Un voyage à Taïwan qui aurait pu attendre quelque temps

La Présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a suscité les foudres de Pékin après sa visite sur l’île de Taïwan. Territoire indépendant, mais revendiqué par la Chine. Elle fait désormais l’objet de “sanctions” de la part de Pékin. A l’heure où le monde est déjà confronté à de multiples crises, notamment le conflit Russie-Ukraine, est-ce que ce voyage de Nancy Pelosi à Taïwan n’aurait pas pu attendre quelques mois?

La Russie, qui a sans aucune raison valable envahi l’Ukraine en février dernier, a lancé des accusations contre son rival de toujours, les Etats-Unis. Elle les accuse de vouloir « déstabiliser le monde » en provoquant en connaissance de cause des tensions autour de Taïwan. En effet, Nancy Pelosi, la Présidente de la Chambre des représentants (Chambre basse du Congrès américain), a effectué une visite de quelques heures à Taipei. Et ce malgré les mises en garde de la Chine. Selon le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, ce déplacement de Nancy Pelosi à Taïwan est une « pure provocation ». « Cela aggrave la situation dans la région et renforce les tensions ». Juste après son départ, la Chine a mis en place de grandes manœuvres militaires autour de Taïwan. Celles-ci doivent prendre fin aujourd’hui.

Une visite à condamner?

Cette déclaration du porte-parole russe m’a interpellé. Je me suis demandé si en effet cette visite de Nancy Pelosi à Taïwan n’était pas une manière de provoquer encore plus la Chine. On vit déjà un conflit sur le continent européen avec la guerre en Ukraine. Un autre conflit entre la Chine et Taïwan ou entre la Chine et les Etats-Unis, même indirectement, seraient dangereux pour la sécurité mondiale. Les Etats-Unis et la Chine sont incontestablement les deux grandes puissances économique et militaire de ce 21ème siècle. Il y a bien sûr des rivalités, c’est normal entre grandes puissances. Mais leurs actions militaires n’aident en rien à œuvrer pour la paix mondiale Le dialogue, même constant, est la clé pour éviter tout malentendu. Doit-on condamner la visite de Nancy Pelosi à Taïwan ? Bien sûr que non, elle a le droit en tant que présidente d’une chambre parlementaire de visiter le pays qu’elle souhaite. Mais cela aurait été plus intelligent de reporter sa visite à Taïwan à un autre moment. Il est vrai que son déplacement n’a fait qu’accentuer les tensions dans une région déjà sous très haute tension.

Le Président américain Joe Biden parle virtuellement avec son homologue chinois Xi Jinping depuis la Maison Blanche, en novembre 2021. Image : Reuters

La séparation “américaine” des pouvoirs

La Chine doit comprendre que les Etats-Unis sont une démocratie et cela implique donc la séparation claire des pouvoirs entre l’exécutif (le président) et le législatif (les deux chambres du Congrès). C’est-à-dire qu’un président américain peut recommander à un président d’une des deux chambres du Congrès d’effectuer ou pas un voyage dans tel pays, mais en aucun cas il peut l’en interdire, sauf sécurité imminente pour les Etats-Unis.

Un sommet Xi Jinping – Joe Biden en Suisse?

En 2021, la Suisse avait accueilli à Genève une rencontre entre les présidents russe Vladimir Poutine et américain Joe Biden. Le but de ce sommet était de reprendre et redéfinir les relations entre ces deux grands pays. La semaine passée, Xi Jinping et Joe Biden se sont entretenus par téléphone et ont convenu d’une prochaine rencontre. A moins que l’incident de Taïwan ne vienne perturber, la rencontre devrait toujours avoir lieu. Probablement en marge du sommet du G20 au mois de novembre en Indonésie. Et pourquoi la diplomatie suisse ne tenterait-elle pas un coup de poker en proposant Genève ou Zurich comme plateforme de dialogue entre Pékin et Washington ? La Suisse n’est pas une puissance militaire ni économique au niveau mondial. Mais elle restera toujours une puissance diplomatique qui parle à tout le monde. Accueillir chez elle un sommet entre les deux grandes puissances d’aujourd’hui, à savoir la Chine et les Etats-Unis, montrerait qu’elle est prête à désamorcer les tensions pour oeuvrer pour la paix mondiale.

JO de Pékin 2022 : une décision du Conseil fédéral décevante

Lors de sa séance hebdomadaire de mercredi, le Conseil fédéral a finalement renoncé à envoyer quelqu’un pour représenter notre pays à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques. Celle-ci se tiendra vendredi prochain à Pékin. La raison avancée est l’état de la situation sanitaire en Chine et l’impossibilité de rencontrer d’autres chefs d’Etat et/ou de Gouvernement pendant le séjour. Cette semaine, on apprenait que les Etats-Unis sont à présent le premier marché pour les exportations helvétiques. Faut-il voir une pression américaine sur le Gouvernement suisse concernant ce boycott olympique?

Il est de coutume pour un(e) président(e) de la Confédération en exercice de se rendre à chaque cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, hiver comme été. Ces dix dernières années, tous les présidents suisses ont fait le déplacement. Eveline Widmer-Schlumpf à Londres en 2012. Didier Burkhalter à Sotchi en 2014 et malgré le début du conflit (encore actuel) entre la Russie et l’Ukraine. Johann Schneider-Ammann à Rio en 2016. Alain Berset à PyeongChang en 2018, il avait même pu rencontrer la soeur du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. Enfin Guy Parmelin à Tokyo l’été passé et même avec la situation sanitaire qui n’était pas très bonne. Alors quand le porte-parole du Conseil fédéral explique que la Suisse n’enverra aucun Conseiller fédéral, cela me fait sourire et j’ai vraiment de la peine à croire cette explication. Si certains pays ont renoncé à envoyer des officiels (Australie, Royaume-Uni, Etats-Unis et Canada), d’autres pays feront le déplacement (Singapour, Russie, Emirats arabes unis, Egypte, Pologne, Luxembourg et Argentine).

En marge de l’ouverture des JO d’été 2021 de Tokyo, le Président de la Confédération Guy Parmelin a pu s’entretenir avec l’ex-Premier ministre japonais Yoshihide Suga.

Distinguer sport et politique

Les athlètes suisses n’auront donc pas le soutien du Président Cassis ou du Vice-Président Berset. Et je  trouve cela fort regrettable. J’éprouve même une honte vis-à-vis des autorités de mon pays. La Suisse abrite le siège du Comité international olympique et aucun représentant fédéral n’a eu le courage de faire le voyage à Pékin. Cela ne coûte rien de distinguer le sport de la politique. Ignazio Cassis, Alain Berset ou Viola Amherd auraient pu le temps d’une cérémonie mettre les dossiers qui fâchent sous le tapis et aller soutenir les sportives et sportifs suisses. Les militants de gauche peuvent se réjouir, mais ils n’ont pas compris que la Chine est la deuxième puissance mondiale. Et qu’aux yeux de Pékin, ce boycott ne leur fait ni chaud ni froid. Par contre, une présence officielle suisse aurait permis d’affirmer que la Suisse tient à sa neutralité et qu’elle parle à tout le monde. Je crois à la souveraineté des Etats. La Suisse, l’Europe ou les Etats-Unis n’ont pas à dicter au reste du monde comment respecter la démocratie ou les droits de l’Homme. Quand je vois qu’aux Etats-Unis une bande de tarés est capable de prendre d’assaut un parlement, je crois sincèrement que Washington devrait d’abord s’interroger sur l’état de sa propre démocratie avant de donner des leçons aux autres.

Le siège du CIO à Vidy. Photo : Patrick Martin

La Suisse aura donc une fois de plus suivi les ordres de la Maison Blanche. Ils sont devenus notre premier partenaire pour les exportations, on peut se réjouir et je ne remets pas en cause cette excellente relation diplomatique. Mais je regrette qu’on se plie à chacune de leur exigence sans affirmer notre souveraineté et défendre nos intérêts.