, il y a aussi les dizaines de projets d’agriculture contractuelle de proximité regroupés au sein de la FRACP (www.acpch.ch), sans oublier les mouvements comme Kokoppeli pour la libération de la semence (www.kokopelli-suisse.com) ou la Semaine suisse du Goût qui a lieu en septembre dans tout le pays (www.gout.ch).

Exigeons aussi que les pouvoirs publics, les services publics s’approvisionnent dans le cadre de l’agriculture de proximité. C’est aussi pour cela qu’il faut lutter pour que tout le réseau scolaire de la crèche aux centres de formation s’alimente à travers le réseau de l’agriculture contractuelle. C’est pour cela que nous devons promouvoir l’éducation au goût et au plaisir du goût dans toute la vie en société.

Bref, nous devons arracher au cercle de la marchandise, le bien commun que constitue la nourriture.

Sinon, nous mériterons les lasagnes au canasson !

Semences Occupy

La Cour de Justice de l'Union Européenne a pour l'heure désavoué l'association Kokopelli. De quoi s'agit-il ?

D'un côté Kokopelli, l'association française qui se bat depuis 20 ans pour la libération des semences et de l'autre le loby semencier représenté par l'Européan Seed Association. Pour l'heure, les semences enrobées de pesticides Cruiser ou Gaucho, celles qui nous empoisonnent la vie depuis un demi-siècle, sont  reconnues dignes de "productivité agricole accrue".

Ouste donc, le commerce de semences de variétés anciennes, héritage de décennies de préservation du patrimoine ! Leur mise hors-la-loi semble donc bel et bien programmée sous la pression des multinationales.

Les semences de petits producteurs, des associations de défense de la biodiversité, des jardiniers fous n'ont pas la chance d'être des tournevis ou des marteaux… pour lesquels il n'existe aucun Catalogue officiel.

Et la situation s'aggrave sur l'ensemble de la planète. Le Mexique, berceau historique du maïs a perdu 80% de ses variétés traditionnels. L'inde avait 2000 riz différents, il en reste 50. L'humanité avait 8500 espèces végétales pour son alimentation, ele se résout à consommer maïs et soja chimériques…

Pendant ce temps, l'hydre OGM s'étend, comme par hasard dans les pays du tiers-monde. La course de vitesse avec la résistance paysanne est devenu un enjeu de société.

Car la liberté des semences est un droit de l'homme, un droit écologique, économique et culturel.

Dans tous les pays se créent des cercles de résistants inquiets pour la sécurité alimentaire et nutritive, inquiets de la monoculture qui s'étend. C'est la petite paysannerie et la souveraineté alimentaire qui est en jeu derrière cet énorme brevetage du vivant. Et à terme la mort du goût. Les grandes tables de France qui s'approvisionnent directement auprès des semences libres ne s'y trompent pas…

En une année, la toute jeune association Kokoppeli-Suisse a déjà recueilli l'adhésion de 400 personnes. Un signe.

Comme le dit Vandana Shiva. écologiste indienne, prix nobel alternatif 1993: "Occupons nos semences !"