Europe de l’Est vs Europe de l’Ouest : doivent-elles forcément partager les mêmes valeurs?

Le vote du budget annuel européen est bloqué à cause de certains pays membres de l’Union européenne : la Hongrie de Viktor Orbán, la Pologne de Mateusz Morawiecki et la Slovénie de Janez Janša. Les trois Premiers ministres refusent le plan de relance économique qui est censé profiter directement aux entreprises européennes et indirectement à l’économie suisse. Ce blocage peut-il creuser davantage les divisions Est-Ouest?

“Nous l’avons fait. L’Europe est solide. L’Europe est robuste et surtout l’Europe est rassemblée”, disait en juillet dernier Charles Michel, le Président du Conseil européen. Cet ambitieux plan de relance européen ne verra peut-être pas le jour à cause de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovénie. Ces trois pays de l’Europe de l’Est refusent pour le moment d’approuver le plan proposé par Bruxelles à cause d’une clause : celle-ci stipule que pour toucher les aides financières, les pays membres doivent respecter l’Etat de droit. Ces dernières années, la Commission européenne tout comme le Conseil européen ont rappelé à l’ordre Budapest et Varsovie car ils les accusent de saboter l’indépendance de la justice et de porter atteinte à la liberté de la presse, à coup de réformes pas vraiment démocratiques. Deux valeurs pourtant essentielles aux yeux de l’Union européenne.

La Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Président du Conseil européen Charles Michel, contents du plan de relance accepté, après 4 jours de tractations, par les 27 Etats-membres, Bruxelles, juillet 2020. Photo : KEYSTONE/EPA/STEPHANIE LECOCQ

Hier europhiles, aujourd’hui europhobes

La Hongrie, la Pologne et la Slovénie ont rejoint l’UE au printemps 2004. Au moment de leur adhésion, les trois Etats ont signé une charte quant au respect des valeurs fondamentales, à savoir le respect de l’indépendance de la justice et de l’existence de médias d’opposition. Entre 2004 et aujourd’hui, on est passé de gouvernements europhiles à gouvernements europhobes. Europhiles quand il s’agit de recevoir de l’argent des pays riches d’Europe occidentale mais europhobes quand on leur demande d’aider l’Italie ou la Grèce en acceptant d’accueillir des migrants. Bien que Budapest, Varsovie et Ljubljana soient contre les valeurs libérales défendues ici en Occident, ces trois Etats restent européens par leur culture et leur mode de vie. Ils ont leur place au sein de la communauté européenne. Mais être membre d’un club signifie avant tout accepter et appliquer des règles communes.

Le 1er mai 2004, l’Union européenne voyait l’arrivée “chez elle” de dix nouveaux pays : Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Slovénie. Un véritable défi tant les mentalités Est-Ouest sont différentes sur de nombreux sujets. Photo : picture-alliance/dpa

La question des personnes trans en Suisse

“Il y a une seule image de l’Europe qui est réussie, c’est la Suisse” dixit Jean d’Ormesson face à l’ex-star du 19h30 Darius Rochebin. Les Cantons suisses ou les Etats-membres de l’UE, entre eux, peuvent avoir des positions différentes sur le mariage pour tous ou les droits des LGBT. Exemple en Suisse. Dans certaines régions comme en Valais, à Fribourg ou en Suisse centrale, ces Cantons sont peut-être moins enclins à accepter les personnes trans. Alors qu’ailleurs ceux-ci peuvent se fondre dans la masse sans trop de problèmes. A titre personnel, sur la question transsexuelle, je sais que mon avis est différent de la majorité. L’importance est que sur les questions relatives au domaine public (indépendance de la justice ou liberté de la presse), tous les Cantons / Etats-membres doivent les respecter sans condition. Et pour celles du domaine privé, les sensibilités peuvent varier mais elles doivent être entendues. Ce n’est pas parce que le Portugal ou l’Autriche acceptent largement le mariage entre deux personnes de même sexe que l’Union européenne doit imposer de même à la Roumanie ou à la Hongrie.

Un plan de relance qui profitera surtout aux pays de l’Est

Jacques Rupnik, politologue et spécialiste de l’Europe de l’Est, rappelait jeudi dernier dans l’émission 28 minutes d’Arte : “Qui a demandé de rentrer dans l’Union européenne? C’est les pays d’Europe centrale. C’est pas l’Union européenne qui est parti à la conquête”. Bruxelles veut se doter d’un plan de relance de 750 milliards d’euros pour soulager son économie de la crise du COVID-19. La Suisse tirera aussi bénéfice, de manière plus indirecte, de ce plan de relance puisque l’UE est dans le top 3 de nos principaux partenaires commerciaux, aux côtés des Etats-Unis et de la Chine. La Pologne bloque le plan de relance alors qu’elle est le pays qui va recevoir le plus d’argent de ces 750 milliards d’euros. Tout comme la Hongrie qui est aussi bénéficiaire de ces fonds de solidarité. Je vois deux options à l’avenir pour éviter de paralyser économiquement un continent : bannir le principe d’unanimité pour prendre des décisions. 14 voix sur 27 devrait être la règle pour qu’une proposition ou loi puisse être acceptée. Lier les aides financières au respect de la démocratie et de l’Etat de droit me parait faire sens. Autrement dit, tu ne veux pas respecter, tu ne recevras rien! Si Ursula von der Leyen et Charles Michel ne haussent pas le ton face à la Hongrie, à la Pologne et à la Slovénie, le risque à l’avenir est d’avoir encore plus de divisions à l’intérieur de l’Union européenne entre ceux qui défendent une Europe libérale et les autres qui mettent en avant l’Europe illibérale.