Erdoğan réélu en Türkiye : une victoire plus qu’une défaite

Recep Tayyip Erdoğan, reconduit pour cinq ans de plis à la tête de la Türkiye, a entamé hier son troisième mandat de président en appelant son pays divisé «à faire la paix».

C’est sans surprise que le Président turc Recep Tayyip Erdoğan (AKP) a remporté dimanche passé l’élection présidentielle face à son principal adversaire Kemal Kılıçdaroğlu (CHP) à la tête d’une coalition de six partis. Les résultats officiels font état d’une récolte de 52,2 % des voix des électrices et électeurs en faveur du président sortant contre 47,8 % pour son concurrent. L’homme âgé de 69 ans reste donc à la tête de ce pays stratégique, coincé entre l’Asie et l’Europe, avec ses 84 millions d’habitants. Il faut rappeler que Recep Tayyip Erdoğan a d’abord occupé la fonction de Premier ministre entre 2003 et 2014 avant de devenir président la même année. Qu’attendre de ce troisième mandat?

Les priorités sur le plan intérieur

Pendant sa campagne, l’homme fort de la Türkiye a édicté un certain nombre de mesures pour répondre aux multiples défis auxquels fait face le pays, mais tout en restant dans une certaine continuité de ce qui a été fait ces dernières années. Il a notamment promis une augmentation de salaire pour les fonctionnaires ou encore de revaloriser les pensions des retraités. Ses deux premières priorités vont être de répondre aux attentes de la population qui souffre de la crise économique et de reconstruire les provinces du sud du pays dévastées par le terrible séisme du 6 février dernier.

Les priorités sur le plan extérieur

Pour le conflit qui oppose la Russie de Vladimir Poutine à l’Ukraine de Volodymyr Zelensky, le Président turc devrait continuer à dialoguer avec les deux hommes. Jusqu’ici, Recep Tayyip Erdoğan a parfaitement endosser son rôle d’équilibriste en continuant de soutenir l’Ukraine via la livraison d’armes, mais en poursuivant la coopération avec la Russie sans appliquer aucune sanction internationale. Le rôle de la Türkiye dans l’accord sur les céréales, dont beaucoup de pays asiatiques, africains et sud-américains bénéficient, a été salué par les principaux leaders mondiaux. C’est pourquoi les grandes puissances comme l’Union européenne ou les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre d’écraser la Türkiye, même si hélas elles le souhaiteraient. Un autre dossier chaud est celui de déblocage de l’entrée de la Suède dans l’OTAN. A voir si d’ici le prochain sommet qui doit se tenir à Vilnius en Lituanie le Président turc Recep Tayyip Erdoğan et le Premier ministre suédois Ulf Kristersson trouveront un terrain d’entente. En effet, Ankara reproche à Stockholm d’héberger sur son sol des militants kurdes, alors que ceux-ci sont considérés comme terroristes par le pouvoir turc.

Quid des relations entre Berne et Ankara?

D’après le Département fédéral des affaires étrangères, les relations entre notre pays et la Türkiye sont “étroites et diversifiées. Elles se caractérisent par un dialogue politique régulier à haut niveau”. J’ai de la peine à croire puisque contrairement à la plupart des chefs d’Etat et/ou de gouvernement de cette planète, notre président Alain Berset n’a même pas félicité sur son compte Twitter son homologue turc cette semaine. De plus, aucune visite d’un président suisse n’a eu lieu ces dernières années à Ankara. Il faut remonter à l’année 2010 pour voir que cette année le président turc d’alors, Abdullah Gül, était reçu chez nous pour une visite d’Etat.

Soutien mondial au Brésil de Lula

Dimanche passé, Brasilia, la capitale du Brésil, a vécu un dimanche noir sur la Praça dos Três Poderes (en français : la Place des Trois Pouvoirs). Une semaine seulement après l’investiture du nouveau Président brésilien Lula, des soutiens radicaux de l’ex-Président Jair Bolsonaro ont attaqué le palais du Planalto (le siège officiel de la présidence), le Congrès national (le parlement bicaméral) et le Tribunal suprême fédéral (la plus haute instance du pouvoir judiciaire). Ces tristes émeutes montrent à quel point l’état de la démocratie dans le monde est fragile et surtout qu’il ne faut jamais baisser la garde face à l’arrivée d’extrémistes de gauche comme de droite dans les lieux de pouvoir. Le Président suisse Alain Berset a condamné ces violences sur son compte Twitter.

Ce que beaucoup de géopolitologues craignaient est donc malheureusement arrivé dimanche passé au Brésil. Une semaine tout juste après l’investiture de Lula à la tête de la première puissance économique d’Amérique du Sud, des partisans surexcités et violents de l’ex-Président Jair Bolsonaro ont occupé la Place des Trois Pouvoirs, détruisant tout sur leur passage pour montrer leur refus stupide d’accepter le résultat de l’élection présidentielle de l’automne 2022. Il ne faut pas avoir peur de dire que oui, ces partisans bolsonaristes déchaînés ont tenté un putsch avec une certaine connivence d’une partie des forces de sécurité (police et armée). Dégoûté par de telles images inédites dans la jeune démocratie brésilienne, le monde a unanimement condamné ces “fous et crétins” d’insurgés. Le Premier ministre australien Anthony Albanese, le Président chinois Xi Jinping, le Président russe Vladimir Poutine, le Président suisse Alain Berset, le Président français Emmanuel Macron, le Premier ministre britannique Rishi Sunak, le Président américain Joe Biden, le Président argentin Alberto Fernández et d’autres chefs d’Etat du monde ont apporté leur soutien à Lula.

Des manifestants pro-Bolsonaro vêtus de jaune et vert ont pris d’assaut les trois lieux de pouvoir à Brasilia. Image : (© KEYSTONE/AP/Eraldo Peres)

Un souvenir amer du 6 janvier 2021

Ces scènes de pillages nous ont ramené à la date du 6 janvier 2021 lorsque des partisans de l’ex-Président Donald Trump ont attaqué le Capitole (le parlement bicaméral). Tous étaient ivres de rage et tentaient de bloquer la certification de la victoire du démocrate Joe Biden. Certes, le calme est revenu à Brasilia, mais le plus inquiétant est que la jeune démocratie brésilienne se retrouve fragilisée. Le respect de la démocratie, des droits humains et de l’Etat de droit n’est jamais un acquis. C’est quelque chose dont il faut en prendre soin et surtout le protéger quand on s’engage en politique, indépendamment si on est à gauche, au centre comme moi ou à droite. On parle là du Brésil, mais ce discours pourrait s’appliquer pour d’autres pays comme par exemple l’Iran.

Les multiples défis de Lula

A Brasilia, la police et l’armée ont été critiquées parce qu’elles ont réagi mollement à l’assaut. Un peu comme si elles approuvaient les actions illégales des pro-Bolsonaro. Cela est préoccupant quand on sait que ce pays a connu la dictature militaire entre 1964 et 1985. Lula doit maintenant empoigner ce dossier de l’armée et commencer par éloigner les officiers-partisans de l’ex-Président Jair Bolsonaro. Il ne s’agit en aucun cas de supprimer les forces de sécurité du pays, mais d’y faire le “ménage”. Lula sait qu’après un tel événement inédit au Brésil, il ne devra et ne pourra pas baisser la garde. Un autre défi qui attend le nouveau chef d’Etat brésilien sera de réconcilier un pays plus que divisé, entre les pro-Lula et les pro-Bolsonaro. Ces derniers n’ont toujours pas accepté le résultat de la présidentielle d’octobre 2022. Au début des années 2000, le boom des matières premières avait servi l’économie brésilienne. Lula avait grâce à cela pu mettre en oeuvre son programme de redistribution qui a permis à de nombreux Brésiliens de sortir de la pauvreté. Ce cycle est hélas terminé. A lui maintenant de remettre le Brésil sur le devant de la scène internationale après quatre ans d’absence.

Le président Lula inspecte les dégâts au palais du Planalto. Image : Eraldo Peres / dpa

 

Les relations entre Berne et Brasilia

Les relations diplomatiques entre la Suisse et le Brésil sont excellentes et remontent au XIXe siècle. Comme l’indique le Département fédéral des affaires étrangères sur son site, “le Brésil est le premier partenaire commercial de la Suisse en Amérique latine et de nombreuses entreprises suisses y sont implantées”. Les échanges économiques se traduisent en chiffres avec en 2020 des importations pour environ 1,4 milliards de francs contre des exportations pour environ 2,1 milliards de francs. De plus, “à partir de la fondation de la ville Nova Friburgo (1818) jusqu’au milieu du XXe siècle, le Brésil a été une destination privilégiée par de nombreux émigrants suisses”. Pour le moment, je suis incapable de dire si Alain Berset va rencontrer Lula cette année. Un voyage du président suisse en Colombie est prévu ce printemps. J’espère vraiment qu’une rencontre présidentielle Berset-Lula puisse se dérouler cette année, à Brasilia ou à Berne.

 

Brésil : une élection présidentielle sous haute tension

Au début de ce mois, le Brésil et ses 215 millions d’habitants ont célébré dans la joie et la bonne humeur les 200 ans d’indépendance de leur pays. Ancienne colonie portugaise, plus grand pays d’Amérique latine et puissance économique membre du G20, le Brésil est encore une jeune et grande démocratie d’à peine 37 ans. Lors de cette célébration, l’actuel chef de l’Etat Jair Bolsonaro a clairement fait de la récupération politique en mettant en avant sa candidature pour un deuxième mandat de quatre ans. Une fête nationale doit être un moment de rassemblement, pas pour faire campagne dans le pays. Cela aurait dû être plutôt une fête solennelle ou institutionnelle, mais Jair Bolsonaro a préféré chauffer à blanc ses supporters, avec notamment les plus religieux, une partie de l’agrobusiness et une partie des forces armées.

La tentative de rester au pouvoir par tous les moyens

Jair Bolsonaro suit exactement le même parcours que l’ancien Président américain Donald Trump. C’est son modèle pour ainsi dire. De la même façon que Donald Trump a contesté le système électoral américain lors des dernières élections en 2020, Jair Bolsonaro clame depuis des mois que les urnes électroniques ne sont absolument pas fiables, alors qu’elles n’ont jamais posé de problèmes pour la démocratie électorale ces dernières années. Il conteste déjà l’utilisation de ces urnes électroniques. Ses supporters et lui-même attaquent sans arrêt le Tribunal suprême fédéral et la Cour électorale supérieure en mettant en cause leur partialité. Du coup, plusieurs observateurs craignent le lendemain des résultats des élections en cas de non-réélection de Bolsonaro.  Parmi ceux-ci, Fiorenzo Iori qui est un fin connaisseur du Brésil et de ses institutions politiques. Va-t-on vers un assaut violent des bâtiments institutionnels de la part des supporters les plus extrêmes de Bolsonaro ? Impossible de dire à l’heure actuelle, mais selon Fiorenzo Iori, cette piste-là n’est pas à écarter. Il pourrait selon lui se dérouler un coup d’Etat si Jair Bolsonaro n’était pas réélu et s’il ne reconnaissait pas sa défaite. Actuellement, les sondages laissent présager une victoire importante, difficilement au premier tour, mais plus facilement au deuxième tour de son adversaire de centre-gauche Luiz Inácio Lula da Silva.

Des manifestants pro Donald Trump attaquent le Capitole à Washington en 2021. Image : JOSE LUIS MAGANA / AP

Les soutiens indéfectibles de Bolsonaro

Les fidèles de Bolsonaro sont par exemple les votes religieux. Les évangélistes au Brésil représentent tout de même 25% de l’électorat brésilien. Il y a aussi les membres du secteur agricole et industriel, soit l’agrobusiness. Non pas de façon hégémonique, mais la plupart des personnes appartenant à l’agrobusiness soutiennent évidemment Jair Bolsonaro. Le 2 octobre prochain va donc être un dimanche électoral sous haute tension. On craint beaucoup ce que pourraient faire les forces armées le lendemain des résultats des élections. Vont-elles respecter la constitution comme le souhaitent certains officiels ou généraux ou vont-elles se plier aux exigences de leur président qui souhaiterait par ailleurs un coup d’Etat ? Les Etats-Unis, l’Union européenne et la Suisse ont déjà promis des sanctions si ce scénario prenait forme.

Les relations entre la Suisse et le Brésil

D’après le Département fédéral des affaires étrangères dirigé par Ignazio Cassis, « le Brésil est le premier partenaire commercial de la Suisse en Amérique latine ». Il y a 2 ans, notre pays a importé pour environ 1,4 milliard de francs de biens qui venaient du Brésil et a exporté dans ce même pays des biens d’une valeur de 2,1 milliards de francs. Berne et Brasilia ont noué des premiers contacts au début du XIXe siècle. A cette époque, plusieurs commerçants suisses ont vu en ce grand pays un débouché économique à ne pas rater. Toujours selon le DFAE, « en 1819, le premier consulat suisse outre-mer a ouvert à Rio de Janeiro. À partir de la fondation de la ville Nova Friburgo (1818) jusqu’au milieu du XXe siècle, le Brésil a été une destination privilégiée par de nombreux émigrants suisses ». La dernière rencontre entre un président suisse et un président brésilien remonte à 2019. Cette année-là, Ueli Maurer s’était entretenu avec Jair Bolsonaro en marge du Forum économique mondial.

Le Président de la République fédérative du Brésil, Jair Bolsonaro, lors d’une rencontre bilatérale avec le Président de la Confédération suisse, Ueli Maurer. Image : Alan Santos/RP

Bachar Al-Assad, lui ou le chaos

Il y a 10 ans, lors des Printemps arabes, les jours du Président syrien Bachar Al-Assad semblaient comptés. Avec l’appui de son armée, il a pu dans les premières années du conflit résister aux mouvements de contestation de la rue. Face la progression des groupes djihadistes comme l’Etat islamique, Bachar Al-Assad s’est présenté et à juste titre comme un rempart contre le terrorisme. “Aucune solution ne peut être trouvée contre le terrorisme, exceptée de réprimer avec une main de fer”, disait-il en 2011. Soutenu militairement par la Russie et l’Iran pour des raisons stratégiques différentes, le Président Al-Assad est accusé d’avoir plongé son pays dans le chaos. Le conflit en chiffres fait froid dans le dos : 400’000 morts, 12 millions d’exilés et de déplacés. Aujourd’hui, il ne dirige plus que les 3/4 de son pays, la Syrie est ruinée après des années de conflit et l’été prochain, Bachar Al-Assad devrait être réélu à la tête du pays pour un quatrième mandat. Les Etats-Unis, la France et l’Union européenne qui exigeaient son départ il y a quelques années, demandent à présent une sortie de crise négociée. Comment nous Occidentaux devons envisager notre future relation avec la Syrie? Qui de la Russie ou de l’Iran peut vraiment faire pression sur Bachar Al-Assad pour obtenir des résultats? Après les interventions militaires catastrophiques des Occidentaux en Irak et en Libye, n’est-il pas préférable de laisser en place des dirigeants autoritaires au nom de la stabilité?

Pour répondre à ma première question, je crois qu’il faudrait réinstaurer des contacts diplomatiques avec la capitale syrienne. Washington, Paris, Bruxelles et la Genève internationale doivent accepter la présence de l’actuel président à la tête de la Syrie. Je ne vois pas d’alternative à Bachar Al-Assad, pour le moment. Certes, les relations ne pourront pas être tout de suite à haut niveau, mais elle le redeviendront au fil des années. Je crois aux vertus du dialogue, même ferme, et aux échanges, pas aux armes ni aux bombes.

Pour répondre à ma deuxième question, c’est clairement la Russie qui tient le destin du Président syrien entre ses mains. La Russie et l’Iran sont deux pays sous sanctions mais le premier est une puissance internationale et militaire qui compte sur la scène internationale. Le deuxième est une aussi une puissance mais sur un plan régional. Depuis 2015, la Russie s’est beaucoup investie pour soutenir l’intégrité territoriale de la Syrie ainsi que son Président. Mais un soutien ne va pas sans conditions. Le chef de l’Etat russe Vladimir Poutine commence à s’exaspérer de voir la situation toujours instable malgré l’intervention de son pays pour stabiliser la Syrie. Et il attend bien-sûr un retour sur investissement de la part de son homologue syrien. Un peu comme le Président français Emmanuel Macron dans la région du Sahel.

Les Présidents russe et syrien, Vladimir Poutine (à droite) et Bachar Al-Assad (à gauche) en pleine discussion lors d’une rencontre officielle à Sotchi en mai 2018. Photo : GreekMan Socks

Pour répondre à ma troisième et dernière question, les interventions militaires en Irak en 2003 et en Libye en 2011 ont été catastrophiques non seulement pour ces peuples mais aussi pour le Moyen-Orient et l’Europe. Autrefois, la Syrie était un pays culturellement riche. Des communautés Arabes chiites et sunnites, des Juifs ainsi que des Chrétiens vivaient en parfaite harmonie. Mon professeur d’histoire au gymnase du soir s’était rendu en Syrie en 1997. Il nous avait expliqué ce patchwork multiconfessionnel. Aujourd’hui, c’est un pays abîmé par des années de guerre et par la présence de terroristes islamistes, notamment de jeunes Européens. Les puissances occidentales devraient s’abstenir de toute intervention militaire musclée pour faire renverser des dirigeants. On intervient toujours pour amener la démocratie mais cela se traduit très souvent par davantage de violence et de chaos. On ne peut pas simplement calquer nos modèles de démocratie sur ces “jeunes” pays.

https://www.youtube.com/watch?v=FfgU1NWuWBc

En conclusion, la population syrienne continue de payer un lourd tribut. L’ONU estime à environ 5,6 millions le nombre de Syriennes et Syriens ayant fui le conflit pour trouver refuge en Turquie, au Liban, en Jordanie et bien-sûr chez nous en Europe. Les résultats des interventions militaires en Irak et en Libye ont été contre-productifs. Deux pays toujours instables et dont on n’arrive pas à trouver une solution qui permettrait de faire taire les armes. C’est pourquoi face à l’envie de changement de régime de la part des Occidentaux dans certains pays, je préfère dialoguer avec des dirigeants comme Vladimir Poutine en Russie, Recep Tayyip Erdogan en Turquie ou encore Abdel Fattah Al-Sissi en Egypte car ils défendent peut-être moins les principes de démocratie et de respect de l’Etat de droit mais ils assurent une stabilité aux portes de notre continent européen. Et n’oublions pas que bien des leaders arabes sont laïques et nous sont utiles dans notre lutte contre le terrorisme islamiste et l’islam politique.