Les Rebelles Exclus et les Rebelles de l’Extinction ont un objectif commun: un capitalisme mutant qui nuit à la planète et aux hommes.
Rebelles exclus ou l’urgence de la survie quotidienne
Le Brexit concerne les relations entre la Grande-Bretagne et l’Europe, n’est-ce pas? Certes. Mais le Brexit fait également partie d’une plus grande révolte mondiale. Ce qui rend la chose si compliquée et effrayante, c’est que cette plus grande révolte n’est que l’une des deux révoltes qui éclatent à travers le monde. À moins que nous trouvions un moyen de les réunir, elles ressembleront de plus en plus à une guerre civile mondiale et se déchireront mutuellement, comme elles commencent à le faire aux États-Unis.
La première est la Rébellion des Exclus, une révolte contre ce bricolage qu’est le capitalisme mondial moderne. Au cœur de tout cela se trouve l’échec du fondement moral du capitalisme des actionnaires : La théorie du ruissellement. Au fur et à mesure que les économies se sont répandues, les avantages n’ont pas ruisselé, mais ont plutôt profité à une petite élite mondiale. La richesse leur est tombée entre les mains comme de la neige sèche par une journée venteuse. Tous les autres sont exclus, gagnant leur vie difficilement alors que les vents amers soufflent le peu de richesse qu’ils peuvent voir dans les réserves massives que détient déjà l’élite mondiale.
Pour les exclus, il est clair qu’ils ne sont rien de plus que de la matière à exploiter pour les entreprises internationales axées sur le secteur financier, que ce soit en tant qu’ouvriers ou consommateurs alimentés par le crédit. Comme le relayait le magazine Bilan dans son article « Le vrai visage de l’endettement mondial », le cumul de la dette privée et publique au niveau mondial a atteint un record historique en 2017. Depuis 1950, le poids de l’endettement du secteur privé a triplé. Derrière ces entreprises, il y a les marchés financiers qui maintiennent les exclus en crédit et en dette. Et ces marchés sont opérés par une élite financière dont les excès ont conduit à un effondrement financier au détriment des services publics sur lequel comptent les exclus.
Maintenant, ils en ont assez, alors se tournent vers des populistes tels que Donald Trump, Jair Bolsonaro, Boris Johnson et Marine Le Pen pour contester. Le vote du Brexit n’est qu’une autre manifestation de ce phénomène. Ce Rebelle Exclu est une personne sans sécurité financière, qui vit souvent sur le fil du rasoir. Au Royaume-Uni, un tiers des travailleurs économisent moins de 500 £ pour les jours malheureux. Trop de personnes vivent dans une profonde insécurité. Trop d’entre eux ont trop peu à perdre en cassant la tirelire et en prenant des risques par la suite. La Suisse n’est pas exclue de cette réalité, l’aide sociale couvre de justesse le minimum vital, selon une étude du bureau BASS publié le 8 janvier 2019.
Les Rebelles de l’extinction ou l’urgence de la survie de l’espèce
Pendant ce temps, un groupe de personnes différent a remarqué que Rome brûlait. Ces personnes ont lancé une deuxième rébellion: la Rébellion de l’Extinction. Un consensus se dégage parmi toute personne capable d’examiner de manière objective les données selon lesquelles, à moins que nous prenions des mesures radicales immédiates, les effets de la dégradation du climat entraîneront des menaces profondes, voire existentielles, pour notre civilisation. Les économies développées pourraient être submergées par les conséquences, à la fois littéralement et métaphoriquement. Un tsunami de migration, car de grandes parties du monde deviennent inhabitables, ne constitue que le début d’une liste effrayante.
Le Rebelle de l’Extinction est une créature complètement différente du Rebelle Exclu. Ils sont moins nombreux car ils ont tendance à appartenir à l’élite, ou du moins à son orbite. Mais ils ont une influence et ont, par exemple, coopté le système éducatif à leur cause, qui enflera bientôt leurs rangs.
Les Rebelles de l’Extinction bénéficient généralement d’un niveau de sécurité financière qui leur permet de se concentrer sur davantage de défis stratégiques que les impératifs existentiels quotidiens des Rebelles Exclus.
À première vue, les intérêts de ces deux groupes sont mal alignés. Le Rebelle Exclu demande de satisfaire ses besoins fondamentaux. Cela signifie des prix moins élevés, des logements bon marché, de la viande rouge, des salaires plus élevés et davantage de services publics. En revanche, le Rebelle de l’Extinction demande des prix plus élevés (car les coûts environnementaux doivent être intégrés dans tous les produits et services), le véganisme et l’habitat écologique et participatif.
Le Rebelle de l’Extinction voit de plus en plus le besoin de lutter contre le changement climatique comme une guerre. Comme dans le genre de guerre «arrêtez-ce-que-vous-faites-et-allez-combattre-l’ennemi-qui-va-autrement-tuer-vos-enfants». Bien que ce soit une idée choquante, c’est bien ce que les données suggèrent de faire si nous voulons éviter une catastrophe. Mais ce n’est pas un argument auquel les Rebelles Exclus financièrement instables peuvent s’identifier. Ils sont trop occupés à trouver le prochain repas pour leurs propres enfants pour se soucier de la planète dont leurs petits-enfants hériteront.
Deux polarités négatives irréconciliables ? ou un levier commun
Jusqu’ici, ces deux révoltes distinctes opéraient en grande partie isolée l’une de l’autre. Mais maintenant, elles grandissent toutes les deux si vite qu’elles commencent à s’entrechoquer.
Récemment, cela a été observé lors de l’affrontement entre les Rebelles de l’Extinction au sein du gouvernement En Marche d’Emmanuel Macron et les Rebelles Exclus des gilets jaunes. Comme dit Fabien Mauret, un constructeur indépendant, alors qu’il se trouvait sur les barricades des gilets jaunes: «Je pense que nous avons atteint le point de non-retour. Avant, il y avait les riches, les moyens et les pauvres. Maintenant, c’est les très riches et les pauvres, il n’y a plus rien entre les deux.» Les gilets jaunes méprisent les efforts d’Emmanuel Macron pour forcer tout le monde à lutter contre le changement climatique sans d’abord répondre à leurs besoins les plus urgents.
Réconcilier le négatif : l’union fait la force
Comment est-ce que ces deux forces élémentaires naissantes pourraient-elles être alignées et orientées positivement? Comment est-ce que cette énergie pourrait-elle être dirigée en collaboration pour le changement, afin que les deux puissent atteindre leurs objectifs?
La réponse doit reposer sur un diagnostic correct des problèmes. Les élites de la Rébellion de l’Extinction doivent reconnaître que le principal moteur de la dégradation du climat est une mutation récente du capitalisme. Cette mutation néolibérale a limité l’objectif de l’économie mondiale à la création de capital – à l’exclusion (ou, dans la pratique, au détriment) des deux autres intrants: la terre et le travail. Ils doivent faire face à la vérité qui dérange, que l’économie mondiale actuelle – le système qu’ils exploitent qui les a transformés en élites – est une mutation qui nous tue tous. En externalisant les coûts sociaux et environnementaux, il a transformé les affaires et la finance en un sociopathe qui dépouille les gens et la planète dans son seul objectif de gagner de l’argent pour ses actionnaires.
La Rébellion des Exclus doit reconnaître que le moteur principal de leur appauvrissement est, en fait, précisément la même chose.
Si les deux rébellions partagent cette compréhension de la cause fondamentale de leur peur et de leur rage, elles pourraient s’aligner autour d’une solution commune. De façon stratégique, il s’agit d’une nécessité impérieuse de redémarrer le capitalisme avec un nouveau système d’exploitation: supprimer la «primauté des actionnaires» en tant qu’idée organisatrice des marchés financiers et installer à sa place «la valeur pour tous».
Cela signifie qu’il faut mettre fin à l’idée que le capital a le droit divin de faire ce qu’il veut à nos terres, à la main-d’oeuvre, aux communautés et à notre planète. Au lieu de cela, les entreprises ont le devoir de répondre aux besoins de capitaux, des terres et de la main-d’œuvre comme but principal.
Parmi les entreprises les plus matures, cette idée a été formalisée et mise en œuvre par le mouvement grandissant des entreprises certifiées B Corporation. Le même concept est au cœur du mouvement en forte croissance des investissements à impact pour une économie régénératrice. Jusqu’ici, tout cela a eu lieu sous le radar du politique. Mais ces mouvements grandissants rapidement offrent aux politiciens une réponse unificatrice, axée sur l’action, pratique et crédible à la fois pour le Rebelle de l’Extinction et au Rebelle des Exclus.
C’est une nouvelle idée politique, distincte du « socialisme » et du « capitalisme libéral ». Tout le monde sait que le gouvernement ne peut pas résoudre nos problèmes, et chacun sait aussi qu’il n’y a rien de tel qu’un marché libre. La montée du nationalisme, les guerres commerciales et le Brexit ont renforcé la vérité fondamentale selon laquelle tous les marchés sont truqués. Et actuellement, ils sont truqués au bénéfice seul du capital et donc au détriment des hommes et de la planète.
Et si nous faisions en sorte que les marchés profitent aux individus et à la planète, ainsi qu’au capital ? Les gouvernements doivent se tourner de toute urgence vers cette question – et prendre ensuite des mesures rapides et concrètes – s’ils ne veulent pas être submergés par les soulèvements jumeaux, furieux et actuellement conflictuels des Rebelles de l’Extinction et des Rebelles Exclus.
*Les entreprises certifiées B Corporation sont des entreprises qui ont fait vérifier leurs impacts par une tierce partie et qui modifient leur statut juridique pour y faire apparaître une triple responsabilité : sociale, environnementale et économique. Plus largement, plus de 70’000 organisations dans le monde utilisent gratuitement l’outil d’évaluation d’impact B pour évaluer l’impact de leur entreprise sur toutes les parties prenantes, y compris l’environnement, les collaborateurs, les fournisseurs, les liens avec les communautés et leurs clients.