Afghanistan : un échec américain?

Alors que les talibans se rapprochent à grands pas de la capitale Kaboul, plusieurs pays occidentaux réduisent ou ferment leurs activités en Afghanistan. A commencer par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Finlande ou encore la Suisse qui ont décidé de rapatrier leur personnel diplomatique. Quant à la Russie, elle n’envisage pas pour le moment d’évacuer ses employés sur place. Bien que le Président afghan, Ashraf Ghani, a annoncé tout mettre en œuvre pour trouver une solution qui mettrait fin à la guerre, la question d’un retour en force des talibans au pouvoir se pose. Hier encore, Joe Biden défendait le retrait des troupes américaines en déclarant que : “rester en Afghanistan n’aurait fait aucune différence quand l’armée afghane ne peut ou ne veut pas défendre son propre pays.” Alors l’intervention militaire américaine en Afghanistan a-t-elle été un échec total?

Il y a d’abord eu en 1975 la défaite américaine au Vietnam. Cette année-là, le Vietnam du Sud, allié des Américains, perdait face au Vietnam du Nord communiste. En 2011, le 44ème Président américain Barack Obama décide d’en finir avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Il le renverse. Certes, l’objectif est atteint, mais le pays plonge ensuite dans le chaos et l’anarchie avec dans tout le pays des groupes terroristes et milices armées qui se disputent le pouvoir. Les talibans vont prendre le contrôle du pays, il n’y a aucun doute là-dessus. Après sept mois passés à la Maison Blanche, Joe Biden vit en ce moment sa première crise internationale. En annonçant il y a quelques mois un retrait total de toute force étrangère dans le pays, il n’a fait qu’empirer le problème. Il aurait dû s’assurer par un accord écrit que les talibans ne prendraient jamais le contrôle de Kaboul. Après vingt ans de timide démocratie et de libertés pour les femmes, il vient de redonner ce pays aux terroristes. Le pays va sans aucun doute et malheureusement revivre sous le régime des talibans, comme à la fin des années 90. La situation va s’aggraver en premier lieu pour la population afghane, fatiguée des conflits à répétition, mais aussi pour les pays occidentaux. La non-présence de forces armées étrangères va créer un vide favorable pour des terroristes et comme en Libye et/ou en Syrie, cela va attirer des djihadistes du monde entier. Par ailleurs, Berne a annoncé suspendre les expulsions de réfugiés déboutés vers Kaboul à cause des combats actuels. On peut applaudir cette décision, car il serait contraire à nos valeurs de renvoyer ces personnes en Afghanistan, le risque d’être tué est trop grand. De plus, l’ombre de la crise migratoire de 2015 plane déjà. L’Union européenne et la Suisse doivent impérativement se coordonner pour éviter de revivre une crise migratoire qui menacerait la stabilité et la paix ici en Europe.

Des combattants talibans patrouillent dans les rues de Hérat, deuxième plus grande ville d’Afghanistan, le 14 août 2021. Photo : AFP

L’intervention militaire américaine en Afghanistan a été un échec sur toute la ligne. Washington a investi des milliards, entraîné des milliers de soldats afghans et fourni des équipements militaires. Et pourtant, l’armée afghane est en déroute complète face aux talibans. Trop c’est trop! Il est temps que la Chine, la Russie ou des puissances régionales (Turquie, Iran, etc.) prennent la relève et assurent la sécurité au Moyen-Orient et en Asie centrale.

Bachar Al-Assad, lui ou le chaos

Il y a 10 ans, lors des Printemps arabes, les jours du Président syrien Bachar Al-Assad semblaient comptés. Avec l’appui de son armée, il a pu dans les premières années du conflit résister aux mouvements de contestation de la rue. Face la progression des groupes djihadistes comme l’Etat islamique, Bachar Al-Assad s’est présenté et à juste titre comme un rempart contre le terrorisme. “Aucune solution ne peut être trouvée contre le terrorisme, exceptée de réprimer avec une main de fer”, disait-il en 2011. Soutenu militairement par la Russie et l’Iran pour des raisons stratégiques différentes, le Président Al-Assad est accusé d’avoir plongé son pays dans le chaos. Le conflit en chiffres fait froid dans le dos : 400’000 morts, 12 millions d’exilés et de déplacés. Aujourd’hui, il ne dirige plus que les 3/4 de son pays, la Syrie est ruinée après des années de conflit et l’été prochain, Bachar Al-Assad devrait être réélu à la tête du pays pour un quatrième mandat. Les Etats-Unis, la France et l’Union européenne qui exigeaient son départ il y a quelques années, demandent à présent une sortie de crise négociée. Comment nous Occidentaux devons envisager notre future relation avec la Syrie? Qui de la Russie ou de l’Iran peut vraiment faire pression sur Bachar Al-Assad pour obtenir des résultats? Après les interventions militaires catastrophiques des Occidentaux en Irak et en Libye, n’est-il pas préférable de laisser en place des dirigeants autoritaires au nom de la stabilité?

Pour répondre à ma première question, je crois qu’il faudrait réinstaurer des contacts diplomatiques avec la capitale syrienne. Washington, Paris, Bruxelles et la Genève internationale doivent accepter la présence de l’actuel président à la tête de la Syrie. Je ne vois pas d’alternative à Bachar Al-Assad, pour le moment. Certes, les relations ne pourront pas être tout de suite à haut niveau, mais elle le redeviendront au fil des années. Je crois aux vertus du dialogue, même ferme, et aux échanges, pas aux armes ni aux bombes.

Pour répondre à ma deuxième question, c’est clairement la Russie qui tient le destin du Président syrien entre ses mains. La Russie et l’Iran sont deux pays sous sanctions mais le premier est une puissance internationale et militaire qui compte sur la scène internationale. Le deuxième est une aussi une puissance mais sur un plan régional. Depuis 2015, la Russie s’est beaucoup investie pour soutenir l’intégrité territoriale de la Syrie ainsi que son Président. Mais un soutien ne va pas sans conditions. Le chef de l’Etat russe Vladimir Poutine commence à s’exaspérer de voir la situation toujours instable malgré l’intervention de son pays pour stabiliser la Syrie. Et il attend bien-sûr un retour sur investissement de la part de son homologue syrien. Un peu comme le Président français Emmanuel Macron dans la région du Sahel.

Les Présidents russe et syrien, Vladimir Poutine (à droite) et Bachar Al-Assad (à gauche) en pleine discussion lors d’une rencontre officielle à Sotchi en mai 2018. Photo : GreekMan Socks

Pour répondre à ma troisième et dernière question, les interventions militaires en Irak en 2003 et en Libye en 2011 ont été catastrophiques non seulement pour ces peuples mais aussi pour le Moyen-Orient et l’Europe. Autrefois, la Syrie était un pays culturellement riche. Des communautés Arabes chiites et sunnites, des Juifs ainsi que des Chrétiens vivaient en parfaite harmonie. Mon professeur d’histoire au gymnase du soir s’était rendu en Syrie en 1997. Il nous avait expliqué ce patchwork multiconfessionnel. Aujourd’hui, c’est un pays abîmé par des années de guerre et par la présence de terroristes islamistes, notamment de jeunes Européens. Les puissances occidentales devraient s’abstenir de toute intervention militaire musclée pour faire renverser des dirigeants. On intervient toujours pour amener la démocratie mais cela se traduit très souvent par davantage de violence et de chaos. On ne peut pas simplement calquer nos modèles de démocratie sur ces “jeunes” pays.

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En conclusion, la population syrienne continue de payer un lourd tribut. L’ONU estime à environ 5,6 millions le nombre de Syriennes et Syriens ayant fui le conflit pour trouver refuge en Turquie, au Liban, en Jordanie et bien-sûr chez nous en Europe. Les résultats des interventions militaires en Irak et en Libye ont été contre-productifs. Deux pays toujours instables et dont on n’arrive pas à trouver une solution qui permettrait de faire taire les armes. C’est pourquoi face à l’envie de changement de régime de la part des Occidentaux dans certains pays, je préfère dialoguer avec des dirigeants comme Vladimir Poutine en Russie, Recep Tayyip Erdogan en Turquie ou encore Abdel Fattah Al-Sissi en Egypte car ils défendent peut-être moins les principes de démocratie et de respect de l’Etat de droit mais ils assurent une stabilité aux portes de notre continent européen. Et n’oublions pas que bien des leaders arabes sont laïques et nous sont utiles dans notre lutte contre le terrorisme islamiste et l’islam politique.

Arménie / Azerbaïdjan : un “nouveau” conflit aux portes de l’Europe?

Depuis le 27 septembre dernier, séparatistes arméniens et militaires azéris s’affrontent violemment dans la région du Haut-Karabakh. Territoire situé en Azerbaïdjan mais peuplé avant tout d’Arméniens chrétiens, ce conflit n’est pas récent et remonte à l’époque soviétique. Equation difficile pour les Occidentaux qui doivent faire un choix entre l’importation d’hydrocarbures et la défense d’une communauté chrétienne. Vladimir Poutine s’impose une nouvelle fois comme le détenteur de la clé de résolution du conflit.

Petit rappel géographique. Le Haut-Karabakh est une enclave peuplée majoritairement d’Arméniens mais située en territoire azéri. A la dislocation de l’URSS en 1991, cette région s’est auto-proclamée indépendante. C’est là-bas que depuis deux semaines séparatistes arméniens et militaires azéris s’affrontent violemment. Malgré l’appel de plusieurs acteurs du dossier, à savoir les co-présidents du Groupe de Minsk (Russie, France et Etats-Unis) ou l’Union européenne, à cesser immédiatement les combats, ceux-ci continuaient jusqu’à hier midi. L’histoire des tensions entre les deux ex-pays soviétiques remonte à l’époque stalinienne.

Un conflit qui date de l’ère soviétique

Joseph Staline (1878-1953) devient en 1922 le nouveau Secrétaire général de l’URSS. Une année avant cet événement, il décide de donner à l’Azerbaïdjan (population musulmane chiite) la région du Haut-Karabakh (population arménienne chrétienne). Un “mariage” entre deux communautés qui provoquera de nombreux conflits dans les dernières années de l’Union soviétique. En 1991, le grand pays socialiste s’effondre et l’Azerbaïdjan et l’Arménie se déclarent la guerre. Un conflit meurtrier qui durera jusqu’en 1994 et qui fera 30’000 morts et des milliers de réfugiés. Face à cette horreur, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) décide en 1992 la création du Groupe de Minsk. Celui-ci est co-présidé par trois grandes puissances militaires que sont les Etats-Unis, la Russie et la France. Ces trois nations arriveront finalement à mettre un terme à ce conflit régional sans pour autant trouver une solution à long terme qui profiterait à Erevan comme à Bakou.

Deux pays stratégiques aux yeux de l’Europe

Comment la Russie, la France, l’Union européenne, la Suisse ou encore les Etats-Unis vont se positionner face aux deux parties en conflit? Quel(s) intérêt(s) défendre entre d’un côté le pétrole et le gaz azéri et de l’autre une communauté chrétienne chère à plusieurs dirigeants européens? L’équation à résoudre s’annonce d’ores et déjà difficile. Le Caucase du Sud c’est principalement trois pays : dans l’ordre alphabétique l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Prenez exemple avec la Suisse. Selon le DFAE, “l’Azerbaïdjan est le principal partenaire commercial de la Suisse dans le Caucase du Sud”. Certes, Berne a des échanges économiques avec Erevan et Tbilissi mais ils ne sont pas aussi importants qu’avec Bakou. Ce pays restera pour la Suisse et d’autres pays européens un partenaire économique très important, notamment pour l’importation d’hydrocarbures. Quant à l’Arménie, la religion chrétienne, défendue par beaucoup de leaders européens de droite ou d’extrême-droite dans leur propre pays, tient une place importante dans la société. D’où le fait que Vladimir Poutine se sent aussi plus proche de la religion arménienne qu’azéri. La clé de résolution de ce conflit régional est entre les mains du grand voisin russe pour des raisons historiques mais aussi géographiques.

L’ancien Président du Conseil des ministres italiens, Matteo Renzi, accueille au Palazzo Chigi le Président azéri, Ilham Aliyev, à l’occasion d’une visite officielle de ce dernier, Rome, 9 juillet 2015. Photo : Palazzo Chigi.

Poutine le pacificateur 

D’ailleurs et pour appuyer mon dernier propos, le Ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov a annoncé hier l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu. Vladimir Poutine a probablement dû faire pression sur le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan et sur le Président azéri Ilham Aliyev pour obtenir cette trêve. Au-delà de ce conflit caucasien, il y a une chose intéressante à relever. La Russie de Vladimir Poutine est incontestablement celle qui détient certaines solutions dans plusieurs conflits autour du monde. En Biélorussie, en Libye, en Syrie ou encore au Venezuela, à chaque fois les Américains et les Européens n’ont pu se passer de la décision des Russes. Ou je dirais qu’ils ont enfin compris que la Russie joue son rôle de grande puissance et qu’elle devient un partenaire de premier plan pour tenter de trouver des solutions à des conflits anciens ou récents.

Vladimir Poutine à l’occasion d’une visite de travail en Arménie. Discussion officielle avec le Premier ministre Nikol Pashinyan, Erevan, 1er octobre 2019. Photo : compte Twitter de la présidence russe.