Liban : une tragédie de plus pour un pays déjà à terre

Les deux explosions au port de Beyrouth qui ont détruit plusieurs quartiers de la capitale libanaise ont fait au moins une centaine de morts et plusieurs milliers de blessés, selon les derniers chiffres de la Croix-Rouge libanaise. Plusieurs pays, dont la France, ancienne puissance mandataire, ont envoyé de l’aide sur place. Dans un pays miné par les crises politiques, existe-t-il une solution pour sortir le pays de l’impasse? Et si le modèle helvétique, à travers le fonctionnement du Conseil fédéral, était transposable dans le système politique libanais?

Des centaines de morts, des milliers de blessés et de nombreuses personnes disparues : les Libanaises et les Libanais sont encore sous le choc. En cette fin d’après-midi du mardi 4 août dernier, deux explosions ont ravagé le port et plusieurs quartiers de la capitale libanaise. Les premières analyses ont conclu que l’origine du problème venait des près de 2’700 tonnes de nitrate d’ammonium stockées depuis six ans dans un entrepôt vétuste. Les images ou vidéos circulant sur les réseaux sociaux montraient une ville plongée malgré elle dans une sorte de chaos voire d’apocalypse. Quelques jours après ce terrible drame et faute de moyens mis en place par le Gouvernement libanais, plusieurs habitants ont pris les devants. Ils commençaient, seulement quelques heures après les deux explosions, à déblayer les rues et à accueillir ceux qui n’avaient plus de toit. Une manière de voir que les Libanais n’attendent plus rien de leurs dirigeants.

Enorme explosion au port de Beyrouth, Liban, jeudi 6 août 2020. Photo : Bedros Sakabedoyan

Aide internationale bienvenue

Plusieurs pays ont répondu présent pour apporter leur aide médicale, sanitaire ou encore logistique. Parmi ceux-ci, évidemment la France mais aussi la Russie, l’Iran, l’Arabie saoudite ou encore la Suisse. Berne a dépêché  sur place une “équipe de spécialistes composés d’ingénieurs civils et d’experts en logistique”. Un vrai élan de solidarité qu’on aimerait voir plus souvent. Le Président français Emmanuel Macron a été le premier chef d’Etat à se rendre sur place pour constater les dégâts. Il s’est également entretenu avec plusieurs responsables politiques en leur demandant un “profond changement”, dans un pays ruiné par les crises politique, économique et sociale ainsi que la corruption.

La France accusée d’ingérence dans les affaires internes du Liban

Avec cette visite sur le terrain, je conteste ceux qui disent que le Président Macron se permet de faire de l’ingérence dans les affaires intérieures du Liban. La France est l’ancienne puissance mandataire, c’est donc normal que les liens entre les deux pays soient très importants. Emmanuel Macron ne s’est pas comporté comme un nouveau colon mais plutôt comme un vrai Président, soucieux de voir un pays ami de la France s’enfoncer dans des crises à répétition. La déclaration du locataire de l’Elysée ne peut être plus claire : “pas de réformes, pas d’argent”. Aujourd’hui, plusieurs chefs d’Etat et de Gouvernement ainsi que des organisations internationales échangeront pour organiser et coordonner l’aide au Liban.

Emmanuel Macron recevant son homologue libanais Michel Aoun au Palais de l’Elysée, Paris, 25 septembre 2017. Photo : Présidence de la République française

Liban, de la richesse à la déliquescence

Le Liban, appelé autrefois la “Suisse du Moyen-Orient”, fait déjà face à une grave crise économique et à des années de corruption de l’élite politique. Le drame survenu mardi à Beyrouth est la goutte qui a fait déborder le vase. La population libanaise est en colère et n’espère plus un redressement économique du pays. L’automne passé, le Liban avait déjà connu des mouvements de protestation contre l’incapacité de la classe politique à redresser l’économie du pays. Selon le FMI, le Liban est aujourd’hui la 3ème dette mondiale derrière le Japon et la Grèce. La dette publique libanaise est estimée à plus de 86 milliards d’euros, soit 151% du PIB. Effarant! Alors, existe-t-il un modèle politique alternatif? Le modèle politique suisse, à travers la composition et le fonctionnement du Conseil fédéral, pourrait-il être transposable pour remplacer l’organisation actuelle du Gouvernement libanais?

Quel modèle politique dans le pays du Cèdre?

Le Liban est une république parlementaire, à l’image de l’Allemagne ou de l’Italie. C’est-à-dire que le rôle du Président de la République est essentiellement honorifique. Le poste dit “important” est celui du Président du Conseil des ministres, l’équivalent de Premier ministre dans d’autres pays. Le Liban se caractérise par un important pluralisme confessionnel, avec des chrétiens, des musulmans et une petite communauté juive. La répartition du pouvoir entre communautés religieuses a été définie ainsi : le chef de l’Etat est un chrétien maronite, le chef du Gouvernement est un sunnite et le Président du Parlement (système unicaméral) est un chiite. Le nouveau Gouvernement libanais, comme je l’imagine, serait basé sur le modèle du Conseil fédéral en Suisse. C’est-à-dire sept ou huit ministères contre dix-neuf aujourd’hui. Il devrait être composé de chrétiens et de musulmans sunnites et chiites. Le Gouvernement devrait travailler dans l’intérêt général du pays et non pour son propre égo. Les décisions devraient se prendre à l’unanimité. Plus de corruption et de clientélisme, on met une croix dessus. La durée de mandat d’un Président du Conseil des ministres ne devrait pas dépasser une année. Cela permettrait aux trois confessions religieuses principales d’occuper le poste de chef du Gouvernement à tour de rôle. Et donc il y aurait tous les trois ans des élections législatives. Je ne sais pas si cela marcherait au Liban, mais c’est une piste de réflexion pour proposer quelque chose de nouveau.

Alain Berset en visite présidentielle au Liban en 2018

La dernière visite présidentielle d’un chef d’Etat suisse au Liban remonte à 2018. Cette année-là, Alain Berset s’était rendu pendant deux jours dans le pays du Cèdre. Il s’était entretenu avec son homologue Michel Aoun et le Président du Conseil des ministres d’alors Saad Hariri. Les relations entre la Suisse et le Liban sont excellentes, fondées notamment sur des valeurs communes comme la défense de la démocratie, de l’Etat de droit ou encore de la langue française. A voir si la Confédération déroulera le tapis rouge pour le chef de l’Etat ou celui du Gouvernement cette année. Ce serait un juste renvoi d’ascenseur, deux ans après un accueil d’Etat pour la Suisse à Beyrouth.