Plutôt bâton ou carotte pour votre stratégie d’entreprise ?

Le respect des droits de l’homme et de l’environnement est une exigence autant qu’un atout pour les affaires. Il est surprenant de voir agiter le spectre du principe de fragilisation économique, surtout au moment où la bonne gestion de ces aspects s’est révélée source de résilience en temps de crise et d’acquisition de part de marché.

Un regard rétrospectif sur l’histoire du développement économique démontre qu’un cadre réglementaire sensé et proportionnel s’avère plus bénéfique que néfaste : l’interdiction du travail des enfants dans les mines en Europe, de l’esclavage aux États-Unis et ailleurs, l’instauration d’un droit à la liberté syndicale, aux congés maternité et paternité, ou encore les congés-payés et l’assurance chômage ou maladie… Quel que soit le nombre d’exemples, force est de constater que l’intervention réglementaire a contribué à l’intérêt général sans créer de dommages économiques aux entreprises à long terme, bien au contraire.

Nous voterons le 29 novembre pour déterminer si nous souhaitons que toutes les entreprises suisses, contrôlant leur chaine de valeur, respectent les mêmes règles du jeu en matière de droits humains et environnementaux. Il s’agit de créer des conditions de concurrence saines et équitables, dans lesquelles les entreprises qui ne respectent pas leur devoir de diligence seront tenues pour responsables des dommages qu’elles ont causés et qui leur sont juridiquement attribués. L’instauration de conditions de concurrence équitables explique pourquoi de nombreuses entreprises suisses s’engagent activement en faveur de cette initiative.

Comme nous l’avons vu, historiquement l’évolution des cadres réglementaires a favorisé la création de valeurs et de richesses qui, ne l’oublions pas, n’ont jamais été aussi massives qu’aujourd’hui.

L’initiative pour des entreprises responsables vient renforcer la valeur immatérielle des entreprises suisses en s’assurant que les quelques mauvais élèves qui ont des pratiques dommageables pour l’humain ou l’environnement ne détruisent pas la réputation de toutes les entreprises helvétiques ni ne réduisent les opportunités commerciales à l’étranger.

La Suisse fait-elle cavalier seul en 2020 en proposant l’adoption de règles contraignantes afin d’encadrer les pratiques des entreprises ? Non. En France, une loi sur le devoir de vigilance existe depuis 2017. Depuis l’adoption de cette loi, seules trois procédures ont été lancées contre des grandes entreprises françaises pour manquements aux droits humains et aux standards environnementaux. D’autres procédures sont également en cours, notamment en Grande-Bretagne, où la Cour suprême a reconnu la compétence des tribunaux anglais pour juger de la responsabilité d’une société-mère pour un cas en Zambie. La Commission européenne a annoncé cette année la préparation d’une loi contraignante sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains et environnementaux pour 2021, allant au-delà de la simple obligation de signalement déjà existante au niveau européen. Notons au passage qu’il serait donc absurde d’imposer au niveau suisse une simple obligation de publier des rapports, comme le préconise le Conseil fédéral dans son contre-projet à l’initiative, alors que l’expérience de signalement simple au niveau européen a été jugée insuffisante et que les grandes entreprises publient souvent déjà des rapports non-financiers. L’initiative soumise au peuple le 29 novembre prochain permettrait d’aligner la législation suisse avec le droit continental existant et à venir.

La Suisse fait déjà preuve de leadership en matière de pratiques anti-corruption. En janvier 2021, l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les marchés publics mettra sur pied d’égalité les critères de responsabilité sociale et environnementale et le critère de prix dans l’attribution des marchés publics. La montée en puissance des critères de durabilité et la fin de la prééminence des aspects purement financiers se confirment, et participent à redéfinir le rôle des entreprises dans la société. Entre ces législations édictées au niveau national et la tendance internationale, accepter l’initiative pour des entreprises responsables me paraît tout simplement être une affaire de cohérence et de positionnement stratégique dans le monde actuel.

Le respect des droits humains est aujourd’hui non seulement une attente claire de la part des citoyens envers les entreprises, mais représente également un atout pour les relations commerciales et les affaires. En effet, une entreprise ayant mis en place des mesures pour s’assurer du respect des droits humains dans sa chaîne de valeur pourra ainsi le garantir à ses clients et ses partenaires, qui souhaitent sans nul doute éviter de se retrouver associés à des affaires douteuses ou des scandales.

Il vaut la peine de réaffirmer l’importance de la préservation de la réputation helvétique, car elle représente un atout non négligeable pour les affaires de la Suisse à l’étranger, mais aussi pour sa crédibilité diplomatique sur la scène internationale.

Il est temps d’accorder aux principes de respect de la vie humaine, de la dignité, et de l’environnement naturel la place qu’ils méritent dans nos sociétés. Leur défense ne peut plus être uniquement tributaire d’actes volontaires, à l’agenda uniquement en cas de litige ou d’intérêt marketing. Au regard des enjeux et des transformations profondes au-devant desquelles vont les entreprises pour répondre au dépassement des limites planétaires et aux attentes sociétales actuelles, ces nouvelles règles semblent mineures.

Nous assistons à un mouvement de fond pour redéfinir le rôle du capitalisme et y intégrer la performance extra-financière des entreprises. L’impact que ces entreprises ont sur leurs parties prenantes – dont l’environnement et les communautés locales – en fait partie. Le bâton réglementaire devient donc un instrument pour accélérer le changement inévitable, la carotte un levier de performance globale assurant la pérennité de l’entreprise dans le temps. Ce sont les nouveaux impératifes du 21ème siècle.

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Jonathan Normand

Expert en innovation sociétale et gouvernance, Jonathan Normand a travaillé 12 ans au sein d’établissements internationaux avant de créer le cabinet de conseil Codethic en 2009. Spécialiste de l’amélioration de la performance globale et de la croissance durable, il se passionne pour l’évolution de l’économie et en étudie les tendances et les ruptures. Dès 2014, il participe au lancement de B Lab en Europe, qui est chargé de déployer le mouvement B Corp. Il fonde et dirige B Lab Suisse depuis 2017, une organisation d’utilité publique promouvant les outils de mesure d'impact socio-environnemental et la certification B Corp. Il est également l'architecte du programme d’engagement Swiss Triple Impact et contribue à la recherche académique pour une économie inclusive, circulaire et régénératrice. Board member de Chapter Zero Steering committee Swiss Leader Initiative Academic Fellow School of Economic University of Geneva