Pas d’accord-cadre entre la Suisse et l’UE

Retour à la case départ pour les relations entre Berne et Bruxelles. Après sept ans de négociations, le Conseil fédéral a annoncé mercredi 26 mai dernier la fin des discussions sur l’accord-cadre. Il n’y aura donc pas d’accord général encadrant les liens et fixant les règles du jeu dans l’importante relation qui lie la Suisse à l’UE. La Commission européenne par la voie de son porte-parole Eric Mamer en a pris acte à regret : “notre accord commercial avec la Suisse a presque cinquante ans d’âge. Nos paquets d’accord sectoriels ont plus de vingt ans d’âge et il est évident que la législation européenne continue à évoluer. Dès lors que nous n’avons pas d’accord-cadre, tous ces accord ne vont pas évoluer et il y aura un décalage de plus en plus grand. Et ce sont des opportunités perdues pour les opérateurs suisses qui opèrent dans l’UE”. La Suisse craignait pour la protection de ses salaires, plus élevés que dans l’UE. Elle redoutait aussi un accès sans restriction des ressortissants européens à ses prestations sociales. Les négociations n’en finissaient plus de piétiner. Parmi les quatre grands partis politiques du pays, l’UDC et le PS étaient contre cet accord institutionnel mais pour des raisons différentes. Quant au Centre et au PLR, ils le soutenaient bien qu’ils demandaient quelques clarifications techniques. L’accord-cadre Suisse-UE est mort. Alors après cet abandon, quelle suite notre pays voudrait-il donner à sa relation avec son principal partenaire commercial?

Le Conseil fédéral en stoppant les négociations a commis une erreur. Certes, cet accord-cadre devait encore être discuté et ajusté avant une signature définitive. La Suisse était en droit d’obtenir les clarifications souhaitées, c’est-à-dire sur la protection des salaires, la directive sur la libre circulation des citoyens de l’Union et les aides d’Etat. Mais venir devant la presse et annoncer que les négociations s’arrêtent là sans avoir discuté d’un plan B au préalable est dangereux pour notre pays. On sait que l’économie n’aime pas l’incertitude. Pourtant, le Conseil fédéral en ne souhaitant pas poursuivre la discussion avec l’UE plonge notre pays et son économie dans une grande incertitude. Pas de nouvelles dates de rencontres dans les prochaines semaines. Le Conseil fédéral a juste fait savoir qu’il souhaite néanmoins sauvegarder la voie bilatérale. Pauvre réponse! Avec cet accord-cadre, on aurait eu plus à gagner qu’à perdre (échanges économiques, recherche, électricité, observation spatiale, santé, échanges académiques, etc.), soit un large panel de domaines. L’Union européenne fait partie du top trois de nos partenaires commerciaux aux côtés des Etats-Unis et de la Chine. A l’inverse, la Suisse est le quatrième partenaire commercial de l’UE. Environ 52% de nos exportations vont vers l’UE alors qu’environ 70% de nos importations proviennent de l’UE. Tout est dit ou presque.

Que faire alors ces prochaines semaines pour assurer nos relations avec l’UE? J’ai beaucoup entendu ces derniers jours parler ou reparler d’une adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE), refusé à 50,3% en 1992. A titre personnel, je crois à cette solution et elle nous permettrait de garder un accès au marché intérieure européen comme le Liechtenstein, la Norvège et l’Islande, trois pays riches et qui s’en sortent bien. Ces pays n’ont pas perdu leur souveraineté, on ne la perdrait pas non plus. Les socialistes proposent une adhésion de la Suisse à l’UE, cela ne marchera jamais. Les Verts libéraux proposent une adhésion de la Suisse à l’EEE comme “alternative valable”, cette idée me plaît et devrait être soutenue. Le PLR rejette et l’adhésion de la Suisse dans l’UE et l’adhésion dans l’EEE, privilégiant la voie bilatérale. Trop réfléchir tue parfois les bonnes idées.

Jonathan Luget

Jonathan Luget est né en 1993, un mois après la visite du premier chef d'Etat européen, François Mitterand, dans la jeune République du Kazakhstan. En marche avec un CFC, deux maturités et deux diplômes SAWI (communication et réseaux sociaux). Les loisirs se partagent entre la lecture d'ouvrages géopolitiques, la rédaction d'articles, la cuisine et la natation.

13 réponses à “Pas d’accord-cadre entre la Suisse et l’UE

  1. “Le PLR rejette et l’adhésion de la Suisse dans l’UE et l’adhésion dans l’EEE, privilégiant la voie bilatérale.” Cela, c’était une solution (plutôt bien négociée d’ailleurs) AVANT le 26 mai. Les bilatérales sont maintenant aussi caduques que feu l’accord-cadre. Tous ces accords vont tomber petit-à-petit et l’UE n’en négociera aucun nouveau (et, franchement, après avoir été “baladée” 7 ans par le C.F. elle serait bien naïve de croire encore à la possibilité de sérieusement négocier avec la Suisse). La Suisse va donc à terme devenir un simple état tiers vis-à-vis de l’UE. Pouvons-nous nous le permettre, je n’en suis pas sûr. L’impact d’échanges entre la Suisse et l’UE devenus compliqués sera très marginal pour cette dernière, mais très fort pour nous. Une première manifestation concrète et à relativement brève échéance risque d’ailleurs d’être une pénurie d’électricité en plein hiver. En effet, nous sommes fortement importateur en cette saison et, sans l’accord électrique qui devait être signé dans la foulée de l’accord-cadre, la Suisse passera après tous les pays de l’UE s’il est nécessaire d’importer, … s’il reste alors encore quelque chose à importer!

    1. Bonsoir Keltoi, je vous remercie pour votre commentaire. Les bilatérales sont loin d’être caduques, l’accord-cadre est mort et enterré pour de bon. Je ne crois pas que l’UE cherchera à résilier unilatéralement la voie bilatérale, elle aurait trop à perdre. Par contre, elle pourrait prendre des sanctions ou tout simplement comme je l’ai écrit, ne plus renouveler certains accords qui sont en train de vieillir. D’accord avec vous, le Conseil fédéral aurait dû il y a déjà quelques années expliquer que cet accord était mauvais et ne pas faire attendre l’UE. Question de politesse. Il reste beaucoup de choses à importer comme exporter mais peut-être que certains secteurs souffriront, c’est déjà le cas des medtech, l’effet était direct selon un reportage entendu récemment. Une adhésion à l’EEE, je ne serais pas contre.

      1. Merci pour votre réponse, mais: “ne plus renouveler certains accords qui sont en train de vieillir”, c’est EXACTEMENT ce que j’ai écrit (“Tous ces accords vont tomber petit-à-petit”). Les accords bilatéraux vont tomber les uns après les autres et l’UE n’en renégociera pas. Et, également comme je l’ai écrit, cela a déjà commencé avec l’accord électrique (et le medtech); les autres suivront. L’UE n’a pas “trop à perdre”; elle aura certes à y perdre un peu, mais cela restera très marginal et supportable pour elle, pour nous par contre …
        Pour ce qui est dune adhésion à l’EEE, on aura juste perdu une trentaine d’années et nous nous serons inutilement compliqués la vie (et, accessoirement, celle de l’UE)!

  2. Aucune de ces solutions n’est viable, pour la bonne et simple raison qu’elles impliqueraient une disqualification de la démocratie directe.
    Les suisses n’accepteront donc ni une adhésion à l’UE, ni à l’EEE.
    Les pro-européens sont en plein déni de réalité et les partis de gauches finiront par en faire les frais électoralement parlant.

    1. Bonsoir David Joye, merci infiniment pour votre commentaire. Etes-vous sûr qu’aucune de ces solutions ne soit viable. Concernant l’adhésion de la Suisse dans l’Union européenne, cela ne passera jamais et je suis à titre personnel contre. L’accord-cadre est maintenant mort et enterré. Une solution qui pourrait fonctionner serait notre adhésion à l’EEE, une manière de garder l’accès au marché intérieur. C’est le cas pour nos partenaires l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. A ce que je sais, ils n’ont pas perdu leur souveraineté et subissent rarement des pressions de Bruxelles. Peut-être une voie à explorer?! Le PS en lançant cette idée, oui vous avez sûrement raison.

      1. L’EEE implique, comme l’accord cadre, une reprise quasi automatique du droit européen, ce qui ne serait certainement pas compatible avec le droit d’initiative suisse.
        Donc l’EEE n’est pas non plus viable.

  3. La solution des bilatérales n’en est pas une ! Les premiers problèmes d’exportations relatés par la presse dominicale (exportation de matériel médical) le démontrent, la stagnation économique des années 90 entre le non à l’EEE et les bilatérales le rappellent.
    La Suisse s’est placée dans une cul-de-sac et nous mettrons plusieurs années pour chercher à en sortir par exemple en recommençant à négocier un accord cadre, dans une position plus faible que jusqu’à tout récemment.

    1. Bonsoir Luc Otten, je vous remercie pour votre remarque. Concernant l’adhésion de la Suisse dans l’Union européenne, cela ne passera jamais et je suis à titre personnel contre. L’accord-cadre est maintenant mort et enterré. Une solution qui pourrait fonctionner serait notre adhésion à l’EEE, une manière de garder l’accès au marché intérieur. C’est le cas pour nos partenaires l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. A ce que je sais, ils n’ont pas perdu leur souveraineté et subissent rarement des pressions de Bruxelles. Peut-être une voie à explorer?!

      1. Il ne faut jamais dire “jamais”. Il y a encore juste une semaine, il aurait été totalement impensable de remettre l’adhésion à l’EEE sur la table et maintenant on voit resurgir cette option de tous les côtés. Il y a au moins une qualité que les Suisses ont véritablement, c’est d’être pragmatiques et non dogmatiques. Si notre “splendide isolement” se révèle trop lourd à supporter, vous allez voir comme l’opinion publique va vite tourner casaque et se détourner des marchands d’illusions “souverainistes”; j’en prends le pari. Mais, bien sûr, cela prendra un certain temps (comme dit plus haut, les accords actuels ne vont pas tous tomber du jour au lendemain).

        1. Comme vous, je ne serai pas surpris de revoir apparaître l’EEE voir aussi l’accord cardre “remanié” vu qu’il a été enterré par le CF en catimini après une soudaine mobilisation en sa faveur

  4. Concernant l’exportation de matériel médical suisse vers l’UE, je lisais récemment que l’industrie concernée avait déjà pris ses dispositions en créant des filiales ou quelque chose dans ce genre dans l’UE. Tout-à-coup on apprenait donc que le désastre annoncé n’en était plus vraiment un.
    Cet exemple montre que certains europhiles sous-estiment la créativité et l’imagination de l’économie suisse. En outre si les pays de l’UE achètent des produits suisses, ça n’est pas par amour de Guillaume Tell mais en raison de leur qualité. Pour terminer vous le dites vous-mêmes nous importons de l’UE plus que nous exportons vers elle. Il serait donc irrationnelle pour l’UE de trop maltraiter ce client, même si quelques mouvements d’humeur sont normalement prévisible après la rebuffade du CF.

    1. @J Vernet: l’exportation de matériel médical coutera plus cher car il faudra une entité légale dans l’UE. Pour l’instant, des commandes sont déjà perdues comme le relatait la NZZ hier. Les conséquences négatives économiques sont déjà perceptibles.

  5. A part David Joye et Jean Vernet, les autres commentateurs se font beaucoup d’illusions.

    Ils déplorent l’enterrement de l’accord cadre. C’est leur droit. Mais ils ont tort dans leur pronostic. Ils sous-estiment la lourdeur des plaques tectoniques qui se retrouvent actuellement dans un nouvel équilibre qui sera très durable.

    Jamais l’électorat suisse qui est composé principalement de salariés, n’acceptera ni l’EEE ni l’adhésion qui sont synonymes de dumping social organisé (car ils impliquent la soumission à la jurisprudence ultralibérale et antisociale de la Cour européenne de justice).

    Ce nouvel équilibre sera donc pérenne pendant au moins une ou deux générations et transformera la “voie” bilatérale, évolutive, qui n’est pas compatible avec la souveraineté suisse, en simples “relations” bilatérales stables, et même statiques pourrait-on dire, si cet adjectif n’avait pas une connotation péjorative. C’est une excellente chose et une linération pour notre pays.

    L’aspect statique est frustrant seulement pour ceux qui espéraient que la Suisse soit prise dans un engrenage fatal, par lequel après quelques années elle se retrouverait membre de l’UE sans le dire. C’est pourquoi ils ne cessent de dénigrer en essayant de faire accroire que les conséquences seront très graves pour l’économie suisse. Or, il n’en sera rien.

    L’économie suisse continuera de bénéficier de son insertion dans le marché européen, même si l’UE prendra quelques mesures rageuses de rétorsion avec sa mesquinerie habituelle (du genre refus de l’équivalence boursière, une brimade qui s’est tranformée en grand avantage pour la bourse suisse). La Suisse continuera d’être une locomotive économie au milieu de l’Europe, tirant les wagons des pays limitrophes qui en ont besoin car ils pâtissent d’un degré excessif d’intégration européenne. Il y aura bien sûr quelques ajustements techniques de temps en temps, sur des points mineurs, mais cela n’entrainera aucune perte de souveraineté.

    Quand Keltoï dit que “Tous ces accords vont tomber petit-à-petit”, il n’a pas tort, seulement il le voit comme une malédiction alors qu’en fait c’est une bénédiction.

    Il n’aurait jamais fallu signer ces accords bilatéraux qui sont assortis d’une clause “guillotine” scandaleuse. On aurait pu souhaiter que le peuple suisse ait le courage de résilier l’Accord de Libre Circulation des Personnes, ce qu’il avait en somme décidé le 9 février 2014, mais il a été intimidé par le chantage et n’a pas osé voter l’initiative de limitation. S’il l’avait acceptée, alors on se serait probablement aperçus que l’UE n’aurait pas déclenché la guillotine car elle aurait eu trop intérêt à maintenir ces accords bilatéraux qui lui sont tellement profitables. Et d’ailleurs, pour les résilier il aurait fallu l’unanimité des 27 et nous savons qu’au moins l’Allemagne ne l’aurait pas fait. De toute façon, même si les accords bilatéraux avaient été caducs en bloc par l’effet de la clause guillotine, cela n’aurait pas eu beaucoup de conséqeunces négatives.

    En conclusion, si les accords bilatéraux deviennent caducs petit à petit avec le temps, comme le prévoir Keltoï qui a probablement raison sur ce point, c’est évidemment la meilleure des évolutions que l’on puisse rêver pour se débarrasser en douceur de cet appareillage superflu.

    Vous verrez que tout ira très bien et les euroturbos apparaitront à nouveau comme des Cassandres vaines que personne n’écoute.

Les commentaires sont clos.