Entreprises responsables : se donner bonne conscience, oui mais à quel prix?

En cette année de pandémie, l’économie va mal. Elle est en difficulté non seulement en Suisse mais également à l’étranger. Cette incertitude économique pèse lourdement sur nos entreprises indépendamment de leur taille. Je constate parmi mon entourage direct ou indirect ainsi qu’en lisant la presse que le nombre de jeunes s’inscrivant dans une université ou une Haute école a bondi cette année. Faute de places de travail ou de perspectives économiques réjouissantes, les jeunes comme moi choisissent la reconversion professionnelle ou reprennent des études. Quant à l’apprentissage, le marché des places est stable mais stabilité ne signifie pas sécurité.

Souverainisme vs interventionnisme 

Ce que demande l’initiative pour des entreprises responsables est fort louable, c’est incontournable. Cependant, il serait dangereux d’accepter ce texte pour la raison suivante : les jeunes vont dans quelques années chercher un travail. Or, accepter cette initiative c’est imposer encore plus de bureaucratie aux entreprises avec un renforcement des contrôles à faire sur le terrain. Et si elles décidaient de partir à cause de cette initiative? Le résultat serait moins de places de travail pour les jeunes et une crise socio-économique à la française type Gilets jaunes. De plus, ce n’est pas la “petite Suisse”, sans passé colonial comme le Royaume-Uni ou la France, qui va pouvoir aller dans des pays en Afrique, en Amérique du Sud ou encore en Asie imposer des lois pour faire respecter les droits humains et/ou environnementaux. Pour reprendre des propos du Président français Emmanuel Macron : “je crois à la souveraineté des Etats. Et donc, de la même façon que je n’accepte qu’aucun autre dirigeant me donne des leçons sur la manière de gouverner mon pays, je n’en donne pas aux autres”. Tout est dit!

Et la Suisse était confrontée à un mouvement de gilets jaunes comme chez son voisin français? Samedi de mobilisation des Gilets jaunes couplé à la grève contre la réforme des retraites, Paris, janvier 2020. Photo : Olivier R

Loi extraterritoriale suisse, non merci!

L’excellent Philippe Revaz du 19h30 de la RTS recevait lundi dernier l’ancienne Présidente de la Confédération et Ministre des affaires étrangères Micheline Calmy-Rey (2003-2011) à propos de cette initiative. Le présentateur évoquait avec elle l’extraterritorialité du droit américain, en référence notamment aux entreprises suisses et européennes qui ont interdiction de commercer avec “les ennemis de l’Amérique” à cause des sanctions en place. Le comité d’initiative vise une “application extraterritoriale du droit suisse”, dénonçait Avenir Suisse dans un article du Temps en 2019. Je condamne d’ailleurs cette loi américaine qui est simplement inacceptable. Alors pourquoi devrait-on faire la même chose que les Etats-Unis? Pourquoi la Suisse devrait aller dire à d’autres pays quoi faire ou comment faire en matière de respect des normes humaines ou environnementales? Il est préférable de sensibiliser ou de privilégier un dialogue avec les pays concernés mais pas d’imposer. Je rejette ce texte au nom du souverainisme de chaque Etat et condamne toute intervention d’un Etat occidental ailleurs. Nous avons vu les résultats catastrophiques en Irak, en Libye ou encore en Syrie quand on essaie d’imposer une idée sous d’autres latitudes.

Palais des Nations à Genève. Photo : Samuel Jr

Carte blanche à Aditya Yellepeddi

Nous pourrions toutes et tous être d’accord pour dire que la solution idéale aurait été d’organiser l’équivalent des “Accords de Paris” sur la responsabilités des entreprises. Elle aurait pu proposer aux gouvernements, aux entreprises et ONGs de tous les pays de se réunir, virtuellement, pour adhérer à une liste de valeurs communes. Toutes les entreprises seraient ainsi mises sur un pied d’égalité et la situation des droits humains et environnementaux en serait bien améliorée. D’autant plus que la Suisse, grâce à notre neutralité et notre capacité à trouver des consensus, aurait pu accueillir ce sommet en affirmant notre attachement au multilatéralisme, au dialogue et aux solutions pragmatiques.

Malheureusement, l’initiative “entreprises responsables” va exactement dans le sens contraire: elle s’attaque unilatéralement aux entreprises suisses, elle refuse le dialogue pour privilégier les batailles judiciaires et elle crée une usine à gaz bureaucratique au lieu de favoriser des mesures efficaces sur le terrain. Son objectif est d’exporter notre justice en utilisant notre économie comme moyen de transport. Changer notre Constitution (!) pour ensuite débattre d’une loi d’application est disproportionné pour répondre à quelques incidents liés à quelques filiales basées à l’étranger de quelques entreprises suisses. Du gaspillage de ressources.

En refusant cette initiative, le contre-projet entrerait en vigueur de suite pour s’attaquer notamment au travail des enfants, et ce dispositif pourrait être facilement adapté en fonction de la situation dans les pays concernés. Cette approche laisserait la possibilité à la Suisse de soutenir les efforts des autorités locales pour combattre ces violations, respectant ainsi leurs souverainetés tout en favorisant la coopération internationale.

J’ai envie de croire que la Suisse peut être pionnière de l’évolution dans le monde des entreprises, mais elle ne doit pas l’être au détriment de ses propres entreprises, cela ne serait tout simplement pas…responsable.

Je remercie Jonathan Luget pour m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur son blog.

Aditya Yellepeddi (2ème vice-Président et Conseiller communal à Chavornay). Twitter : @AYPOLITIQUE