La politique suisse n’est pas encore prête pour les femmes

Roadshow du PLR à Zoug

Pendant la dernière campagne pour le Conseil fédéral, j’ai beaucoup pensé à ma fille, bientôt 3 ans. J’ai imaginé qu’elle serait un jour candidate au Conseil fédéral. N’y voyez pas une ambition parentale démesurée, mais un exercice de proximité émotionnelle : ma fille candidate, que ferait le père que je suis pour changer la manière dont la campagne a été menée ? L’objectif n’est pas de refaire la campagne du 20 septembre ou de tenter d’expliquer pourquoi la candidature d’Isabelle Moret a été un échec. Il s’agit plutôt de formuler des propositions concrètes pour rendre les campagnes politiques futures plus égalitaires et donc plus justes.

Questions de campagne

Commençons par l’élément le plus visible : l’égalité de traitement par et dans les médias. A plusieurs reprises, Isabelle Moret a dû répondre à une question gênante sur la compatibilité de ses activités de mère avec la charge de Conseillère fédérale. Admettons que cette question soit dans l’intérêt du grand public (qui veut être sûr que les candidats seront dédiés à leur tâche). Le défi principal est celui de l’égalité de traitement. Cette question de la compatibilité doit être posée à tous les candidats, sans regard pour leur genre (et les idées préconçues qui vont avec). Dans une interview accordée à la RTS fin octobre, Pierre Maudet a ainsi remercié la journaliste de lui avoir enfin posé la question. Mais Isabelle Moret n’était-elle pas dans une situation spécifique, elle qui vit séparée de son compagnon? Admettons que la question soit pertinente pour le débat public. Elle doit dans tous les cas lui être posée en des termes neutres, c’est-à-dire sans renforcer des attributions genrées. En d’autres mots, la question doit porter sur les défis d’un parent séparé au Conseil fédéral, et non sur les défis d’une femme séparée au Conseil fédéral. La question n’est plus seulement axée sur les femmes (et leur prétendue « mission » éducative et le besoin particulier de se justifier si elle la délègue), mais sur les parents (qui portent une responsabilité commune et s’organisent comme bon leur semble). En guise de test, si Alain Berset divorce demain et s’occupe de ses enfants une partie du temps, nous devrions pouvoir lui poser exactement la même question.

Mode de campagne

La façon dont la campagne semi-publique (le « road-show ») a été organisée est elle aussi pertinente du point de vue de l’égalité. L’affaire du « micro » représente un excellent point d’entrée dans ce débat. Dans une interview, Isabelle Moret a évoqué son souci de toujours bien contrôler les micros pour les débats publics : elle avait besoin d’une bonne acoustique pour pouvoir se faire entendre aux cotés des deux messieurs. Elle a bien sûr raison. Les micros, mais également l’agencement des tables (par exemple les terribles tables hautes pour les personnes de moins de 1,80m), le placement des gens (la politesse trompeuse de la femme mise au milieu des deux hommes) représentent la partie logistique d’une question autrement plus essentielle : la figure du décideur politique. La voix, la posture, l’habillement, les manières sont jugés à l’aune d’une autorité politique aux attributs perçus comme masculins. Les attributs physiques se retrouvent dans les nombreuses métaphores viriles de la campagne. Tout au long du « road-show », les candidats devaient démontrer « avoir les épaules » face à un stress immense. A eux de gérer nos relations européennes avec « une main de fer », tout en étant capables d’ « imposer » leur agenda.

En parlant des micros, Isabelle Moret a donc effleuré la vraie question. Il reste une impression un peu amère, une chance manquée d’attaquer le cœur du défi : l’équation entre autorité politique et attributs liés à l’homme. Sans cette tentative, la candidate était condamnée à s’approcher le plus possible de cette idée de l’homme fort en politique. Une partie perdue d’avance où celle qui veut imiter n’arrivera jamais à remplir tous les critères, surtout face à des candidats comme Pierre Maudet, sorte d’incarnation de cet idéal du décideur. Attention toutefois à ne pas tomber dans un essentialisme dangereux : ces attributs ne sont pas masculins ou féminins en soi. Dans les faits, les hommes et les femmes doivent développer certains attributs en réponse à leur environnement. Certaines qualités dites « féminines » naissent donc d’une stratégie face à des contraintes extérieures. Montrer de nouvelles façons d’exercer l’autorité politique profiterait bien entendu également aux hommes qui ne correspondent pas au cliché de l’homme fort.

Pour tous ceux qui conçoivent ou organisent des événements politiques, l’objectif consiste à tout mettre en œuvre pour faire émerger des modèles d’autorité politique avec d’autres attributs. L’agencement de la scène doit être pensé dans la perspective des participant(e)s. Mais le format du débat est également essentiel. Un débat contradictoire de type Infrarouge/Arena privilégie et renforce les attributs masculins. Il fait le jeu de positions tranchées, non-consensuelles, et portées par les grosses voix. C’est le pire modèle pour une diversité de compétences politiques. Un deuxième modèle a été testé durant le « roadshow » du PLR. Les candidats n’ont pas débattu, ils ont présenté leur programme et répondu aux questions du public. Le format offre une liberté de style aux candidats. Mais parce qu’il ne remet pas en question la vision traditionnelle de l’autorité, il laisse beaucoup de place à la figure de l’homme d’Etat, chargé de présenter sa vision. La troisième option aurait été ce que j’appelle un débat consensuel, peu pratiqué en matière politique. L’objectif principal est d’amener les candidats à montrer comment ils abordent ensemble une question difficile. Les spécialistes RH l’utilisent parfois pour tester la manière dont un candidat aborde une difficulté et la capacité de travailler en équipe. Ce format a l’avantage d’ouvrir le champ des compétences mises en avant. Il offre un bel espace au consensus, à l’écoute, aux reformulations constructives, trop souvent inutiles (voire contreproductives) dans les formats traditionnels.

Mode d’élection

L’organe d’élection du « ticket » (l’ensemble des parlementaires PLR) représente un frein aux candidatures féminines. La raison principale se trouve dans la situation de conflits d’intérêts et d’ambitions des membres de ce groupe. Ces ambitions personnelles sont en soi légitimes, mais elles restent dans l’ombre et sont systématiquement arbitrées sur le dos des femmes. En d’autres mots, le principe d’une candidature féminine est le premier plomb à sauter en cas de conflit. Il faut donc protéger ce principe en forçant les autres enjeux à se montrer au grand jour et à s’intégrer pleinement dans la procédure de choix.

Il y a au moins deux possibilités de forcer cette transparence. D’une part, il s’agit d’ouvrir l’organe de décision. On pourrait passer du groupe parlementaire à l’assemblée des délégués (représentants des sections cantonales) ou à l’ensemble du parti (par exemple via un vote électronique). Ces deux variantes améliorent le système actuel car la grandeur agirait comme un mécanisme de contrôle et de dissémination du pouvoir. La présence de personnes « désintéressées » (c’est-à-dire sans ambition directe pour le poste) renforcerait l’exigence de transparence sur les motivations de chacun.

Une deuxième possibilité pourrait être de renforcer la représentation des intérêts féminins. Ainsi, nous pourrions imaginer que les Femmes PLR, en tant qu’organe officiel des femmes dans le parti, possèdent un droit de parole particulier. Elles pourraient poser des questions spécifiques et demander des justifications à tous les membres du groupe (hommes comme femmes). Là encore, il s’agit de créer une procédure plus transparente et de forcer les membres à justifier comment ils arbitrent entre différents objectifs. Une piste similaire mais autrement plus provoquante serait de reconnaître que les carrières féminines sont une véritable priorité et qu’elles justifient des passages en force. Une mesure transitoire pourrait donner aux femmes un droit de votre prépondérant (leur voix compterait par exemple double). Conjuguée avec un organe décisionnel plus grand (et donc plus « désintéressé »), cette mesure permettrait de thématiser frontalement la cohérence des choix de chacun.

Médias, organisateurs de campagne, personnel politique : chacun trouvera son bonheur parmi ces quelques propositions. Celles-ci portent une ambition qui va bien au-delà des femmes, elles visent l’égalité dans la sphère politique. Cette égalité aura aussi l’effet de libérer les hommes de leur carcan d’attributs masculins. Si l’envie d’assurer à ma fille une compétition politique plus juste a donné l’étincelle pour ce texte, je pense maintenant à mon fils. Je me projette dans 30 ans et je rêve que, s’ils font de la politique, mes deux enfants ne seront plus obligés de se conformer à des attributs genrées. D’ici là, la palette de compétences sera devenue plus large et plus belle.

Johan Rochel

La version originale de cet article est paru dans la série “Gender in Foreign Policy” sur le blog du foraus.

Disclaimer : entre 2008 et 2011, j’ai eu le plaisir de travailler comme assistant parlementaire pour Isabelle Moret. Je n’ai joué aucun rôle actif dans cette campagne 2017.

 

 

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)

5 réponses à “La politique suisse n’est pas encore prête pour les femmes

  1. Tout ce qu’on vous souhaite c’est que le jour ou vous serez candidat au Conseil fédéral, ce qui finira bien par arriver, vous vous trouviez face à une femme qui mettra en pratique vos bons conseils et qui vous évincera. Ce sera bien fait pour vous.

    À part ca tout est énervant dans votre article que je n’ai pas réussi à lire jusqu’au bout tant il est exaspérant. D’abord cette manie du mot genre. Nous avons un sexe, pas un genre. Ce sont les mots qui ont un genre. C’est un terme de grammaire. Bientôt on se moquera des conformists comme vous qui se soumettent à cette aberration idéologique du moment que sont les études genre. lls seront ridicules comme les précieuses et les femmes savantes de Molière, cet auteur machiste.

    En plus vous êtes totalement à côté de la plaque. L’insuccès de miss clochette n’a rien à voir avec son absence de pénis. C’est du à une vieille tradition d’équilibre en politique suisse. Il y a déjà un Vaudois. c’est Parmelin. Ca s’arrête là. Rien à voir avec une histoire de pantalon ou de jupe.

    Quant à l’inéligibilité de Maudet, qui a les mêmes idées, elle est due au fait que l’UDC a la clé de cette élection. Aucun.e candidat.e ne peut être élu.e si l’UDC l.e.a rejette en bloc. Cela barre la route d’avance aux euroturbos antisuisses comme Maudet. D’ailleurs c’est si vrai que vous n’avez qu’à compter les voix. Maudet a fait le plein des voix de gauche au premier tour. Il n’a pas progressé au deuxième tour. Bref il n’a eu que des voix de gauche. Les gens de droite de son parti, et il n’y en a pas beaucoup, ont donné une chance à Isabelle Moret malgré ses évidentes faiblesses, parce qu’elle est moins gauchiste que lui. Tant que l’UDC sera forte, ni Maudet ni aucun.e candidat.e ayant ce profil politique, ne sera éligible. Le “genre” ne fait rien à l’affaire.

    1. Cher Monsieur Martin (pour autant que cela soit votre vrai nom, on ne sait toujours pas),
      Toujours aussi acide dans vos commentaires !
      – je ne m’étale pas sur la distinction sexe/genre, d’autres l’ont fait. Nous avons un sexe (biologique) et un genre (la construction sociale qui l’accompagne). Cela me semble assez clair, et cela n’a rien à voir avec de l’idéologie. Juste un bon outil analytique pour appréhender la réalité.
      – comme précisé, je n’essaie pas ici d’analyser le “pourquoi” de la non-élection d’Isabelle Moret (mais vous n’avez peut-être même pas lu jusqu’à la fin du premier paragraphe: “L’objectif n’est pas de refaire la campagne du 20 septembre ou de tenter d’expliquer pourquoi la candidature d’Isabelle Moret a été un échec. ”
      – votre réponse démontre encore le chemin qu’il reste à parcourir. Notamment cette phrase, vraiment collector: “L’insuccès de miss clochette n’a rien à voir avec son absence de pénis”.
      – merci d’avoir ajouté un peu d’écriture inclusive, j’ai apprécié !

  2. L’écriture inclusive, évidemment c’était ironique. Je conchie toutes ces idéologies grotesques – et dénuées de toute pertinence scientifique quelconque – comme les études genres qui sont des concepts inventés pour détruire notre civilisation. Ca fait du dégât momentanément à cause du matraquage massif par les “presstitutes”. Comme l’immigration massive et le multiculturalisme, il s’agit de la dernière vague en date d’une guerre du marxisme culturel contre l’homme blanc: comme homme: mâle, et sexe fort, et contre la race blanche. Et aussi contre la famille. Le dégât est là mais en profondeur la réalité anthropologique n’a pas changé et elle finira par avoir le dernier mot. C’est certain. Je vous recommande effectivement la lecture de Molière, pour comprendre ce qui fait la force de notre culture et qui est incompatible avec les schémas de pensées post modernes qui sont les vôtres et qui ne tiennent pas. Votre société liquide comme l’a définie votre congénère Zygmunt Bauman va se finir en désastre, surtout pour ceux qui l’ont inventée et organisée, dans la tradition desquels vous vous situez, et le rejet de tous ces concepts sera brutal. Les tenants de votre école de pensée seront les premiers à pâtir du retour de bâton. Apprêtez vous à souffrir. A vrai dire je méprise, c’est le mot juste, profondément tout cela. Et en particulier les petits intellos qui emboitent le pas dans ces idéologies ineptes et délétères, et qui fondent même leur plan de carrière là dessus. Et c’est vrai que je n’ai vraiment pas pu lire votre article jusqu’au bout, tellement ça me révulse cette tournure d’esprit. Je vous exprime mon impression de manière acide, mais les autres gens n’en pensent pas moins. C’est la raison pour laquelle il n’y a quasiment pas de commentaires dans votre blog. Les gens subissent ces idéologies et ces idéologues comme vous, mais ils ne s’y intéressent pas et ne leur donnent aucune espèce d’assentiment. Moi j’exprime mon désaccord. Je suis le seul qui vous fait cet honneur. Dans un certain sens je suis impressionné par cette manière que vous avez d’étaler votre adhésion à des conceptions aberrantes et en plus de ça, porté par le conformisme d’une nouvelle pseudo élite imbibée d’une idéologie de guerre totale contre notre civilisation, et constatant l’absence apparente de résistance des “locals”, vous vous enhardissez et faites votre petit bonhomme de chemin. C’est affligeant que dans notre pays on laisse un espace à des éléments pareils et qu’on les subventionne. Mais ne croyez pas trop vite que vous avez gagné la partie. Ca ne durera pas. L’école de Francfort et ses épigones divers ne pourront jamais l’emporter dans le monde réel. C’est impossible. Je suis très pessimiste sur les chances de succès du nouvel ordre mondial fondé sur la négation des réalités anthropologiques de base, auquel vous travaillez en tant que petit intellectuel grimpion avec l’argent de nos impôts qui vous paye vos interminables études et recherches inutiles. Et pensez-y: puisque cette énième tentative utopique ne peut qu’échouer, étant donné quôn n’était jamais allé si loin dans la préparation de ces utopies jusqu’ici, l’échec inéluctable entrainera une réaction en sens contraire très profonde et très dure. Je voudrais me faire bien comprendre ici. Vous rêvez d’un monde sans frontières, sans héritage, sans passé, sans identités de genre assignées, etc., dans lequel régnerait ce que vous croyez être la raison, votre raison, qui est en réalité la déraison. Si ce rêve pouvait se réaliser, vous le vivriez comme un paradis, quoique pour la majorité des gens ce serait un cauchemar. Mais voyez-vous, cela ne peut pas se réaliser. Donc tous les efforts, y compris intellectuels, déployés pour tenter de faire advenir ce monde utopique, vont se retourner contre ceux qui auront tenté de réaliser ce rêve/cauchemar. La déflagration causée par le choc en retour sera terrible, alors que si on n’avait pas tenté d’aller contre la nature humaine et qu’on avait laissé vivre les nations, les sexes, les races, etc., qui sont naturelles, il n’y aurait pas eu ce choc en retour et même un certain progrès aurait été possible. Donc soyez prudent. Je vous le dis amicalement, car je ne vous veux pas de mal et vous ne m’êtes même pas antipathique.

  3. Effectivement c’est du vice. Je ferais mieux mieux de m’abstenir de les lire. Mais si je les lis je ne peux pas m’empêcher de voir rouge.

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