Le modèle économique principalement axé sur la croissance actuellement en vigueur tue notre planète.
Des foules de manifestants ont affronté le président américain Donald Trump lors de sa visite à Londres dernièrement. Il s’avère, une fois de plus, que les positions rétrogrades, racistes, misogynes et divisant la société, adoptées par Trump, indignent le monde entier. Mais malgré cette opposition, le soutien au président Trump grandit. Pourquoi ? notre société actuelle semble n’entendre que les promesses de croissance économique, au détriment des valeurs sociales et humaines.
Ce n’est un secret pour personne que les décisions politiques se font et se défont en fonction de la croissance du PIB. Peu importe les moyens, qu’il s’agisse de supprimer les mesures de protection de l’environnement, de vider de sa substance le droit du travail ou d’exploiter le gaz de schiste, tant que la croissance est relancée, ces décisions sont favorisées.
Ce n’est que le début. Alors que nous nous heurtons aux limites de la croissance – saturation des marchés, épuisement des ressources, changement climatique – il est prévisible que ces mesures deviendront de plus en plus offensives dans la quête de croissance. La voie vers des dirigeants sans merci est ouverte, car notre économie, dans son état actuel, a besoin de croissance. Si l’économie ne continue pas à croître d’au moins deux ou trois pour cent par an dans les pays développés, elle entre en crise. Les dettes ne sont plus remboursées, les entreprises font faillite et les gens perdent leur emploi.
L’économie mondiale a été conçue de telle sorte qu’elle doit croître perpétuellement pour ne pas s’effondrer. Nous sommes ainsi tous les otages de la croissance et de ceux qui la promettent.
Il s’agit d’un problème essentiel, car la croissance est étroitement liée à la dégradation de l’environnement. Une croissance de trois pour cent par an peut paraître faible, mais cela implique que l’économie double tous les 20 ans. Cela signifie doubler le nombre de voitures, de smart phones, le trafic aérien, et donc doubler la quantité de déchets et d’émissions.
Les scientifiques nous disent que nous avons déjà dépassé les principales limites planétaires, et nous pouvons en voir les conséquences tout autour de nous : déforestation, effondrement de la biodiversité, guerres pour les ressources et changement climatique.
Le 1er août 2018 signalait déjà le Jour du Dépassement Mondial (Earth Overshoot Day), jour où l’humanité a consommé autant de ressources naturelles que ce que la Terre peut renouveler durant l’année entière.
La bonne nouvelle est que ce n’est pas une fatalité et que la crise peut être évitée, sans révolution ni chocs violents qui l’accompagnent souvent. Nous pouvons choisir de créer une économie qui n’a pas besoin d’une croissance infinie et qui se veut plus inclusive. En réalité, ceci est déjà en train de se produire, car des universitaires et des entrepreneurs du monde entier définissent les bases de l’économie de l’après-croissance.
La première étape consiste à remettre en question le mythe selon lequel la croissance est nécessaire à la société. Un grand nombre d’économistes et de politiciens nous disent que nous avons besoin de croissance pour sortir les gens de la pauvreté.
Toutefois, sur les revenus générés par la croissance, seuls 5 pour cent vont aux 60 pour cent les plus pauvres de l’humanité. » WEA
A vrai dire, la croissance est un moyen extrêmement inefficace et écologiquement insensé pour améliorer la vie des gens. Il existe des moyens beaucoup plus efficients et sans croissance économique que nous pouvons utiliser pour mettre fin à la pauvreté, que ce soit simplement en répartissant plus équitablement les revenus existants ou encore en appliquant de nouvelles externalités humanistes qui assurent une transition adaptative du modèle de développement économique en y intégrant pleinement la dimension sociétale et environnementale.
C’est le principe de base d’une économie post-croissance dite inclusive : équitable, participative, solidaire et régénératrice du capital naturel, unique antidote à la croissance sans limites. Il y a beaucoup d’idées sur la façon d’y arriver. Par exemple, inscrire comme pilier central l’orientation durable au même titre que l’objectif d’être profitable, à travers un nouveau statut juridique pour les entreprises, comme le font les 2600 entreprises du mouvement BCORPORATION.
Différentes mesures concrètes se développent déjà à ce sujet en Suisse :
- L’interpellation en cours auprès du parlement ici
- Le renforcement du droit du travail international et la promotion des droits de l’homme, où le Conseil national a adopté mi-juin un contre-projet à l’initiative. C’est maintenant au tour du Conseil des États d’en discuter. Retrouver ici l’initiative pour des multinationales responsables, le contre-projet est accepté par de nombreuses multinationales à ce jour.
Pour accélérer ce changement de paradigme, de nombreuses autres pistes existent : Nous pourrions plafonner le revenu et la richesse. Nous pourrions encourager et même subventionner les coopératives afin que la richesse et le pouvoir soient répartis plus équitablement. La liste est longue et pleine de possibilités viable et vivable.
Mais nous devons également faire quelque chose au sujet de notre dépendance structurelle à l’égard de la croissance.
Le capitalisme sous sa forme actuelle encourage l’augmentation de la productivité du travail afin de retirer plus de valeur du travail des travailleurs, avec comme conséquence que le chômage augmente avec l’amélioration de la productivité. Pour résoudre cette crise, les gouvernements doivent trouver les moyens de générer plus de croissance pour créer plus d’emplois.
En y ajoutant les enjeux du numérique, même une économie principalement de service est et sera impactée si nous ne donnons pas un nouvel encadrement à notre modèle de croissance actuelle.
Il existe pourtant des moyens éprouvés pour échapper à ce cercle vicieux. Nous pourrions introduire une semaine de travail plus courte, comme la Suède vient de le faire, en partageant la main-d’œuvre nécessaire pour que tout le monde puisse avoir accès à l’emploi sans qu’une croissance perpétuelle soit nécessaire. Nous pourrions aussi réduire les besoins en main-d’œuvre en déployant un système entre le revenu de base universel ou du ratio monétaire fort de l’actualité suisse ces derniers mois en y intégrant une partie de son financement par des taxes progressives sur le CO2 ou encore provenant des transactions financières. Les pistes sont nombreuses et les solutions à notre portée.
La dette est une autre raison pour laquelle l’économie globale doit continuer à croître. La dette s’accompagne d’intérêts, et l’intérêt est une fonction composée. Les particuliers, les entreprises et les États doivent accroître leur productivité simplement pour rembourser leurs dettes. Nous pouvons échapper à ce cercle vicieux en annulant les dettes injustes ou insolvables, peut-être grâce à des audits de la dette des ménages, ce qui nous aiderait à nous libérer de l’impératif de croissance. Nous pourrions également modifier les systèmes monétaires afin qu’ils ne comportent plus de dette ni d’intérêts.
Afin de revenir à une économie viable et vivable qui ne dépasserait pas les limites de la planète, nous pourrions introduire de nouvelles règles qui limitent la quantité totale de ressources que nous consommons et de déchets que nous produisons, un peu comme nous l’avons fait avec les émissions de CO2, afin de ne pas prélever plus que ce que la Terre peut reconstituer ou ne polluer plus que ce que nos écosystèmes peuvent absorber.
Et bien sûr, nous pouvons décider de remplacer le PIB comme principal indicateur de notre succès économique par des indicateurs plus raisonnables et holistiques, comme L’indicateur de progrès véritable (IPV) ou Genuine progress indicator (GPI) en anglais, qui tient compte des impacts écologiques et sociaux négatifs de l’activité économique.
Des pays aussi divers que le Bhoutan, l’Écosse, la Slovénie, le Costa Rica et la Nouvelle-Zélande adoptent déjà des mesures alternatives. Lorsqu’on dit aux dirigeants de mesurer leurs actions sur la base de l’IPV au lieu du PIB, ils sont incités à maximiser le bien commun et à minimiser les effets négatifs sur l’environnement. Des capitaines de l’industrie et des investisseurs se sont pleinement alignés pour faire leurs parts eux aussi.
Dans cette même optique, nous pouvons également ajouter la possibilité de mesurer ce qui compte pour notre civilisation grâce aux indicateurs des 17 Objectifs du Développement Durable (ODD), énoncés par les dirigeants des 193 pays membres des Nations Unies. Il y a une multitude de nouveau possible pour collectivement dessiner la société et l’économie de demain.
Toutes ces idées nous aideraient à sortir du modèle de la “croissance à tout prix” et à transformer ce vieux modèle hérité de l’ère industrielle qui ne manquera pas d’être de toute façon ébranlé avec l’ère digitale qui émerge en ce moment. En tant que civilisation, nous devons faire le choix de donner la priorité à la croissance ou à la vie, mais nous ne pouvons pas faire les deux.
Si nous survivons à l’Anthropocène, ce sera parce que nous aurons réussi à créer des économies dites « inclusives » post-croissance, qui nous permettront de prospérer en harmonie avec cette belle et généreuse planète que nous aimons appeler « Maison ».
Voici quelques liens pour approfondir:
Le monde, non seulement n’est jamais sorti de la dernière crise de 2007-8, mais n’a fait qu’adopter des mesures de facade, précisément pour continuer avec la croissance que vous indiquez.
Le changement climatique est même une aubaine pour soutenir la dite croissance, comme l’abus médical contribue à un secteur santé qui cartonne les bénéfices.
Vous le mentionnez, ceci ne profite qu’aux 2% les plus riches, qui sont assez malins pour maintenir tant bien que vaille, toute la mécanique en fonction.
La nourriture qui va se raréfier avec le changement climatique sera la clé de bascule de ce mirage, avec comme dans le passé, des révoltes populaires.
Imaginez, et c’est déjà le cas à Londres ou New York qu’un sanitaire, un menuisier ou un électricien gagne plus qu’un avocat ou un médecin et vous aurez compris, ce qui va inverser la courbe du monde.
“… des universitaires et des entrepreneurs du monde entier définissent les bases de l’économie de l’après-croissance” mais
“Un grand nombre d’économistes et de politiciens nous disent que nous avons besoin de croissance pour sortir les gens de la pauvreté”.
Je voudrais bien entendre un peu plus souvent les premiers.
De même, il me semble urgent de créer des ponts à double sens entre les deux. Car des économistes et des politiciens, il y en a un nombre certains parmi les entrepreneurs et les universitaires.
PS Je fais plutôt partie de la catégorie des Dreamers
Il est vrai que dans la liste nous pourrions ajouter : militants, chercheurs, experts et surtout “Citoyens”
Avec B Lab et nos organisations soeur (Sistema B pour l’Amérique latine” nous participons à faire émerger des “ecosystème” qui se mobilisant pour construire et soutenir cette transformation, l’enjeu est important pour catalyser un grand nombre d’acteurs: académiques, Policy Makers, industriels,investisseurs, leaders d’opinion et entreprises.
Merci pour cet article et pour votre travail.
Et peut-être surtout pour un système institutionnel post-croissance : https://yannickrumpala.wordpress.com/2015/06/07/conclusion-sur-laccompagnement-democratique-dune-sortie-de-la-croissance/
Les difficultés du système économique et son moteur de développement sont intrinsèquement liés aux systèmes politiques.
L’idée que le pouvoir constitue (réflexion sur les constituantes) soit définie par les 1% au pouvoir est une parallèle avec la dérive du capitalisme actuel. Si le pouvoir économique et politique de certains pays reste en main de 1% des individus, les réponses ne seront jamais adaptées aux besoins des 99% autres.
Dans une approche holistique et systémique, ceci ne s’inscrit pas comme une posture anti-capitaliste, etc… L’urgence de construire et transformer le moteur de développement actuel doit se construire autour de trois axes : équité et dignité pour le plus grand nombre ainsi que sobriété (consommations, pratiques extractives,etc). Économique et politiquement viable sur le moyen et long terme. Le rapport du FMI est particulièrement pertinent si l’on y met en perspective notre passage de l’ère géologique de l’holocène à celle de l’Anthropocène en termes de responsabilité voir en bon français de redevabilité.