6 minutes – 1/5 Les impératifs du nouveau monde
Télétravail, achat local, solidarité, prise de conscience des rares éléments « essentiels » et des nombreux aspects « utiles » ou plutôt … « futiles » de nos vies ou encore introspections sur les composantes du bien-être. Parmi les innombrables articles, reportages et vidéos sur le coronavirus, un thème a fait sa place et bénéficie d’un traitement sans cesse renouvelé : la remise en question de nos habitudes, de nos comportements individuels et collectifs, plus largement, de nos acquis.
L’exercice peut être appliqué à chacune des facettes de nos quotidiens et amène invariablement à une même interrogation : cette crise va-t-elle consolider les transformations nécessaires pour assurer un développement sociétal viable dans les limites planétaires ? Quels changements subsisteront une fois la pandémie passée ? Et comment ancrer durablement les plus souhaitables d’entre eux ?
Je vais aborder ces changements dans ce billet de blog. En particulier les changements dont l’impact social et environnemental sera positif. En dresser la liste s’avérerait vain, tant la variété de nos actions individuelles et collectives dont l’impact pourrait être amélioré est grande, pour ne pas dire infinie. En revanche, les principes fondamentaux qui devraient guider leur mise en œuvre ne se comptent, eux, que sur les doigts d’une main. Ce sont ces principes d’implémentation que je vais décrire et, avant tout, les initiatives concrètes de réalisation du changement.
L’intelligence collective, la bienveillance, le respect et une approche tout à la fois scientifique et régénératrice des ressources planétaires seront les plus solides garants d’un changement de paradigme assurant les meilleures chances de survie de nos écosystèmes à long terme. Toutes les sphères dans lesquelles nous évoluons doivent fonder leurs réflexions et leurs actions sur ces valeurs fondamentales, de la refonte des principes de libre-échange à l’éducation. Chacune d’entre elles en bénéficiera car aujourd’hui déjà elles sont interdépendantes. Aucune ne peut opérer en isolation, comme le met en lumière la crise que nous traversons. Adopter ces valeurs permettra donc de renforcer la résilience de l’ensemble des écosystèmes, humains et naturels.
En pratique, une initiative d’importance mérite d’être citée en exemple : la coalition Imperative21. Fondée sur le constat d’une indispensable collaboration – l’intelligence collective, on y revient – elle regroupe des acteurs des sphères économiques autour de la rédaction de « principes économiques impératifs pour un changement de système économique ». À l’heure où ces lignes sont rédigées, elle représente 72’000 entreprises, près de 20 millions de collaborateurs.trices, plus de 6’000 milliards de francs suisses de revenus, représentant 150 secteurs d’activité et 80 pays. Uni.e.s derrière la remise en cause du principe de la croissance à tous crins et l’établissement de « règles du jeu » maximisant les chances d’une prospérité partagée et régénérative des écosystèmes.
Les attentes grandissantes du grand public mettent en évidence les errances de leadership dans un système aux incitatifs mal alignés et aux normes sociétales contradictoires
En essence cette initiative consistent à promouvoir la création de valeur partagée à long terme, à proposer un nouveau récit, à établir de nouveaux indicateurs de mesure du progrès (voir Bonheur national brut: dépasser le dogme de la croissance), et à promulguer de nouveaux incitatifs tant fiscaux que réglementaires dans le cadre d’une refonte des politiques publiques axée autour de ces principes impératifs. Ce qui induit par exemple de repenser la forme corporative vers des modèles coopératifs ou encore de drastiquement modifier les programmes éducatifs afin d’équiper avec les bons principes et bons outils les “actifs” de demain.
Ces propositions vont par exemple soutenir le débat sur la modification de l’obligation fiduciaire des sociétés pour mettre les responsabilités sociétales et environnementales au même plan que celles du plan économique, une première solution structurelle pour la gestion durable régénérant les ressources planétaires. Ces suggestions, celles que j’ai décrites ici et celles qui les accompagnent, sont issues de la consultation en cours entre les membres de la coalition. Elles feront ensuite l’objet de recherches scientifiques qualitatives et quantitatives, avec entre autres comme objectif d’en présenter une sélection lors de l’assemblée générale des Nations-Unies le 24 septembre prochain à New York.
Ce que nous pouvons déjà constater, à travers la construction de cet ambitieux agenda, c’est qu’un travail collectif pour l’intérêt général, soutenu par une volonté de changement, peut aboutir à des propositions concrètes, crédibles et actionnables. (exemple des milliers de Benefit Corporation dans le monde qui ont intégré ces éléments) )
On ne soulignera jamais assez l’urgence vitale qu’il y a à agir, chacun.e à notre niveau, quel que soit notre rôle, pour tirer tous ensemble à la même corde du progrès collectif et «à faire avancer les choses» en dépit de l’inertie initiale parfois maintenue sciemment. Si la crise du coronavirus met nos systèmes à rude épreuve, ce stress-test n’est malheureusement qu’une version allégée de ce qui nous attend avec la crise climatique, migratoire et alimentaire. Se contenter d’atténuer les effets ne suffit plus. Pour reprendre la vision de Bill Reed, conseiller scientifique du Capital Institute qui guide nombre de mes travaux, nous devons améliorer l’impact environnemental et social positif de nos pratiques afin de les rendre durables, pour arriver à des actions qui restaurent nos écosystèmes. Seulement alors pourrons-nous réconcilier nos activités humaines avec le cycle de la Nature pour atteindre ultimement un système régénératif.
Cette transition d’un système dégénératif et dispendieux vers un système régénératif et économe en ressources constitue la planche de salut pour un futur basé sur la prospérité partagée. La responsabilité pour la mener tient avant tout à des mesures structurelles fortes (comme le suggère l’impact sur l’atmosphère des mesures de confinement, là où les appels à la responsabilité peinent depuis des années) qui repose sur nos épaules à tou.t.es tant au niveau individuel que par le geste collectif des politiciens, notre pouvoir politique démocratique et bien évidement celui du monde économique.
Pour les questions de financement, des pistes sérieuses existent comme la taxe sur les transactions financières, qui pourrait soudainement trouver écho et soutient. (voir Une solution trop simple pour plaire )
« From ‘Shifting Our Mental Models’ by Bill Reed, 2006”
Je conclus avec la récente interview, de Pierre Rabhi – exemple vivant (et heureux) de l’épanouissement par la sobriété – qui nous a rappelé que « cette crise sanitaire est une leçon magistrale : l’homme n’est pas tout puissant face à la nature ». Il ne l’est pas, il ne le sera jamais et il ne devrait pas aspirer à l’être. Plus que jamais mettons à profit cette crise qui provoque des bouleversements dans nos modes de vie et dans nos acquis pour nous réunir autour de grandes idées, pour reconstruire ensemble l’espoir, et pour mettre en œuvre de manière crédible les changements dont nous – et les écosystèmes qui nous entourent – avons urgemment besoin.
Alors si ce 4 mai, à la reprise des activités parlementaires, je devais faire un appel, il serait de s’assurer dans un esprit non partisan, de repenser la feuille de route de notre société, en gardant en main la boussole humaniste qui nous permettra d’offrir un monde viable et vivable à nos enfants, l’unique vraie dette à moyen et long terme.
Pour un futur désirable. Pour plus de résilience. Pour une prospérité partagée et durable.
Pour aller plus loin :
- https://www.imperative21.co/
- https://medium.com/age-of-awareness/planetary-health-and-regeneration-e482d9c8c701
- https://www.oxfamfrance.org/actualite/la-theorie-du-donut-une-nouvelle-economie-est-possible/
- https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/ardeche/cette-crise-sanitaire-est-lecon-magistrale-homme-n-est-pas-puissant-face-nature-pierre-rabhi-1823256.html
pour la mise à mort: la guillotine; quelle victime: le capitalisme ?
je trouve l’image violente, une rupture burtale causera beaucoup plus de dommage. Nous avons les capacités, dans les économies stables, de remettre la croissance comme un outil et non une fin en soi met il est important de le faire rapidement. le tipping point international est bien présent pour transformer le capitalisme d’actionnaire à un capitalisme de partie prenante (incluant l’environnement) – il sera intéressant de voir l’agenda du WEF ou des prochains Gx.
Il faut absolument empoigner de front les problèmes climatiques et la résolution de la crise du Coronavirus. Occulter les dimensions climatiques et écologiques ne feront qu’aggraver la situation, car il n’y aura plus de marge de manoeuvre à la prochaine crise. Et pour parvenir à résoudre cette équation, vaincre les peurs et rétablir la confiance, il faut avoir le courage de sortir des sentiers balisés de certitudes pour recréer une économie inclusive et digne.