Turkménistan : le clan Berdymoukhamedov

Les électeurs du Turkménistan, pays d’Asie centrale riche en hydrocarbures, se sont rendus aux urnes hier pour choisir leur “nouveau” président. Un scrutin largement joué d’avance, car c’est le fils de l’actuel dirigeant Gourbangouly Berdymoukhamedov qui va prendre les rênes de ce pays très fermé. Coup de projecteur sur un pays très méconnu ici en Occident.

Hier, les Turkmènes se sont déplacés aux urnes à l’occasion d’une élection présidentielle, dont le résultat était joué d’avance. Elle va permettre au fils de l’actuel Président Gourbangouly Berdymoukhamedov d’accéder au poste suprême de ce pays autoritaire d’Asie centrale. Depuis son indépendance de l’URSS en 1991, le pays va connaître son troisième président en l’espace de trente ans. L’absence d’alternance politique est flagrante. Le fils et nouveau Président Serdar Berdymoukhamedov n’a cessé de gravir les échelons du pouvoir. D’abord gouverneur d’une province, il s’est ensuite vu offrir le portefeuille d’un ministère. Son père n’a toutefois pas prévu de disparaître de la scène politique. Il va rester aux commandes du Sénat. Ce départ précipité pourrait s’expliquer par l’envie d’assurer en douceur la “transition” politique.

Le nouveau Président Serdar Berdymoukhamedov, fils de l’actuel.

Un pays peu accessible

Gourbangouly Berdymoukhamedov contrôle un pays très fermé. A ma connaissance, j’ai très peu vu de reportages sur ce pays. Les journalistes ne sont pas les bienvenus. Avec un tourisme très marginal, il m’est plutôt rare de tomber sur des photos de vacances d’amis qui seraient partis au Turkménistan. Cependant, ce fantasque président reste avant tout connu pour ses mises en scènes à vélo, à cheval, au fitness, en voiture de sport ou encore au piano chantant pour son peuple.

Isolé vis-à-vis de la diplomatie mondiale

Le Turkménistan est un pays, dont la taille est comparable à l’Espagne (488’100 km2 contre 505’911 km2), mais peu peuplé (environ 5,8 millions d’habitants). Les trois quarts du pays sont inhabitables, car désertique. Et pourtant, c’est un Etat riche en hydrocarbures. Il dispose d’environ 10% des réserves de gaz au monde, juste derrière l’Iran, la Russie et le Qatar. Je suis persuadé que le pays peut jouer un rôle important dans l’actuelle crise des ressources pétrolières et gazières en termes d’approvisionnement pour l’Europe occidentale. Le Turkménistan s’est depuis longtemps auto-isolé. Il n’est ni membre de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), ni membre de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) ou encore ni membre de la Communauté des Etats indépendants (CEI). A travers mon fil Twitter, je suis les rencontres internationales et il m’a été plutôt raire de voir Gourbangouly Berdymoukhamedov être reçu ces dernières années à Berne, à Berlin, à Vienne, à Paris, à Rome, à Londres ou à Paris. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas de contacts entre le Turkménistan et les chancelleries occidentales.

Quid des relations avec la Suisse?

Les relations entre Berne et Achgabat sont bonnes, d’après le DFAE. Sur son site, il indique que les deux pays “entretiennent un dialogue politique régulier”. Peut-on le croire? Aucun président suisse n’a effectué ces dernières années une visite officielle ou d’Etat au Turkménistan. A l’inverse, aucun officiel turkmène n’a été invité à Berne. La dernière vraie rencontre entre les autorités suisse et turkmène a eu lieu il y a pile 10 ans. En 2012, la Présidente d’alors est Eveline Widmer-Schlumpf et c’est elle qui a eu l’honneur de recevoir son homologue turkmène à Berne. Depuis, plus aucun contact. J’invite le Président Ignazio Cassis a réactivé les relations entre Berne et Achgabat et à soit se rendre dans ce pays soit inviter son homologue en Suisse cette année. Surtout que la Suisse célèbre entre l’année passée et cette année 30 ans de relations diplomatiques avec les cinq pays d’Asie centrale : Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Turkménistan = 1991-2021. Et pour le Tadjikistan, les relations diplomatiques ont été établies en 1992.

Gourbangouly Berdymoukhamedov
Le président turkmène Gourbangouly Berdymoukhamedov accueilli par Eveline Widmer-Schlumpf et une parade militaire à Berne, lors de sa visite officielle effectuée en 2012.

 

Jonathan Luget

Jonathan Luget est né en 1993, un mois après la visite du premier chef d'Etat européen, François Mitterand, dans la jeune République du Kazakhstan. En marche avec un CFC, deux maturités et deux diplômes SAWI (communication et réseaux sociaux). Les loisirs se partagent entre la lecture d'ouvrages géopolitiques, la rédaction d'articles, la cuisine et la natation.

3 réponses à “Turkménistan : le clan Berdymoukhamedov

  1. Bonjour Jonathan,

    Oui, c’est vrai que le pays n’est pas une démocratie exemplaire, mais à dire vrai quel état de la région l’est, voir l’a jamais été ? Il n’existe pas une tradition historique à la manière de l’Occident et, même si les valeurs de ce dernier en termes d’affirmation des libertés et des droits de l’homme sont un apport indéniable à l’humanité, nous devons cesser de voir ces pays à travers nos lunettes d’Européens de l’Ouest. Il y a là-bas d’autres critères, et la demande d’un pouvoir fort émanant d’un personnage charismatique est le plus souvent mis en avant. Ces sociétés ont longtemps été des mondes de nomades commerçants sur d’immenses distances, les “frontières” n’étaient pas définies au sens où nous l’entendions et les rapports de pouvoir n’y étaient pas de type étatique, mais plutôt claniques voire familiaux. Ceci est d’ailleurs le cas dans nombre d’états hors de la région, comme vous le savez fort bien. Bien sûr l’état-nation bien défini y est aujourd’hui une réalité, et le nationalisme fort chatouilleux, mais au plan sociétal, les structures sont celles d’un autre modèle qu’il serait erroné de percevoir comme archaïque, comme si seul le neutre devait être la mesure de toutes choses, et en particulier de la notion évolutionniste dépassée de progrès de développement social et politique . Accepter ces réalités différentes ne signifie pas se désintéresser de celles et ceux qui sur place, autant qu’il leur soit possible de l’exprimer d’une ou l’autre manière, prônent une autre manière d’être et d’agir ou une marge d’action plus étoffée pour l’individu. Toute atteinte à un individu ou à un groupe donné devrait être dénoncée, il en va de notre propre crédibilité et de notre cohérence avec notre propre conception du jeu politique. Cela dit, blâmer systématiquement, couper des ponts, ostraciser, n’est selon moi pas une bonne manière. Dans le cas considéré, notre intérêt économique et géopolitique d’Européens, pas toujours compris outre-Atlantique, devrait nous amener à développer nos relations tous azimuts, y compris avec des pays ne correspondant que peu ou prou à nos conceptions. Cynisme ? Nenni, mais Realpolitik qui n’exclut aucunement de pointer certains aspects délicats dans nos négociations. N’avons-nous d’ailleurs pas toujours agi ainsi ? Alors oui, comme d’autres le font, recevons Gurbanguly et Serdar Berdymuhamedov. Rencontre de deux pays “neutres” avec tout ce que cela peut impliquer comme base commune de discussion, de négociation, d’échanges et aussi d’examens de conceptions différentes. L’Asie Centrale est aussi, politiquement autant qu’économiquement, partie de notre avenir. Il serait bon de ne pas l’oublier.

  2. précision : le mot “neutre” apparait deux fois dans mon texte, seul le mot entre guillemets est pertinent, une erreur de frappe m’a fait taper neutre (sans guillemets) au lieu de notre. Lapsus calami dénaturant le sens de la phrase et dont je m’excuse. La référence à la neutralité fait référence au fait que le Turkménistan s’est déclaré officiellement comme pays neutre, même si cette notion ne reflète pas nécessairement une vision commune avec celle de notre pays.

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