Pour une Constituante Digitale et Participative

Le 4 mars 2018, les citoyennes et citoyens du Valais ont l’immense opportunité de réviser leur Constitution vieille de plus d’un siècle. Au-delà des passionnants débats de contenu, cette révision représente la chance de profiler le Valais comme terre d’innovation digitale. A la différence des cantons de Neuchâtel (2000), Vaud (2003), Fribourg (2004), Genève (2012), le Valais entame cette procédure avec des outils digitaux d’une puissance impressionnante.

Ce potentiel technologique au service de la démocratie est trop souvent résumé au vote électronique. Ce que nous présentons dans cet article va plus loin: les outils digitaux vont renouveler les bases de l’exercice démocratique et de la pratique politique. Premier effet de fond: la participation digitale se joue des frontières institutionnelles et géographiques. Ces nouveaux lieux de débats vont agrandir la base de participation en s’ouvrant à tous les résidents. Ils vont également inclure tous les Valaisans habitants hors des frontières cantonales ainsi que tous ceux qui s’intéressent à la vie du canton et s’y sentent, d’une manière ou d’une autre, reliés. Le digital remet fondamentalement en question la pertinence du principe de présence géographique. Le curseur se déplace vers un principe d’intérêt et d’attachement. C’est particulièrement précieux pour un canton dont nombre de forces vives habitent hors du canton.

3 niveaux de participation

Les outils digitaux à disposition peuvent être classifiés selon le degré de participation des citoyens qu’ils permettent. Ce degré reflète également grossièrement les évolutions par palier du monde digital.

Sur un premier niveau, nous trouvons tous les vecteurs d’informations statiques (Web 1.0). Les informations sont transmises de manière unilatérale, sans échange possible. Même s’ils sont statiques, ces canaux de communication servent les valeurs de participation (en rendant accessible l’information), de transparence (par exemple en documentant l’action du gouvernement) et de responsabilité (permettant d’identifier les institutions et leur positionnement). La plupart des acteurs officiels ont adopté ce premier niveau de communication. A titre d’exemple, les villes du canton ont amélioré leur site internet et la manière dont elles expliquent leurs actions. Pour la Constituante, ces outils 1.0 représentent un service minimal.

Le deuxième niveau offre une nouvelle gamme d’opportunités de participation en ouvrant des canaux de communication bilatéraux. Les citoyens interpellent leurs autorités en leur demandant des comptes, tandis que celles-ci lancent des appels à “bonnes pratiques” pour gérer leurs défis. La communication 1.0 devient participation 2.0. Ce niveau de participation s’est développé au cours de la dernière décennie avec l’explosion des réseaux sociaux et la création de plateformes dédiées à la mise en commun du travail (Trello, Slack, GoogleDoc etc). Ces outils ont d’abord été créés pour le monde de l’entreprise, mais ils ont rapidement été déclinés et améliorés pour un usage citoyen (notamment NationBuilder). Ainsi, les sujets complexes peuvent être soumis au débat par l’intermédiaire de plateformes capables de gérer les évaluations, commentaires, propositions générés par un nombre très important d’utilisateurs. On parle alors de crowdthinking (crowd: la foule ; thinking : penser) par analogie avec le crowdfunding (funding : financement). En matière constitutionnelle, l’Islande a montré l’exemple en créant une vaste campagne de débats autour de la révision de sa Constitution. Cette campagne a couplé des formats traditionnels (débats, rencontres, cafés-politique) avec une possibilité de débattre article par article en ligne et de réagir aux arguments proposés. La Cité comme espace de débats s’est dédoublée. Les synergies entre rencontres “physiques” et présence digitale sont la condition sine qua non de ces succès.

Pour la Constituante valaisanne, cette forme de participation 2.0 ouvre trois chantiers fondamentaux. Premièrement, le processus de choix des constituants (les 130 élues et élus) sera marqué par l’utilisation de ces outils. Les plateformes pourraient permettre l’organisation de listes citoyennes avec une procédure de choix sensiblement différente de celle des partis. En bref, les listes citoyennes pourraient être caractérisées par une sorte de primaire digitale où les candidates et candidats feraient campagne et seraient choisis par une communauté digitale avant de se soumettre à l’élection « officielle ». Dans les partis “traditionnels”, les mêmes outils pourraient être utilisés en complément des assemblées de parti pour ré-inventer la mobilisation des membres afin de co-créer du contenu (idées, prises de position, argumentaires).

“Hackaton” mêlant débat “physique” et outil de mise en ligne (foraus – Forum de politique étrangère)

Deuxièmement, le travail législatif de la Constituante pourra être accompagné en temps réel par la communauté citoyenne. Chaque personne intéressée pourra commenter les résultats intermédiaires, les choix de ses élus de district, ou même proposer de nouvelles idées pour sortir d’une impasse les tractations politiques La Constituante n’est plus seulement l’assemblée de 130 cerveaux, elle augmente sa capacité de réflexions en puisant dans les compétences et expertises de tout un chacun.

Troisièmement, durant toute la phase de travail constitutionnel (environ 4 ans), les outils digitaux pourront être utilisés pour porter les débats hors des murs de la Constituante. Une plateforme de “crowdthinking” rend possible une grande consultation sur les thèmes qui touchent la population et sur les réponses que chacune et chacun veut y apporter. Pour faire vivre cette plateforme, il faut organiser des rencontres mélant débats « en présence » et mise en ligne de contenu. L’équipe d’organisation des JO de Paris 2024 en fait un large usage en offrant l’opportunité aux citoyens d’organiser des ateliers et des rencontres. A quand une série d’ « apéros digitaux » sur les thématiques de la démographie, du vivre-ensemble ou de la répartition des activités économiques entre plaine et montagne ? A la différence des tables rondes actuelles, les résultats ne seront pas réservés aux cinquante personnes présentes dans la salle. Ils seront mis à disposition de l’entier du canton par le biais de la plateforme.

Au final, ces trois chantiers de participation 2.0 répondent tous d’un même objectif fondamental: chacune et chacun doit pouvoir affirmer avec conviction qu’il s’agit de “sa” Constitution. Comprenez par-là celle à laquelle il a réfléchi, participé, voté, débattu. La littérature scientifique sur la question souligne d’ailleurs les bienfaits collectifs de cette participation en termes de confiance dans les institutions et de renforcement d’appartenance à un projet commun[1].

Vers de nouveaux horizons

Le troisième niveau de participation représente une aventure en terres plus inexplorées. La puissance des algorithmes en lien avec d’immenses bases de données (une conjonction souvent résumée sous le terme d’”intelligence artificielle”) va permettre de mobiliser des outils d’aide à la décision politique. Les spécialistes de données pourront identifier, produire puis analyser des données utiles à la réflexion politique.

Une première série d’outils pourra se pencher sur les données politiques déjà à disposition afin d’en extraire quelques “leçons” utiles. Ainsi, nous pourrions imaginer des algorithmes traitant de toutes les votations et élections passées, en Valais et dans les cantons suisses. Les procès-verbaux des travaux pour les Constitutions cantonales de nos voisins pourraient ainsi être passés à la moulinette des données pour identifier des difficultés dans les débats et des manières intéressantes de les résoudre. Le même type d’algorithmes pourrait se pencher sur les commentaires et les prises de position laissés par les utilisateurs sur différents types de site (journaux, réseaux sociaux, etc).

Les “leçons” extraites de ces larges bases de données pourront ensuite être mises à disposition des constituants élus et du public. Le World Economic Forum a développé des “cartes transformatives” (transformation maps) rendant directement visibles les interactions entre différents paramètres et leur évolution dans le temps. De manière similaire, nous pourrions imaginer des cartes thématiques montrant l’évolution des opinions de la population valaisanne (dans le temps, mais également selon les profils des individus). Ces outils d’analyse et de visualisation ne sont pas des outils de prescription: ils ne sont pas là pour dire quelle est la bonne décision à prendre. De manière schématique, les évolutions technologiques permettraient au Valais de profiter des erreurs et des idées de toutes les expériences constitutionnelles passées.

Un autre type d’outil pourrait porter sur la simulation des choix effectués et l’effort de prospective. En distinguant différents paramètres et autant de scénarios de développement possibles selon des données démographiques/économiques/sociétales, un algorithme pourrait esquisser une dizaine de Valais du futur en fonction des positions prises dans la Constituante sur les questions charnières. La “Venice Time Machine” développée par les humanités digitales de l’EPFL permet non seulement de se rendre dans la Venise du passé, mais a également un but de prospective. En effet, grâce à une simulation algorithmique de Venise, il est possible d’imaginer des scénarios de développement futur basés sur une accumulation gigantesque de données via la digitalisation de ses 80km d’archives. Le Valais pourrait développer son équivalent pour explorer ses « futurs » sous forme de scénarios.

Les défis du monde qui vient

Ces outils digitaux répartis sur trois niveaux de participation offrent des opportunités fantastiques pour ce moment constitutionnel. Attention toutefois de ne pas céder à la tentation du Grand Soir Digital. Nous plaidons pour que ces outils soient conçus et utilisés au service de la population, et non l’inverse. Pour garantir cet objectif, il faut tout faire pour éviter le piège de la fracture digitale. La société valaisanne ne doit pas se diviser entre ceux qui comprennent et maitrisent cette grammaire et ceux qui se sentent délaissés. Les outils doivent être “traduits” dans la langue de l’utilisateur: ses besoins et ses intérêts sont au centre du développement technologique. A ce titre, l’évolution digitale doit se concevoir dans la combinaison avec des rencontres “physiques”. Les deux se nourrissent ensuite mutuellement.

Cette ambition n’est pas seulement technique, elle doit être accompagnée et soutenue sur le plan politique. La participation du Valais au projet “Digital Switzerland” semble augurer d’une volonté renouvelée du Conseil d’Etat. Une éventuelle plateforme « constitutionnelle » pourra ensuite être mise au service d’autres projets cantonaux (par ex. 3ème correction du Rhône) ou régionaux (tourisme). Néanmoins, inutile de se leurrer dans une euphorie technophile: les résistances seront nombreuses, notamment de la part de ceux qui craignent l’ouverture et la participation des habitants du canton. Car ces outils vont rappeler que les innovations technologiques nourrissent et accélèrent des innovations politiques et sociales. S’il s’ouvre à ce monde qui vient, le Valais ne sera plus le même Valais, les partis devront faire évoluer leur mode de fonctionnement interne, les consultations citoyennes changeront profondément de visage. Les mots de plateformes, de participation et de co-création ne sont pas neutres, ils portent avec eux un projet de société digitale. C’est la beauté et le vertige de l’aventure citoyenne.

Dr. Johan Rochel (@johanrochel, fondateur de EthiX: Laboratoire d’éthique de l’innovation) & Dr. Johann Roduit (@johannroduit, co-fondateur de TEDxMartigny et de conexkt sàrl, chercheur au Collegium Helveticum Zürich)

 

[1] Pour une vue d’ensemble, E. Karamagioli et al., “Participatory Constitutional Design:A Grassroots Experiment for (Re)Designing the Constitution in Greece” (2017)

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)

6 réponses à “Pour une Constituante Digitale et Participative

  1. Je n’ai même pas le courage de lire ce très long article jusqu’au bout.

    Ce Johann Rochel nous a habitué à toutes sortes de plaidoyers pour une société post moderne totalement déjantée. Il reste fidèle à lui-même.

    Je lirai l’article à tête reposée quand j’aurai le temps mais dans un premier temps je veux d’abord réagir de manière instinctive en m’adressant aux instincts sains de mes compatriotes.

    Nous devons être en garde contre tout celà. C’est un discours politique extrêmement inquiétant et dangereux. Il se pare des oripeaux de la modernité. “Il faut vivre avec son temps, ouvrons nous à toutes ces nouvelles technologies, acceptons gaiement la société liquide, soyons inclusifs, transparents, non genrés, multi-culturels, connectés, sans frontière” etc., etc. On peut compter sur Johann Rochel pour nous servir toutes ces fadaises avec un enthousiasme béat et sans aucun esprit critique. C’est son élément dans lequel il est comme un poisson dans l’eau.

    Mais s’agissant de la société digitale, c’est évidemment une arnaque. Vote électronique? C’est la porte ouverte à TOUTES les manipulations du suffrage. Il est très facile pour le POUVOIR de truquer les votes par des algorithmes indétectables et d’obtenir des résultats finement modifiés pour faire gagner à tous les coups les partisans de “l’ouverture” et faire perdre les “populistes” réfractaires à l’idéologie Justin Trudeau portée par Johann Rochel.

    Je dis: méfions nous. Le Rochel nous enfume comme un beau parleur qu’il est. Il a été très en pointe pour faire battre Freysinger. OK, admettons que c’était son droit. Mais n’oublions pas qu’il y a eu des fraudes électorales avérées, et qu’elles n’ont pas été investiguées, car le POUVOIR était trop heureux d’être débarrassé du gêneur Freysinger. Ceci est vrai tant des PDC que des PLR et des Justintrudistes déjantés comme Rochel. Alors je dis à tous les Valaisans, et d’abord à ceux qui étaient anti Freysinger: Attention! Réfléchissez: aujourd’hui vous vous frottez les mains d’une fraude électorale qui vous a débarrassés d’Oskar. Mais maintenant les puissants du mondialisme et leur laquais Johann Rochel veulent le vote électronique. Vous pouvez être CERTAINS que demain ils truqueront électroniquement vos votes pour faire gagner exactement ceux des candidats PDC, PLR, PS qui leur conviennent. Il ne s’agit pas d’une crainte qu’on peut avoir. C’est une CERTITUDE. Alors posez vous la question: voulez-vous celà.

    Un certain François de Siebenthal a dénoncé sur internet, preuves à l’appui, les fraudes électorales pratiquées en Suisse. Sa vidéo a fait un buzz énorme, des centaines de milliers de vus, si ce n’est des millions. J’ai reçu des mails de France, du Canada et d’ailleurs me demandant ce que j’en pensais. J’ai entendu dire que ce monsieur de Siebenthal a maintenant des ennuis de santé et certains pensent qu’il a été empoisonné. C’est peut-être de la paranoïa de pends cela, peut-être, peut-être pas… Mais je dis: Méfiance! Méfiance! Ces beaux parleurs à la Rochel qui nous vantent le vote électronique nous la baillent belle: modernité, progrès, bla, bla, bla. Répondons leur : merci beaucoup. Vous pouvez garder votre progres. Nous voulons continuer avec des bulletins de vote en papier et des urnes. Il y aura toujours des fraudes, comme dans le cas de Freysinger, mais il y aura moins de risque qu’avec le vote électronique.

    Pour le reste, attention à l’administration entièrement informatisée et au big data. Certes celà offre des avantages pratiques, mais celà permet tous les abus, tous les croisements de fichier, tous les hackings, tous les fichages faits secrètement, toutes les fuites, toutes les indiscrétions.

    Voulons-nous vivre dans la société de surveillance totale dirigée par big brother Rochel? Non merci!

    1. Je savais que je vous avais manqué, mais je ne pensais pas à ce point là. Je me réjouis d’avoir, je l’espère, une fois l’occasion de savoir qui m’écrit ces si beaux commentaires (assez longs eux-aussi d’ailleurs). Attention toutefois, sur ce coup-ci, je ne suis pas seul. Et la vérité est peut-être ailleurs.

  2. Le test sera le vote électronique. S’il est refusé ça voudra dire que le Valais reste le Valais, un pays traditionnel de liberté historique malgré quelques défauts. S’il est accepté ça voudra dire qu’on entre, par le truquage high tech du vote, dans une dictature post moderne rochellienne où le pouvoir décide qui est élu et qui ne l’est pas, ne sélectionnant que des dévots du mondialisme et éliminant les patriotes, et en plus ce sera la société de surveillance totale , en éliminant les démocrates qui seront diffamés comme “populistes, homophobes, xénophobes, racistes, attardés”, etc.

    1. “une dictature post moderne rochellienne” je garde. Mais justement, l’article ne traite pas du vote électronique et illustre toutes les autres options à disposition…

  3. Aux dernières nouvelles cette constituante pourrait être enterrée. Ce serait la meilleure chose qui pourrait arriver, à mon avis…

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