5 choix pour l’après coronavirus

La discussion sur le monde de l’après-Corona va bientôt occuper toutes nos discussions. Si la situation d’urgence s’éloigne véritablement, la lente sortie de crise nous placera face à certains choix individuels, familiaux, sociétaux. J’insiste sur le mot de « choix » pour bien souligner le contraste avec un certain discours qui voudrait faire croire que ce monde post-corona va s’imposer à nous, comme tombé du ciel. A l’inverse, ce monde correspondra à ce que nous déciderons. C’est vrai pour chacun d’entre nous dans la façon de voir nos existences (et de peut-être changer quelques priorités), d’organiser la vie familiale (et de peut-être changer quelques répartitions) mais également de concevoir la société. 

Je liste ici 5 choix importants pour cette société à façonner ensemble – 5 choix de crise qui impacteront la société future. 

1. De quel Etat sauveteur rêvons-nous?

L’Etat (re)distribue les ressources que nous mettons dans un pot commun. Pour simplifier, nous payons taxes et impôts sur la création de richesses, nous décidons démocratiquement comment répartir ce pot, et l’Etat assure la mise en œuvre. En cas de crise, la deuxième étape passe à la trappe et l’Etat – ici le Conseil fédéral – doit réaliser un choix de répartition et modifier les règles de fonctionnement des échanges économiques. « Modifier », le mot est important, il permet de rappeler que le marché “libre” n’existe jamais. Un marché repose toujours sur un ensemble de règles qui cadre son fonctionnement. Dans certains cas limites, ces règles doivent parfois être modifiées en urgence. La Suisse connaît bien ces cas limites : Swissair (faillite d’une entreprise symbolique), la crise des grandes banques (le fameux « too big to fail ») et maintenant le COVID. Le « too many too fail ». 

Dans cette situation, le Conseil fédéral, M. Parmelin en tête, doit répondre à une question de justice économique. La question concerne la crise immédiate, mais elle va peser sur plusieurs années. Premièrement, qui doit être soutenu et pourquoi ? Je vois au moins trois pistes. Une réponse basée sur le mérite et les actions passées : seront aidés toutes les entreprises et indépendants qui ont contribué à la création de richesses ou qui ont cotisé aux assurances sociales. Les critères possibles sont nombreux : durée de cotisation, durée d’existence de l’entreprise, chiffre d’affaire, autres types de critères cherchant à mesurer l’impact sociétal de l’entreprise. A noter que les startup tentent de plaider leur cause en utilisant ce critère de contribution mais en le projetant dans le futur: “Aidez-nous, car nous pourrons contribuer demain”. 

Une réponse basée sur le besoin : seront aidés tous ceux qui en ont un besoin vital, défini par exemple par la capacité à survivre pour l’entreprise (éviter la faillite) ou mener une vie digne pour les indépendants. Nous serions ici dans une logique de filet social de dernier recours, renforcé pour répondre à des demandes démultipliées. Au niveau individuel, c’est le principe que semblent mettre en avant les promoteurs du Revenu de Base Inconditionnel (RBI). 

La troisième option prend une approche plus pragmatique, directement axée sur la prévention d’une catastrophe encore plus grande. C’était la rhétorique à l’oeuvre au moment du sauvetage des grandes banques présentant des « risques systémiques ». Sauf que dans cette actuelle, les bénéficiaire potentiels d’une aide étaient clairs. Dans le cas du coronavirus, l’ampleur de la crise amène chaque entreprise du pays à être un bénéficiaire potentiel. Comment choisir ? Peut-être qu’il semble possible d’avancer par la négative: en sauvant tous ceux dont la chute provoquerait une crise plus importante. L’approche semble biaisée envers les plus grands acteurs car aucune PME, prise pour elle-même, ne provoquerait un séisme en disparaissant. 

Le choix effectué durant la crise actuelle aura des répercussions sérieuses sur les crises futures en créant un précédant, sur les finances publiques et les arbitrages à faire au cours des années à venir, mais plus généralement sur la manière dont le système de soutien économique et d’aide sociale sera modifié. Pour un Etat qui se vante sans cesse d’être libéral, il serait temps de préciser les conditions d’aide que peuvent obtenir entreprises et individus dans une situation de crise. En lieu en place d’un RBI encore trop coûteux, nous pourrions profiter de la crise pour parler d’un RBC – un revenu de base conditionnel, pour les entreprises comme pour les individus. A quelles conditions souhaitons-nous collectivement aider ceux qui ont en besoin ? Ou quand le coronavirus nous permet d’actualiser nos réflexions sur l’Etat social et économique. 

 

2. A quand le retour de la politique?

De manière très générale, chercher et choisir les bonnes réponses à la crise procède d’une logique où l’on tente de définir les conséquences de nos choix, de les évaluer en positif et négatif, puis de choisir l’option qui permet d’atteindre le plus de positif. Cette approche “conséquentialiste” est très intuitive mais elle souffre d’un problème difficile à résoudre : le syndrome du grand calcul. Les conséquences d’une crise comme le coronavirus sont abyssales, mais surtout, elles échappent à notre connaissance. Il est impossible d’identifier et d’évaluer toutes les conséquences des choix politiques et sanitaires effectués. Et pourtant, c’est ce dont nous aurions besoin pour justifier nos décisions.

C’est pour répondre à cette difficulté que la politique doit reprendre ses droits. Le défi principal porte sur la question de savoir qui et quels types de conséquences devraient être prises en compte. Sans action politique concertée, chaque secteur, chaque groupe d’intérêt, chaque entreprise tente de tirer la couverture à soi et de “placer” ses conséquences négatives dans le grand calcul. Une forme de loi du plus fort s’impose, ce d’autant plus que les mécanismes de protection habituels (par ex. contre le lobbying) sont dépassés par la crise. 

La politique doit s’imposer comme le lieu de ce grand calcul. Les élu-es aux échelons communal, cantonal et fédéral doivent mettre en place les conditions de ce calcul. Leur mission consiste à assurer une certaine équité dans la prise en compte des conséquences. Les acteurs les plus puissants ne doivent pas être les seuls à être pris en compte, tous doivent avoir voix au chapitre.

Dans ce grand calcul, les conséquences sanitaires et économiques sont les plus saillantes. Mais pour beaucoup d’acteurs, ce grand marché de la conséquence porte également sur une question de statut social et de reconnaissance. Reconnaître l’impact qu’a la crise sur certaines professions et certains secteurs économiques se joue maintenant mais déploiera un effet à long-terme sur la manière dont la société fonctionne et s’organise. A condition que nous fassions le choix politique de réajuster l’importance reconnue à certaines activités professionnelles.  

 

3. Où s’arrête la solidarité ?

On oppose souvent la liberté et la sécurité. Plus de sécurité ferait baisser la liberté et inversement. Une autre opposition structure nos débats autour du coronavirus: liberté vs. solidarité. Entre ces deux oppositions, la figure du danger est très différente. Pour le couple liberté vs. sécurité, la figure du terroriste s’impose à nous. Une personne dangereuse qui veut détruire une société. Il faut alors la surveiller et, le moment venu, la neutraliser. 

Pour le corona, la figure du danger est tout autre: les petits-enfants pour leurs grands-parents. Chacun d’entre nous peut être un danger potentiel direct pour ses proches et pour soi, mais également de manière indirecte en utilisant les ressources limitées du système de santé. Mon hospitalisation peut alors conduire à nuire à une personne que je ne connais pas du tout et dont j’ignore l’identité. Pour exprimer ce danger potentiel et appeler les gens à prendre leurs responsabilités, nous utilisons l’idée de “solidarité”. Mais ce n’est pas la solidarité comme appel au don, c’est la solidarité comme limite à la liberté. Pour paraphraser le célèbre dicton, ma liberté semble s’arrêter là où commencent les ennuis de santé des autres. 

Mais cette “solidarité” comme limite à ma liberté pose elle-aussi des questions redoutables. En voici deux pour la phase de déconfinement et le monde post-coronavirus. D’une part, comment gérer les prises de risques volontaires où des personnes acceptent d’être un risque les uns pour les autres ? Je pense bien sûr aux familles où le quasi-confinement face au risque sanitaire s’accompagne d’autres problèmes de solitude ou d’isolement. Si le confinement des personnes à risques se poursuit, les familles vont-elles décider de redéfinir les limites de cette solidarité et prendre le risque d’un contact entre enfants et grands-parents par exemple ? Et si oui, leur fera-t-on porter la responsabilité pour ce choix, notamment en terme de remboursement des soins ? La discussion qui porte sur les amateurs de sport extrême, les fumeurs, les buveurs – tous ceux qui mènent une vie “non-saine” – s’invitera-t-elle dans les débats familiaux entre personnes à risques et personnes “normales” ?

D’autre part, la société dans son entier doit se poser la question des limites de cette solidarité. Sur le plan sanitaire, nous sommes potentiellement tous des menaces les uns pour les autres. Souhaite-on une société où la solidarité justifie une séparation physique quasi permanente ? Peut-on imaginer que le déconfinement prévoie des horaires alternés d’utilisation des transports publics/des magasins sur la base de l’âge ? Quelle prise de risques sommes-nous prêts à accepter pour vivre ensemble, c’est-à-dire non-séparés par des barrières physiques ?

 

4. Souhaitons-nous plus de verticalité ?

Ce retour du politique porte également sur les rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif. Lorsqu’il justifie son ambition de siéger rapidement, le Parlement suisse (ses membres les plus actifs en tous les cas) se positionne comme une instance de contrôle des décisions de l’exécutif. Le Parlement cède le plus brièvement possible ses prérogatives à l’exécutif afin que celui-ci assure la coordination nécessaire. Mais ces prérogatives s’appellent “retour”. Soyons heureux de vivre dans un pays où personne ne doute que l’exécutif “rendra” ses pleins pouvoirs très rapidement. D’autres voisins – européens ! – ont moins de chance. 

Outre ce rapport horizontal entre les pouvoirs, la question des rapports verticaux est presque plus cruciale pour l’après-crise. Durant cette période, le fédéralisme est profondément bouleversé, principalement sur la question de l’initiative politique. Le “quand” et le “comment agir” viennent de Berne, les cantons mettent en oeuvre avec une marge de manoeuvre très restreinte. Cette capacité de mettre en oeuvre assure aux cantons d’être consultés et écoutés par Berne. Alain Berset ne peut pas envoyer des employés de la Confédération faire le travail dans les cantons. La stratégie de visite dans les cantons les plus touchés qui semble être à l’agenda du Conseil fédéral répond exactement de cette logique confédérale. 

Néanmoins, cette compétence de prendre l’initiative et le simple “fait accompli” de voir Berne coordonner et décider pour tous pourrait laisser des traces. Pour nous tous, c’est l’occasion de se questionner sur ce fédéralisme tant vanté, ses limites et ses mérites. Une fois passée la crise sanitaire, la question de la solidarité confédérale, sonnante et trébuchante, se posera assurément. Quel sera l’impact du virus sur le mécanisme de péréquation intercantonale ? 

La question est loin d’être limitée à la Suisse. Toutes les organisations politiques à plusieurs niveaux sont confrontés aux mêmes défis: Etats-Unis, Allemagne et bien sûr l’Union européenne. Pour cette dernière, le défi est majeur. La Commission, notamment sa présidente Von der Leyen, tente de prendre l’initiative politique mais les Etats-membres lui la disputent pied à pied. Il apparait encore une fois que les instances européennes n’ont que les compétences et les pouvoirs que les Etats-membres veulent bien lui conférer. De même pour les mécanismes de solidarité: la Commission européenne met en oeuvre ce que les Etats sont prêts à s’accorder mutuellement. Pour les citoyens européens, la même question se pose qu’aux Suisses: quelles relations verticales voulons-nous et quels mécanismes de solidarité sommes-nous prêts à mettre en oeuvre ?

 

5. Quelle mondialisation post-COVID?

La crise globale du coronavirus nous confronte une fois de plus à la réalité des échanges internationaux. Les marchandises, les personnes, les idées mais également les maladies se déplacent sans prendre garde aux frontières nationales. Cette crise nous repose les questions fondamentales quant à la gouvernance de ces échanges et à leur nécessaire coordination à l’échelle du monde.

Oeuvrer de concert nous rend plus forts et plus à même d’améliorer le sort des plus vulnérables, mais cette interdépendance complique le recours à certaines politiques unilatérales. Les conflits bilatéraux autour des marchandises bloquées à la frontière, des rapatriements de personnes mais également du narratif général utilisé pour raconter la crise (le “virus chinois” vs. “COVID-19”) sont des symptômes des tentatives de réponse nationale. 

Face à ces risques, nous devrions faire le choix d’instances internationales fortes pour répondre à des crises de ce type. L’OMS et les autres instances internationales devraient pouvoir jouer un rôle de coordination générale dans la réponse apportée à la crise. Mais ces compétences renforcées ne devraient pas tomber du ciel ; elles devraient être le résultat d’une délégation de compétences démocratique, accompagnée d’un véritable contrôle démocratique. 

Cette même logique de coordination internationale sera au coeur des discussions post-corona. Comment prévenir la prochaine crise sanitaire ? Comment intégrer dans la réflexion sanitaire les composantes liées aux pratiques agricoles, environnementales ou plus généralement sociales qui augmentent les chances de voir surgir ces pandémies et qui fragilisent la résilience des sociétés ? En parallèle, nous pouvons mener une discussion sur les secteurs stratégiques où nous souhaitons, en tant que pays ou alliance de pays, renoncer à l’interdépendance pour assurer un approvisionnement indigène. Le post-corona nous impose une réflexion sur les modalités des échanges futurs, tant sur les principes à respecter que sur les institutions qui seront le lieu des débats autour de ces principes. La Suisse, via Genève, a une carte majeure à jouer ici. L’après-corona se dessine en grande partie chez nous. 

 

L’éthique de l’inacceptable: comment choisir aux soins intensifs?

Les images venues des hôpitaux italiens font froid dans le dos: un système hospitalier complètement saturé et un personnel placé face à des choix drastiques pour savoir qui sera traité en priorité. Ce défi porte un nom bien peu poétique: le triage. Un mot qui dit déjà son potentiel de déshumanisation, comme autant de décisions dans des situations impossibles.
La Suisse se prépare à une vague de patients nécessitant des traitements en soins intensifs, notamment par recours à des respirateurs artificiels. Et si le nombre de patients dépasse les ressources disponibles (nombre de lits en soins intensifs et respirateurs, principalement), alors la question du triage se posera de manière brutale. Qui devrait avoir accès à ces ressources en priorité ? Comment le personnel médical devrait-il choisir ? Quelles valeurs sont en jeu pour nous tous, en tant que société ?

L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et la Société suisse de médecine intensive ont formulé des directives précises concernant le triage des patient-es en cas de pénurie des ressources. Dans ce contexte, nous avons réfléchi à quelle pourrait être notre contribution de spécialistes d’éthique de l’innovation. Nous avons choisi deux pistes.

D’une part, tenter de proposer un document court et informatif qui reprend l’essentiel des directives. Ce document a pour ambition de faire connaître le contenu des règles proposées par l’ASSM et d’ainsi permettre à chacune et chacun de se faire une opinion et d’en discuter avec ses proches. Il veut également rappeler l’importance des directives anticipées que chacun d’entre nous peut préparer pour les cas d’urgence. Le contenu du document paraît lointain, parfois presque un peu irréel, et pourtant il pourrait devenir la feuille de route des services de soins intensifs en Suisse. Et ce contenu pourrait donc devenir crucial pour nous tous. Posons-nous tous la question: suis-je en accord avec les règles proposées ici ?

D’autre part, nous avons préparé une série de scénarios qui permettent de tester nos intuitions face à ces situations de choix extrêmement difficiles. Ces scénarios prennent les directives de l’ASSM comme point de départ, mais proposent d’aller plus loin. Nous souhaitons aider à mieux faire comprendre la complexité des décisions que le personnel médical pourrait être amené à prendre. Nous voudrions également en apprendre davantage sur les opinions de la population sur la problématique du triage et sur les valeurs et principes qui devraient guider nos décisions.

Les scénarios peuvent être remplis de manière entièrement anonyme. Afin de pouvoir en tirer une analyse scientifique, préparée en coopération avec notre collègue le Dr. Markus Kneer de l’Université de Zürich, nous posons quelques questions “démographiques” en fin de questionnaire.

N’hésitez pas à partager ces scénarios et à interpeller vos proches sur leurs choix.

L’éthique au temps du coronavirus

Le 18 mars 2020, une soixantaine de personnes ont participé à un “café philo” digital sur les défis éthiques au temps du coronavirus. L’idée était simple: profiter d’un outil du réseau social Facebook (“facebook live”) pour ouvrir un espace de discussion sur les questions éthiques soulevées par les bouleversements de notre vie en société. Une façon pour les “professionnels” de l’éthique de notre équipe ethix (www.ethix.ch) de contribuer au débat de société, tout en faisant émerger de nouvelles pratiques et cultures digitales.

Afin qu’il reste une trace écrite de cet échange, voici une vue d’ensemble à grands traits des questions abordées. Pour chacune des questions, quelques ressources pour aller plus loin sont proposées.

L’initiative continue de deux manières: un nouveau rendez-vous en ligne la semaine prochaine, et l’opportunité pour ceux qui le souhaitent d’aller plus loin dans un projet de travail collaboratif (s’adresser à [email protected]). 

Les outils éthiques

Pour bien aborder les différents défis éthiques, deux “méthodes” ont été mentionnées hier. Elles peuvent être utilisées par chacun d’entre nous.

D’une part toute une série d’expériences de pensée utilisées en éthique pour se mettre “artificiellement” en situation de dilemme. 

=> les petits dessins animés “Filosofix” offrent une excellente introduction à ces expériences de pensée. https://www.rts.ch/info/culture/9177792-filosofix-de-la-philosophie-animee.html

D’autre part, un outil de réflexion pour poser les questions de justice, développé par le philosophe John Rawls: le voile d’ignorance. Un petit film animé explique le concept: https://www.youtube.com/watch?v=3mEz4UXEIps

 

Les thématiques

De manière générale, nous avons tenté de distinguer entre deux moments: le temps de la crise (l’ici et maintenant) et le temps d’après la crise. Ces deux temps sont porteurs de défis différents. 

Arbitrage entre solidarité et liberté

Mots-clefs: limites de la liberté individuelle, tensions avec sécurité sanitaire, responsabilité dans une chaîne d’effets négatifs 

A écouter: un podcast de France culture, 12.03.2020

“Coronavirus : jusqu’où sommes-nous prêts à limiter nos libertés ?”

https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/coronavirus-jusquou-sommes-nous-prets-a-limiter-nos-libertes

A lire:

Prise de position de mars 2020 du Comité consultatif national d’éthique (France)

https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/reponse_ccne_-_covid-19_def.pdf

 

Arbitrage entre coordination “volontaire” et imposition des règles

Mots-clefs: appel à la responsabilité individuelle, obligation morale/juridique de respecter les consignes

A lire: Le Temps, 19 mars 2020, “Coronavirus: quelles sanctions pour les contrevenants?”

https://www.letemps.ch/opinions/coronavirus-sanctions-contrevenants

 

Système politique suisse 

Mots-clefs: partage de compétence cantons-Confédération, droit d’urgence, figure rhétorique de la “capitaine” du bâteau (le Conseil fédéral, la présidente)

A lire, la feuille d’information sur la loi sur les épidémies au moment de son entrée en force, en 2013: Nouvelle loi sur les épidémies – BAGwww.bag.admin.ch › dokumente › factsheet-epg-lep.pdf.download.pdf

Lire la réflexion historique d’Olivier Meuwly: https://blogs.letemps.ch/olivier-meuwly/2020/03/17/democratie-et-coronavirus-le-dilemme-des-temps-de-guerre/

 

Politique migratoire

Mots-clefs: fermeture des frontières pour raisons sanitaires, possibilité factuelle de contrôle, rhétorique de la Suisse comme “maison” dont on pourrait fermer les portes et fenêtres, dépendance structurelle (notamment secteur de la santé), mobilité des objets (masques, matériel médical) et des personnes

A lire: un texte sur l’éthique de l’immigration

https://www.domainepublic.ch/articles/30547

 

Gouvernance internationale

Mots-clefs: coordination, Nations-Unies OMS, Etat-nation, égoïsmes nationaux, Union européenne, modèle européen

A lire: une histoire de la gouvernance mondiale des épidémies, avec un accent sur l’OMS 

https://theconversation.com/ce-que-les-crises-epidemiques-revelent-des-derives-de-loms-133639

 

Médecine d’urgence

Mots-clefs: rationnement, utilisation de matériel médical insuffisant, dons d’organe, commission d’éthique

A lire: Les directives de l’Académie suisse des sciences médicales (dès p. 32 pour le sujet de médecine d’urgence)

https://www.samw.ch/…/j…/directives_assm_soins_intensifs.pdf

Un article d’opinion en France sur cette question: https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/16/coronavirus-la-question-du-tri-des-malades-est-un-enjeu-ethique-et-democratique-majeur_6033323_3232.html

Répartition soutien financier 

Mots-clefs: justice distributive, équité, définition de l’économie, égalité de traitement entre les secteurs/métiers/statuts, voile d’ignorance

A lire: une introduction à la justice distributive https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2006-3-page-213.htm

 

Le Revenu de base inconditionnel (RBI)

Mots-clefs: crise pour repenser fonctionnement système d’aides sociales, conditionnalité vs. inconditionnalité, valeur du mérite/travail

A écouter: un court interview avec Philipp van Parijs, l’un des philosophes qui soutient l’idée d’un RBI https://www.youtube.com/watch?v=QW7GlM1Tlts

 

Isolement et exclusion sociale

Mots-clefs: risque sanitaire, risque d’exclusion, vulnérabilité, inégalité des ressources pour éviter exclusion/isolement

A lire: une réflexion sur les facteurs de vulnérabilité des personnes âges: https://www.revmed.ch/RMS/2009/RMS-226/Vieillir-et-devenir-vulnerable

A regarder: un interview d’introduction à l’éthique du care (éthique de la sollicitude)

https://www.youtube.com/watch?v=PmXPfJIOCUw

 

Rapport à la mort

Mots-clefs: présence de la mort, rapport à la disparition, solitude face à la mort

A lire: un témoignage de Bergame 

https://www.liberation.fr/checknews/2020/03/18/a-bergame-le-quotidien-local-a-publie-onze-pages-de-necrologies-samedi_1782050

Philosophie Magazine, dossier “La mort, oser y penser”, 28 octobre 2010

https://www.philomag.com/les-idees/dossiers/la-mort-oser-y-penser-2390

 

Outils de surveillance

Mots-clefs: télétravail, surveillance employés, surveillance de masse, justification sanitaire, distinction entre temps de crise et retour à la normale, proportionnalité, dystopie

A lire: https://www.telerama.fr/medias/ce-que-dit-le-coronavirus-de-notre-soumission-a-la-surveillance,n6610539.php?fbclid=IwAR29d26PmUrMt96G4Lqdb0bGR4CwkHfuvxlwmTeHxQsvgmixUDKGcG8hrBo

 

J’ajoute une référence donnée par Neil B. sur la qualification de la crise: un “Black Swan” ou un “Grey Rhino” ? https://www.fastcompany.com/90475793/why-the-coronavirus-crisis-is-a-gray-rhino-and-not-a-black-swan

 

Ce que le vote valaisan sur le suicide assisté nous apprend

Le vote du jeudi 12 mars 2020 du Parlement valaisan sur le suicide assisté en EMS nous livre une série d’informations intéressantes pour tous les amateurs de politique suisse. Pour rappel, l’alliance PDC-UDC a sorti l’article qui traitait du suicide assisté du projet de loi sur la santé. Les alliés ont plaidé pour l’élaboration d’une loi spécifique sur la fin de vie. Au terme d’un vote à bulletin secret, ils l’ont emporté sur le groupe PLR-Verts-PS par 69 voix contre 57 et 2 abstentions. Je laisse de côté le débat de fond sur l’aide au suicide pour me concentrer sur trois hypothèses politiques qu’on peut tirer de ce vote. Elles vont du Valais à la politique nationale, notamment concernant le positionnement futur du PDC. 

Première hypothèse : le Valais politique confirme qu’il est lancé dans une course au parti le plus conservateur. La bataille fait rage parmi les deux alliés de circonstance PDC-UDC pour se profiler comme celui qui défendra le retour du Valais vers une société rêvée, homogène dans ses valeurs, et marquée par la prééminence de l’Eglise catholique romaine. Il faut prendre conscience qu’il ne s’agit pas d’un conservatisme léger, portant sur une méthode politique qui défend qu’il vaut mieux ne rien changer s’il existe un doute sur l’opportunité de modifier quelque chose. Il ne s’agit pas de prudence devant le changement (un conservatisme de méthode, à lire ici), mais bien plutôt d’un programme politique pour mettre en place cette société rêvée. Nul doute que certains soutiennent ce programme. La question politique qui se pose ici est une question classique : à qui ces électrices et électeurs vont-ils donner leur voix ? A suivre le proverbe selon lequel les électrices et électeurs préfèrent l’originale à la copie, l’UDC valaisanne va continuer de grandir en avançant sur les platebandes du PDC. A terme, le Valais ressemblera au reste de la Suisse.

Deuxième hypothèse : les deux alliances UDC-PDC vs. PLR-Verts-PS nous renseignent sur les rapports de force à venir au sein de la Constituante valaisanne. Elaborer une nouvelle Constitution amène par nécessité à traiter de tous les grands débats de société et c’est justement sur ces débats que la grille d’analyse progressiste/conservateur est la plus pertinente. Comme pour l’aide au suicide, on retrouvera ces deux blocs sur les rapports entre l’Etat et les communautés religieuses, certains droits fondamentaux (égalité/discrimination, droit au mariage), le droit de vote des résidents, certaines missions de l’Etat (politique sociale, politique migratoire). La grille d’analyse gauche-droite est beaucoup moins pertinente ici, car la Constituante ne traite pas de questions budgétaires comme un parlement cantonal. Opposer la gauche à la droite viendrait très exactement obscurcir les conflits internes aux partis dits du “centre”. 

Troisième hypothèse : ce vote nous raconte justement ces tensions internes, notamment au PDC. L’apparente clarté du vote final sur l’aide au suicide ne cache pas que la famille PDC était très divisée sur cette question, avec des distinctions majeures entre le Haut et le Bas et avec les chrétiens-sociaux. Au sein même de la famille PDC, la fraction conservatrice l’a emporté. Au niveau national, le président G. Pfister a lancé un vaste travail de redéfinition de l’identité du parti et il doit très exactement gérer la palette de positions de ses membres sur ces sujets de société. Le PDC doit-il poursuivre une course vers les extrêmes avec l’UDC ? Que peut-il gagner à durcir son discours et à se profiler comme le gardien des valeurs d’une Suisse chrétienne et homogène ? Ou doit-il au contraire adopter un conservatisme de méthode (une saine prudence politique face aux changements) et une défense de la démocratie-chrétienne, sur une ligne proche du Parti Chrétien-social ou à la manière d’un PDC genevois?

Le choix du PDC va impacter un vaste ensemble de questions. S’il fait alliance avec l’UDC sur les sujets de société, il aura une capacité de blocage. Le prix à payer est clair: l’alliance progressiste des autres partis, encore peu enclins à se reconnaitre comme tels, gagnera en visibilité et pourra se profiler comme une alternative. Le PLR serait le grand gagnant de cette approche. A l’inverse, si le PDC recentre sa position, son aile la plus conservatrice rejoindrait l’UDC, mais le reste du parti aurait alors les coudées franches pour construire avec les autres partis progressistes une Suisse ouverte et prêtes à relever les défis à venir. 

Christian Merz, Le Temps

Le canton, ses habitants et leurs droits ! 

Ce blog est le premier d’une série d’articles à venir sur les thèmes de la révision de la Constitution du Valais. C’est le projet politique du siècle en Valais: réviser entièrement la Constitution de 1907 et l’adapter aux défis et aux réalités du 21ème siècle. Depuis l’été 2019, 130 élu-es, répartis dans 10 commissions thématiques, sont au travail afin de proposer à la population une première mouture de la nouvelle Constitution. L’exercice rappelle certainement de beaux moments de politique aux cantons romands, Neuchâtel (2000), Vaud (2002), Fribourg (2004) et Genève (2013) ayant réalisé l’exercice récemment. 

Parmi les tâches de la Constituante, il en est une particulièrement importante qui touche directement la population: la définition des droits fondamentaux. Quels droits devraient être protégés par la nouvelle Constitution? Cette question touche aux fondements de l’organisation de la vie en société. Protéger les droits fondamentaux est à la fois l’objectif et le garde-fou de cette vie en société. Afin de pouvoir coopérer en société, nous devons nous garantir mutuellement des droits et des libertés. Si chacun était seul dans son coin, soucieux de garantir sa survie, une vie libre et prospère serait impossible. Comme le dit le philosophe Thomas Hobbes, “l’Homme serait alors un loup pour l’Homme” car nous serions sans cesse forcés d’être sur nos gardes, méfiants, prêts à l’attaque préventive. Mais grâce à notre faculté de coopérer, nous avons pu poser les bases d’une société apaisée, avec un Etat et un système juridique capables d’assurer que chacun soit le plus libre possible de choisir sa vie et de la réaliser. 

Définir le catalogue des droits fondamentaux d’un canton, c’est donc répondre à la question-clef de la vie en société: quels droits voulons-nous mutuellement nous reconnaître ? Bien sûr, le canton n’est pas seul à protéger ces droits. La Constitution fédérale prévoit un catalogue de droits fondamentaux, les engagements internationaux de la Suisse également, à l’exemple la Convention européenne des droits de l’homme ou des traités de l’ONU. Ces différentes couches de protection servent toutes l’intérêt des personnes et la défense de leurs droits. Une sorte de manteau pour les hivers rudes, avec plusieurs couches protégeant la personne qui s’en pare.  

Dans ces couches de protection, le canton et les communes jouent un rôle clef car ils exercent un grand nombre de compétences et interagissent au quotidien avec la population. Les droits fondamentaux sont donc très pertinents pour leur action: ils marquent des limites que l’autorité publique (sous toutes ses formes) ne peut pas dépasser. Une sorte de ligne rouge qui protège les citoyens face aux ingérences qui sont inacceptables. Au-delà de ces lignes rouges, les droits fondamentaux définissent également des contributions que l’autorité publique doit à ses habitants. A titre individuel, j’ai le droit que l’Etat n’empiète pas sur mes droits fondamentaux, mais j’ai également le droit que l’Etat mette à disposition certains éléments nécessaires à une existence digne. A titre d’exemples, nous pourrions citer un système éducatif assurant l’égalité des chances, un accès aux bâtiments publics pour les personnes à mobilité réduite, une protection contre les discriminations ou encore un droit à recevoir une aide d’urgente pour les situations de dénuement total.   

Ces droits fondamentaux fonctionnent comme une sorte de cartes de protection que nous portons sans cesse sur nous. Nous pouvons jouer ces cartes lorsque nous sommes menacés. Lorsqu’ils sont formulés de manière suffisamment claire et précise, les droits fondamentaux peuvent être directement utilisés par une personne devant une administration ou un tribunal. Même si aucune loi spécifique n’a été mise en oeuvre, je peux utiliser ces droits en m’appuyant directement sur la Constitution. On dit alors que ces droits sont justiciables, ils représentent alors un outil crucial de défense des libertés individuelles.

Bien sûr, la Constitution cantonale vient s’intégrer dans le cadre de la Constitution fédérale – son contenu ne doit pas aller à l’encontre du droit fédéral. Mais elle peut aller plus loin, mettre d’autres accents, choisir de nouvelles priorités. La Suisse est un laboratoire politique où tous les cantons mènent des expériences grâce auxquelles, ensemble, nous devenons meilleurs. Le moment de la Constituante, c’est une visite au coeur d’un laboratoire qui tourne à plein régime. Les élu-es valaisans construisent sur la base des résultats accomplis par d’autres cantons, nous nous inspirons mutuellement, et nous essayons de faire avancer le débat constitutionnel. C’est la magie du travail sur une Constitution: celle que nous élaborons est faite pour les Valaisannes et les Valaisans, mais également pour d’autres qui regardent avec intérêt le travail valaisan. En Suisse comme à l’international, le travail venu du Valais pourra inspirer d’autres Constituantes. La Suisse politique est un dialogue permanent, où les innovations des uns peuvent devenir la normalité des autres.

Disclaimer: l’auteur fait partie de la Commission 2 de la Constituante, en charge d’élaborer le catalogue des droits fondamentaux pour les Valaisannes et Valaisans. Le texte publié ici reflète exclusivement l’opinion de son auteur et n’engage en rien la Commission ou son groupe politique.

Tous les documents de travail de la Commission 2 sont disponibles ici => feedback bienvenus.

Tempête sur le Valais

A l’apéro, si vous devez choisir entre un blanc ou un rouge, c’est une situation de choix, mais elle n’est pas particulièrement compliquée. A l’inverse, le 2ème tour de l’élection au Conseil des Etats en Valais est une situation compliquée. Pour bon nombre d’entre nous, la « bonne » réponse ne saute pas aux yeux. Loin de là. Mon hypothèse : nous sommes dans une tempête politique qui porte sur la question de la représentation.

Pour ceux qui veulent aller à l’essentiel, je tente ici de proposer une grille de lecture que chacun pourra appliquer pour se faire l’opinion la plus juste possible:

  1. Comment représenter au mieux les différents courants politiques au Conseil des Etats ?
  2. En matière de genre, âge, région, souhaitez-vous une représentation « miroir » de la population valaisanne, même imparfaite ? Ou donnez-vous priorité aux engagements politiques pris par la personne ?

=> 2a. Si vous souhaitez une représentation miroir, les femmes valaisannes ont-elles besoin d’être représentées par des Valaisannes, ou peuvent-elles l’être par des femmes d’autres cantons ?

=> 2b. Si vous donnez priorité aux engagements politiques, qui a le meilleur dossier à présenter ?

  1. Quelle importance accordez-vous à la langue et à la capacité d’être acteur/trice dans les débats ?

 

Pour ceux qui ont 5 minutes de plus, voici le raisonnement.

La tempête politique valaisanne est provoquée par les vents suivants: positionnement politique, genre, engagement pour la cause de l’égalité, région, langue, âge. A son tour, chaque vent mobilise certaines valeurs spécifiques qui vont influer notre décision.

Positionnement politique

Quatre partis proposent des candidat-es dans ce 2ème tour et, pour les départager, nos préférences politiques jouent un rôle clef. Deux points spécifiques s’imposent dans cette élection pour le Conseil des Etats, la fameuse chambre « Haute ». Premièrement, l’équilibre des pouvoirs fédéraux en fait d’une part une chambre de réflexion où prévaut la recherche d’un consensus, mais aussi un contre-pouvoir important pour toutes les questions liées à l’Etat de droit. La politique partisane y joue un rôle moins marqué qu’au National, la personnalité des élu-es y est plus importante.

Deuxièmement, la fonction principale de cette même chambre Haute est de défendre les intérêts du canton. A ce titre, elle se doit de représenter les différents courants politiques du Valais. Et ceux-ci sont multiples et divers. Le Valais n’est pas un bloc d’intérêts uniformes. La question qui se pose est donc : comment représenter au mieux les différents courants politiques au Conseil des Etats ?

Genre et engagement pour la cause de l’égalité

La question du vote « femme » est particulièrement intéressante. Ceux qui plaident pour avoir au moins une femme dans la délégation valaisanne (1/10 dans le cas de l’élection de M. Maret ou B. Wolf) argumentent à la lumière de la « représentation descriptive ». Cette approche repose sur l’idée que les représentant-es politiques doivent être un « miroir » de leurs citoyen-nes. Si aucune femme ne va à Berne au nom du canton du Valais, c’est donc 50% de la population valaisanne qui n’est pas représentée au sens du « miroir ». Cet argument est indépendant de l’engagement thématique des candidat-es, il porte sur leurs caractéristiques socio-démographiques. L’approche « miroir » fait le pari que si plus de femmes sont élues, les chances augmentent de voir les questions liées aux expériences de vie des femmes mieux traitées. Comme l’explique la Prof. Mansbridge d’Harvard (par exemple ici), cette approche miroir est particulièrement pertinente pour les situations où le lien de confiance est rompue et aux certains groupes ne se sentent pas représentés par des non-membres du groupe.

En parallèle, l’argument sur le genre peut porter sur les engagements politiques concrets en faveur des intérêts des femmes (au sein des situations typiques vécues par les femmes) et de l’égalité. Le genre de la personne n’importe pas, c’est son travail politique qui est au cœur de la question. Représenter s’entend ici dans un sens politique, la personne se fait porte-parole et avocate de certaines propositions.

Distinguer ces deux dimensions, c’est clarifier la question qui nous est posée pour ce deuxième tour. Souhaitez-vous une représentation « miroir », même imparfaite ? Ou donnez-vous priorité aux engagements politiques pris par la personne ? Souvent, la réponse à ces deux questions pointe la même personne. Mais dans ce 2ème tour, ce n’est pas forcément le cas, d’où l’intérêt de bien les distinguer.

Ces questions conduisent à deux questions complémentaires. La question du miroir prend une autre dimension après les résultats du 20 octobre. Au niveau suisse, le Parlement a sensiblement augmenté sa part d’élues (42%). La représentation miroir est presque atteinte (tout du moins au Conseil National). Par contre, il est totalement absent au niveau cantonal : 8 hommes sur 8 pour le National. Si vous souhaitez une représentation miroir, les femmes valaisannes ont-elles besoin d’être représentées par des Valaisannes, ou peuvent-elles l’être par des femmes d’autres cantons?

Si vous optez pour le positionnement politique, il faut alors comparer les différents dossiers des candidat-es en matière d’égalité.

Une même distinction s’applique aux critères de région et d’âge. Pour les tenants d’une représentation « miroir », il faut des représentants de chaque région et de chaque génération dans le but d’augmenter les chances de voir leurs intérêts pris en compte. Pour la ligne politique, il s’agit de s’intéresser aux actions politiques concrètes, indépendamment de l’origine ou de l’âge.

Langue

Le critère de langue peut être traité comme une composante du « miroir ». Dans ce cas, la même réflexion s’applique. Néanmoins, la langue est particulière car elle est aussi outil de communication politique. Et au Conseil des Etats, il n’y a pas de traduction simultanée. Comprendre l’autre langue, c’est donc la faculté de se mettre à la place de toute la population du canton, mais c’est également la faculté de comprendre les débats et de convaincre ses collègues. La question qui se pose ici est donc : quelle importance accordez-vous à la langue et à la capacité d’être acteur/trice dans les débats ?

Les questions-clefs

Les questions pour trouver son chemin dans cette tempête politique me semblent donc être les suivantes :

  1. Comment représenter au mieux les différents courants politiques au Conseil des Etats ?
  2. En matière de genre, âge, région, souhaitez-vous une représentation « miroir », même imparfaite ? Ou donnez-vous priorité aux engagements politiques pris par la personne ?

=> 2a. Si vous souhaitez une représentation miroir, les femmes valaisannes ont-elles besoin d’être représentées par des Valaisannes, ou peuvent-elles l’être par des femmes d’autres cantons ?

=> 2b. Si vous donnez priorité aux engagements politiques, qui a le meilleur dossier à présenter ?

  1. Quelle importance accordez-vous à la langue et à la capacité d’être acteur/trice dans les débats ?

Pour finir : l’importance des critères 

Cette tempête politique qui s’abat sur le Valais illustre un point extrêmement important du fonctionnement de toutes les élections : l’intérêt de distinguer un débat sur les critères et une élection de personnes. Pour ce 2ème tour, les deux questions se combinent : nous votons sur des personnes et, à travers elles, sur des critères de représentation. Le débat serait beaucoup plus productif si nous pouvions d’abord décider quelle représentation nous souhaitons (au Grand-Conseil, au Conseil d’Etat, aux Etats, dans les instances communales), puis appliquer ses critères aux choix de personnes. Avec Florian Evequoz, nous avons esquissé les bases de ce débat dans une approche appelée le « Pacte de représentation ». Affaire à suivre…

Nouveaux points d’équilibre

La vie ressemble à un art subtil et difficile de la chute sous contrôle, sans cesse à la recherche d’un nouveau point d’équilibre. Durant toute notre existence, nous dansons au gré des partenaires et des vents. Au quotidien, ces points d’équilibre s’enchainent sans faire de bruit. Parfois, des points plus importants s’imposent à nous. C’est ce qui m’est arrivé hier lorsque j’ai déposé le petit dernier à la crèche.

En ce lundi matin, le ciel semble à portée de main tellement il est bas. Décor tout gris, ambiance de fin de vacances. La grande sœur commence aujourd’hui l’école enfantine et le voilà en solo à la crèche. Rien de dramatique de ce coté, il connaît déjà tout le monde et saura retrouver sa place. En échangeant quelques mots avec les responsables du groupe, je remarque que les petits casiers de ceux qui ont quitté la crèche n’ont pas encore disparu. La photo de mon ainée brille toujours en haut à droite. L’image se fixe. Elle venait dans cette crèche depuis ses 5 mois, elle adorait l’endroit et les gens. Aujourd’hui, il ne reste que cette photo. L’équilibre se fait bascule. Durant quelques secondes, la musique déraille. On est loin du pas de danse gracieux et parfaitement exécuté. J’ai plutôt l’impression d’avoir été poussé dans le dos.

Ce n’est pas tant l’émotion d’un premier jour d’école, mais plutôt la prise de conscience rapide, intense, presque brutale d’une période qui se referme. Un point d’équilibre qui a tenu presque 4 ans, un monde de rituels rassurants et positifs, un monde protégé pour mieux grandir. Pour mon ainée, ce monde se referme. Elle va trouver un nouvel équilibre. Mais j’avais sous-estimé que ce monde se referme également pour moi. Je retrouverai un nouvel équilibre. Nous le ferons tous. Avons-nous le choix ? Le pas de danse continue, il faut l’imaginer et le vivre joyeux. La mélancolie des points d’équilibre fait partie de ce monde, elle nous rappelle que tout ceci file diablement vite.

L’homme fort, ce mot-valise si néfaste

Vous connaissez peut-être le concept de « male-only panel », utilisé pour décrire une table-ronde où tous les participants sont des hommes. En parcourant le Temps du 23 mai, j’ai découvert un article « male-only ». Jusque là, rien de problématique. Certaines rubriques ont souvent des interlocuteurs exclusivement masculins. Mais l’article en question parle de politique, d’élus et d’exercice du pouvoir dans le « Vieux pays ». Autant de domaines où la présence exclusive des hommes n’est pas une bonne nouvelle.

Avant de continuer, je vous conseille de lire l’article ici. De plus, deux précautions avant que je ne reçoive les premiers mails d’insulte. 1) ce petit blog ne veut pas défendre ou attaquer des personnalités ou des choix politiques. C’est le traitement médiatique d’une question touchant l’égalité entre hommes et femmes qui m’intéresse. 2) Grégoire Baur, correspondant du Temps en Valais, porte une responsabilité toute limitée dans cette affaire. Il a démontré à plusieurs reprises sa sensibilité marquée pour les questions d’égalité (par exemple ici). De manière générale, rien n’est plus éloigné de mon objectif que le « bashing médiatique ». Je vais tenter d’expliquer pourquoi.

Cet article « male-only » pose deux problèmes majeurs. Premièrement, on y trouve l’avis de 8 personnes sur l’action de Christophe Darbellay au gouvernement (y.c. l’intéressé lui-même). 8 sur 8 sont des hommes. La justification que pourrait avancer Grégoire Baur est de nature institutionnelle. Il a choisi de consulter les chefs de groupes et tous ceux-ci sont des hommes. Ne tirons pas sur l’ambulance, le vrai problème se trouve dans les partis, pas chez le journaliste qui doit se montrer exhaustif dans sa tournée des cuisines.

Deuxième problème : le choix d’un certain mot-valise. Un concept parcourt et structure l’article : l’ « homme fort ». L’utilisation de ce concept d’ « homme fort » n’est ni neutre, ni sans conséquence. Sur le plan sémantique, il nous met sur la piste d’une autorité liée à des traits masculins : la force, la domination, la capacité d’imposer ses vues. L’article est parsemé de références à cette vision de l’autorité.

Comme souvent avec les mots valises, le concept est juste assez indéterminé pour permettre d’y projeter ce que chacun veut y trouver. De manière ironique, Christophe Darbellay pose lui-même cette question dans le petit interview : « qu’est-ce que cela veut dire, être l’homme fort ? » Pour tester l’incertitude du concept, il suffit de tenter de remplacer « homme fort » par un synonyme. Et cette alternative va nous forcer à préciser ce que recouvre exactement le mot-valise.

Essayons avec 3 exemples qui se retrouvent dans l’article. Si nous remplaçons « homme fort » par « personnalité la plus connue », nous déplaçons notre intérêt vers le niveau de médiatisation. Les fameuses « affaires » ne sont pas loin. Remplaçons maintenant par « personnalité dominante », afin de bien tester si les traits de caractère de la personne sont en jeu. Cette dimension de l’ « homme fort » est présupposée lorsque la capacité d’écoute de C. Darbellay est critiquée. L’ « homme fort » aurait un catalogue spécifique de comportements et de méthodes à disposition, tous liée à une vision très masculine de l’exercice du pouvoir. L’homme fort doit-il être à l’écoute, dans le dialogue, ou doit-il au contraire soigner d’autres approches ? Finalement, remplaçons « homme fort » par « personnalité capable de porter ses projets ». Nous focalisons alors sur la capacité d’un Conseiller d’Etat à atteindre ses objectifs. Les méthodes passent à l’arrière-plan, nous jugeons avant tout le résultat.

Ces trois exemples démontrent pourquoi la précision devrait prendre le pas sur un mot-valise comme « homme fort ». C’est une solution de facilité à laquelle nous avons tous une fois ou l’autre recours, avant tout car elle nous économise l’effort de préciser ce qui est en jeu. Avantage non-négligeable lorsque nous devons travailler vite, cette facilité permet de créer l’illusion d’un langage commun (alors que chacun comprend quelque chose de différent).

Pourquoi ces réflexions? Parce que ce genre d’article impacte sur notre manière de voir la politique. L’utilisation de ce mot-valise porte à conséquences, surtout dans un contexte comme le Valais, où le risque est majeur de retrouver un Conseil d’Etat purement masculin, aucune élue au Conseil national et une seule élue aux Etats. Pour ne rien gâcher, l’idée qu’un gouvernement ne peut avoir qu’un seul homme fort (Schmidt ou Darbellay ?) en dit long sur une certaine vision de la gouvernance et de la hiérarchie. Si nous n’étions pas en Valais, nous pourrions presque parler de meute de loups cherchant leur chef.

Ce constat est renforcé par le choix éditorial effectué. En choisissant les chefs de groupes, Grégoire Baur savait que les interlocuteurs seraient exclusivement des hommes. Je peux imaginer que tous ont renforcé et redéfini à leur propre manière le mot-valise. D’autres options étaient ouvertes: les président-es de parti (1 femme au moins), l’ancienne présidente du Grand-conseil Anne-Marie Sauthier-Luyet (comme représentante d’un autre pouvoir), les membres de commissions traitant des sujets de Christophe Darbellay (comme interlocutrice du conseiller d’Etat), des commentatrices de la vie publique valaisanne (en complément de l’inénarrable Gabriel Bender).

Les mots que nous utilisons pour décrire la réalité politique, mais surtout pour l’évaluer, envoient un message limpide : la politique est une affaire d’hommes. Si possible forts, c’est-à-dire capables de démontrer des qualités largement attribués aux hommes. Pour ceux qui voient l’exercice du pouvoir politique et la participation des femmes différemment, à nos travaux : évacuer les mots-valises néfastes et trouver de nouveaux mots pour décrire et évaluer l’autorité.

 

 

La Suisse, caisse enregistreuse magnifique, ou comment la Suisse a accepté d’adapter la loi sur les armes

Ce dimanche 19 mai, les citoyennes et citoyens suisses ont accepté d’adapter la loi sur les armes au titre de reprise de l’évolution du droit de l’acquis « Schengen ». S’il faut se réjouir de cette décision, la votation illustre la passivité et la dépendance de la Suisse face à l’Union européenne. En attendant l’accord-cadre, 4 thèses pour poursuivre les débats.

  1. Face à l’acquis Schengen, la Suisse est une caisse d’enregistrement.

La majorité a accepté la révision, mais il serait faux d’y voir une question de politique des armes. Opposants et promoteurs de la révision ont tenté d’en faire une question de taille (du magasin), mais la question est bel et bien une question de politique européenne. La campagne d’affichage du « oui » avec les dominos qui menaçaient de tomber si le non l’emportait aujourd’hui résumait mieux l’enjeu : les Suisses n’avait pas de vrai choix ce dimanche 19 mai.

La Suisse s’est engagée à accepter les règles existantes au moment de la ratification et à reprendre, en principe, les évolutions du droit du régime de Schengen. Le point sensible se trouve dans la spécification du terme « en principe ». Dans son message de 2004 sur les Bilatérales II, le Conseil fédéral notait que « la Suisse conserve toute son autonomie de décision: elle décidera en toute indépendance si elle souhaite ou non reprendre un nouveau développement de l’acquis de Schengen et de Dublin »[1].

Le Conseil fédéral se garde bien d’expliciter dans toute sa clarté que la Suisse n’a aucun droit de participer à la co-décision[2]. En tant qu’associée, la Suisse a le droit d’être informée, d’être consultée et de participer à l’élaboration des nouvelles normes (decision-shaping). Elle ne peut ensuite participer au vote (decision-taking). Même la phase de decision shaping est institutionnellement faible. Dans cette catégorie de participation à l’élaboration de la norme, les Etat membres de l’UE ne sont pas obligés de tenir compte de l’avis exprimé par la Suisse. Cet avis peut ainsi simplement rester lettre morte. Cette faiblesse structurelle n’empêche pas de belles réussites en matière de négociation, mais elle rend le tout très compliqué.

  1. La loi sur les armes n’est pas une exception, loin de là.

La Suisse a certes le droit – « en principe » – de refuser une évolution du droit européen. Dans le cas du régime de Schengen, une telle décision a pour conséquence que l’accord cesse d’être applicable dans un délai de 3 mois, à moins que le comité mixte (organe politique de résolution des conflits composé de représentants des deux parties) n’adopte une autre position. Un chiffre illustre à merveille cet état de passivité. Depuis l’entrée en vigueur de l’accord de Schengen, la Suisse a adapté son droit suite à un changement de droit européen à 250 reprises[3]. Parmi ces développements, 36 portaient sur des normes dont la reprise exigeait l’approbation du Parlement. « En principe » toutefois, la Suisse était libre de ne pas reprendre ces évolutions. La campagne autour de la loi sur les armes a montré à quelles discussions pouvait mener ces deux petits mots.

Et si ce type de campagne et de votation devenait la règle de la nouvelle politique européenne suisse ? Les régimes de Schengen et de Dublin sont les plus clairement marqués par cette dépendance et cette passivité. De manière générale, la Suisse cherche à se trouver une place qui serait entre celle d’un Etat tiers et celle d’un Etat membre. Le concept de « reprise autonome » du droit européen dans le droit suisse illustre cette approche. La Suisse est prête à modifier ses propres lois (« reprise ») sans qu’aucune demande spécifique n’ait été formulée par l’UE et de manière « libre » et « volontaire » (« autonome »), le tout pour tenter de garantir le meilleur accès possible aux débouchés économiques que représente l’UE.

  1. La Suisse est pragmatique, mais c’est insuffisant.

Cette « reprise autonome », et avec elle toute la logique de passivité, de dépendance et de « caisse enregistreuse », ne devrait-elle pas être considérée comme un exemple du pragmatisme intelligent dont font preuve les Suisses ? Sommes-nous pragmatiques et malins ou contraints par une dépendance de fait et dans l’incapacité de faire valoir nos intérêts ?

La Suisse a toujours su défendre ses intérêts avec pragmatisme en jouant habilement des rapports de force et de dépendance. Comme le montre l’excellente formule de Joëlle Kuntz (son livre s’intitule “La Suisse ou le génie de la dépendance”), la Suisse a développé son génie de la dépendance. Selon la thèse de l’auteure, la Suisse a toujours su exploiter à son avantage les contraintes extérieures qui pesaient sur elle, profitant avec un certain bonheur des situations que d’autres créaient pour elle.

Cette lecture positive tenter de donner sens, ou de compléter, la relation de dépendance de la Suisse. La Suisse est dépendante sur un plan économique, sur un plan sécuritaire et sur le plan de la gestion commune des défis partagés, à l’exemple des défis de l’asile, du numérique ou de changement climatique. Cette dépendance profonde n’est pas métaphysique ou idéologique. Elle relève du domaine des faits que personne ne conteste, même si bon nombre d’acteurs politiques essayent de les passer sous silence. Reconnaître cette dépendance profonde ne signifie pas nier que l’UE a également un intérêt à entretenir de bonnes relations avec la Suisse. La Suisse est un partenaire économique important et l’UE ne manque jamais de souligner les valeurs communes entre les deux partenaires.

  1. Nous avons besoin de nouveaux mots – l’accord-cadre sera une bataille de « framing ».

Passivité et dépendance, le constat pourra être accepté. Mais quelle est l’alternative pour la politique européenne suisse ? L’ancien secrétaire d’Etat Jakob Kellenberger n’a-t-il pas raison de dénoncer que tous les concepts intermédiaires, comme celui d’association, entretiennent une illusion de « la juste proximité et de la juste distance »[4] ? Ne sommes-nous pas dans le meilleur des mondes possibles ?

Le NOMES, presque seul contre tous, continue de rappeler les Suisses à cette banale vérité : tant que nous ne sommes pas membres de l’UE, nous serons passifs et dépendants. Il faudrait que ce point forme la base de toutes nos réflexions de politique européenne. Une sorte de “reality-check” à ressortir à chaque débat. Que l’on trouve l’adhésion positive ou pas, plaider pour une Suisse membre de l’UE reste inaudible en 2019. Un quart de siècle de travail de fond des forces nationalistes-conservatrices a profondément modifié le “framing” de la discussion européenne. Dans ces conditions, la stratégie de la confrontation ne fait que durcir les camps.

Pour préparer le débat à venir sur l’accord-cadre, nous avons besoin de déplacer les lignes. Nous devons détourner la question de l’adhésion (et de son pendant négatif, le « Diktat » de Bruxelles) pour porter tous nos efforts sur la promotion des intérêts suisses en partenariat avec une UE multiple. Transformant autant que faire se peut des rapports passifs et dépendants, nous avons les moyens de chercher une relation active et flexible avec l’UE. Active car elle place en première ligne la défense des intérêts suisses. Il ne s’agit plus de défendre une compétence vidée de sa substance pour se donner l’illusion d’un choix indépendant, mais plutôt de défendre ses intérêts en se donnant les moyens de procédures solides. Les règles pour aborder les différends dans l’interprétation des accords sont un premier pas dans la bonne direction. Flexible car elle prend acte de la réalité européenne. La Suisse ne cherche plus l’approche monolithique (systématiquement liée à l’idée d’un super-Etat européen), mais une approche capable de rendre justice aux différentes sphères d’intégration de l’UE et à leur diversité d’acteurs politiques. Cerise sur le gâteau, ce déplacement réthorique en matière de “framing” va permettre de faire apparaitre que la Suisse et l’UE ont de nombreuses et importantes missions communes: défendre ensemble un certain modèle de société pour répondre aux grands défis de notre temps.

Pour aller plus loin : voir la publication foraus « La Suisse et l’Union européenne : pour une association active et flexible », 2016, J. Rochel

Cliquer pour accéder à foraus_Comment_Parler_dEurope_Johan_Rochel.pdf

 

[1] Message du 1er octobre 2004 relatif à l’approbation des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne, y compris les actes législatifs relatifs à la transposition des accords («accords bilatéraux II»), p. 5749

[2] Jakob Kellenberger rappelle avec intérêt que cette co-décision, exercée à égalité avec tous les autres membres, a longtemps été l’argument clef pour justifier l’objectif d’adhésion à l’UE : « agir à l’échelon où se prendraient les décisions décisives pour l’avenir du continent. » Jakob Kellenberer, Nos priorités face à l’Union européenne, in Le Temps, 16 octobre 2014.

[3] Chiffre en date du 28 mars 2019. Sources : https://www.bj.admin.ch/dam/data/bj/sicherheit/schengen-dublin/uebersichten/weiterentwicklungen-schengen-f.pdf

[4] Jakob Kellenberger, Wo liegt die Schweiz? Gedanken zum Verhältnis CH-EU, Verlag NZZ, 2014, p. 65

#14juin2019: invitation à nos fils, amis, collègues, employés, patrons…

La grève des femmes du 14 juin est un magnifique projet de mobilisation pour les droits des femmes et pour l’égalité. Depuis quelques jours, la place des hommes dans ce projet fait débat. Et ce débat n’a pas bien démarré. Il y a un vrai risque que l’énergie très positive du 14 juin se perde dans une question que toutes et tous jugent contre-productive: les hommes sont-ils bienvenus ou non dans une grève féministe? Nous souhaitons inviter tous les hommes à adopter l’approche la plus pragmatique possible : comment permettre aux hommes soucieux d’égalité de contribuer positivement à cette journée du 14 juin, et plus globalement au mouvement qui l’accompagne? Une partie non-négligeable de l’impact du 14 juin sur la société suisse dans toute sa diversité pourrait se jouer avec cette question.

Nous pensons que la grève du 14 juin sera utilisée à son maximum si les villes et régions du pays sont parcourues par les femmes et les hommes. La « grève » idéale serait une journée où l’entier de la population descend dans la rue pour démontrer son attachement à l’idéal d’égalité. Les deux conditions évoquées par les collectifs de femmes sont tout à fait légitimes. Premièrement, il est évident que les femmes occuperont les têtes de cortèges, les discours, les prises de parole. Il n’est pas question que les hommes prennent la place médiatique ou cherchent à s’accaparer le mouvement. Si certains ne se sentent pas à l’aise avec le fait de se fondre dans la masse, ce sera un bon entraînement. Deuxièmement, si le soutien d’un homme est nécessaire pour qu’une femme participe à l’événement, celle-ci doit avoir la priorité. Mais le scénario idéal reste qu’ils y participent tous les deux. Nous ne pouvons nous permettre de faire les choses “à moitié”, en espérant qu’une manifestation de même ampleur puisse mobiliser autant les hommes une prochaine fois. La mobilisation doit être massive. Le signal sera d’autant plus fort pour nos proches et, plus généralement, pour les responsables politiques ! La manifestation de septembre 2018 pour l’égalité salariale reste en ce sens une belle source d’inspiration.

Les hommes soucieux d’égalité ne doivent pas tenter de passer pour des héros du quotidien. Cela tombe bien, c’est exactement ce que nous défendons: reconnaître la normalité de l’engagement des hommes pour l’égalité dans la sphère privée, familiale, professionnelle, politique. Il existe de multiples façons d’être homme et/ou père, en dehors des sentiers battus de la masculinité toute puissante qui performe au quotidien, écrase les résistances et ramène l’argent au foyer. Il existe aussi de multiples façons d’influencer les conditions cadres pour obtenir plus d’égalité, et les hommes doivent en assumer leur part activement.  

Ainsi, nous devons sortir d’une attitude d’assistant: « je sais que tu gères, n’hésite pas à me dire si je dois t’aider ». En matière de féminisme, il ne s’agit plus pour les hommes d’être en « soutien » des femmes, mais de prendre activement leur part de la charge de travail au foyer, tout en baissant eux-mêmes leur temps de travail, en jouant une part active en tant que modèle dans l’éducation et en favorisant l’augmentation de la présence politique des femmes.

Le 14 juin, les hommes qui ont parfois tendance à rester dans leur zone de confort et à profiter de leur position seront davantage remis en question s’ils voient leurs amis, collègues, employés et patrons se mobiliser de manière visible. De nombreux hommes ne demandent qu’à être inspirés vers plus d’égalité. Ensemble, nous pouvons transformer en profondeur la société suisse, chacune et chacun, l’un avec l’autre. L’égalité est l’affaire de toutes et tous. Invitation à tous les hommes de le montrer le 14 juin, aussi.

Ce texte est à disposition de tous; n’hésitez pas à le reprendre, le transmettre, le republier.