Ce neuvième chapitre – sur les treize que compte le traité -, reprend certains des principes généraux relatifs aux manœuvres et mouvements abordés dans les précédents chapitres ; s’ajoutent à ces variables, des facteurs topographiques spécifiques, précautions tactiques et disciplinaires.
Son titre peut aussi être : ‘De la distribution des moyens’ ; ‘L’armée en campagne’ ou simplement : ‘Marches’, selon ses interprètes.
Il est écrit :
Selon Sun Tzu, plusieurs règles d’occupation du terrain sont à observer. La connaissance des positions probables ou réelles de vos adversaires étant capitale dans vos calculs de position, mettez-vous au fait du terrain afin de choisir une position avantageuse afin de pouvoir les affronter.
– De la topographie : Élévations : Hauteurs et orientations
Un campement élevé favorise le renforcement d’une position. Combattre en position dominante est plus aisé du haut vers le bas et non le contraire. Monter à l’assaut d’une hauteur requiert une démultiplication des forces, une visibilité réduite des défenses postées avec un risque d’exposition constante.
Il est recommandé de dresser la position au sud, sur le versant ensoleillé en sécurisant les pourtours afin de bénéficier d’une meilleure luminosité, d’un air salubre et de ressources alimentaires en plus grande abondance.
Si, informé par vos vigies, vos adversaires entreprennent une ascension par le versant opposé pour vous surprendre, vous pourrez soit vous retirer à loisir, soit les attendre de pied ferme avec une plus grande facilité et moins d’efforts humains.
La recherche de l’efficacité tactique implique de ne jamais s’engager par le bas dans un assaut sur un terrain ascensionnel. A défaut de nécessité, les risques encourus seraient disproportionnés.
– De la topographie : Fleuves et cours d’eau
A proximité d’un cours d’eau il est vital d’en connaître ses sources, ses bas-fonds, ses méandres et tous les endroits où des rétrécissements permettent le passage à gué. Ces précautions vous éviteront que surpris, vos forces contournées par l’arrière, vous n’ayez aucun lieu pour vous retirer en cas de malheur, sinon celui d’être acculé à la rive puis contraint à une fuite périlleuse pour les hommes et les matériels en la traversant.
Si, informé des desseins de vos adversaires et de leur présence, vous appreniez que ceux-ci vous consentent à traverser une ligne d’eau, faites en sorte de vous poster de manière à pouvoir attaquer ses forces alors que seule la moitié de celle-ci l’aura traversé.
Près des rivières mêmes tenez toujours les hauteurs australes, jamais en aval et éloignez-vous des cours d’eau.
Voici pourquoi, si vous devez passer une ligne d’eau, ne le faites jamais en présence de l’ennemi et éloignez-vous-en pour établir votre campement.
– De la topographie : Marais et zones humides
Ces lieux sont malsains et doivent être évités ou traversés au plus vite. En cas d’affrontement sur ces zones marécageuses, il convient alors de se tenir aux bords à proximité d’herbes aquatiques et dos à la forêt en se gardant bien de s’engager trop avant.
– De la topographie : Terrain plat
Si vous êtes en plaine dans des lieux unis et secs, ayez toujours votre gauche à découvert votre flanc droit étant plus vulnérable (le bouclier se portant à gauche). En face, un terrain à découvert ; flanqué à droite et adossé sur ses arrières par des éminences surplombants le lieu ; champ de bataille en avant, arrières assurés – lieux de mort au-devant, lieux de vie et de secours en cas d’extrême nécessité à l’arrière.
Tels sont les avantages des différentes formes de contraintes topographiques pour se déployer et établir ses campements ; connaissances précieuses, d’où dépend la plus grande partie des succès militaires. C’est en particulier parce qu’ils possèdent ces connaissances que les meilleurs stratèges gagnent des victoires.
Il faut donc en conclure les règles suivantes :
– Que les terrains élevés et bien ensoleillés sont en général plus salutaires aux troupes que les lieux bas et profonds. Cette disposition garantit une meilleure salubrité et une plus grande solidité. Vallons et montagnes sont aussi des remparts protecteurs et salvateurs pour qui veut sécuriser son flanc le plus vulnérable et ménager ses arrières.
– De l’eau : Il faut se rappeler des avantages et inconvénients que les lignes d’eau procurent en marge d’un campement ou lors d’une progression. Tenir une position haute, c’est maîtriser la source plus pure d’un torrent pour ses gués plus fréquents et des risques de crus moins conséquents.
Il faut laisser à vos adversaires les courants plus puissants en aval et ses eaux troubles et turbides. En montagne, la conjonction des eaux et d’une topographie accidentée favorisent l’occurrence de crues puissantes avec ses pièges : torrents à pic ; puits, filets, prisons, fosses et crevasses célestes.
« Les eaux furieuses des montagnes escarpées sont des ‘torrents à pic’. Un endroit entouré en hauteurs présentant au centre un terrain en contrebas est appelé « puits céleste ». Lorsque franchissant des montagnes, on se trouve dans un passage ressemblant à une cage couverte, c’est une « prison céleste ». Les endroits où les troupes peuvent être prises au piège et se voir couper la route s’appellent « filets célestes ». Un affaissement du sol est un « piège céleste ». Lorsque les gorges d’une montagne sont étroites et la route effondrée sur plusieurs dizaines de pieds, vous avez à faire à une « crevasse céleste ». (commentaires de Ts’ao Ts’ao)
Lorsque la nécessité ou le hasard vous y aura conduit, tenez-vous à l’écart de tels lieux sans pour autant négliger d’y conduire vos adversaires en s’y plaçant de telle manière que ces derniers s’y adossent.
– Pour ce qui est des défilés et des lieux entrecoupés par des précipices et par des rochers, des lieux marécageux et glissants, des lieux étroits et couverts comme des montagnes – paysages de collines et vallons -, espaces boisés couverts d’épaisses broussailles enchevêtrées : il faut procéder à des repérages méticuleux, ce sont là des lieux d’embuscades qu’affectionnent aussi les yeux de vos adversaires. Défiez-vous-en; soyez dans une attention continuelle.
Si vous en êtes loin, n’en approchez pas; si vous en êtes près, ne vous mettez pas en mouvement que vous n’ayez fait reconnaître tous les environs. En cas d’affrontement, faites en sorte qu’il ait tout le désavantage du terrain de son côté et ne vous engagez que lorsqu’il sera à découvert.
Si ceux de vos forces avancées que vous avez envoyés à la découverte vous font dire que l’adversaire est proche et se tien coi : il compte sur sa position stratégique. Loin et provoquant : il attire à lui. Il prend position sur un lieu dégagé : il cache quelque atout. Les arbres sont en mouvement, quoique par un temps calme, concluez que l’ennemi est en marche. De nombreux obstacles sont placés parmi les herbes et les broussailles : c’est une ruse et il se camoufle. Les oiseaux s’envolent : une embuscade se prépare. Les colonnes verticales de poussière signalent l’approche de chars alors que celles basses et évasées, une armée de fantassins. Quand les grands animaux fuient : une embuscade ou une offensive générale est proche.
Tels sont les indices généraux dont vous devez tâcher de profiter, tant pour savoir la position de ceux avec lesquels vous devez vous mesurer que pour faire avorter leurs projets, et vous mettre à couvert de toute surprise de leur part.
En voici quelques autres auxquels vous devez une plus particulière attention : Si tirer parti de chaque situation implique que vous soyez éclairé des démarches de vos adversaires grâce à vos vigies et forces avancés de distance en distance, il est tout aussi important que vos espions soient dans la place, jusque sous la tente de leur général.
– Lorsque ceux de vos espions qui sont près du camp des ennemis vous feront savoir qu’on y parle bas, tenant d’humbles discours de manière mystérieuse ; retenus dans tous leurs discours, concluez qu’ils pensent à une action générale, et qu’ils en font déjà les préparatifs : allez à eux sans perdre de temps. Ils veulent vous surprendre, surprenez-les vous-même.
– Si vous apprenez au contraire qu’ils sont ostentatoires et démonstratifs ; bruyants et hautains dans leurs discours, soyez certain qu’ils pensent à la retraite et qu’ils n’ont nullement envie d’en venir aux mains.
– Lorsque ses envoyés parlent en termes flatteurs, l’ennemi souhaite obtenir une trêve.
– Ses intercesseurs demandent une trêve sans entente préalable ou pourparlers : il complote. Gardez-vous bien d’écouter alors les propositions de paix ou d’alliance qu’ils pourraient vous faire, ce ne serait qu’un artifice de leur part.
– Lorsqu’on vous fera savoir qu’on a vu quantité de chars vides précéder leur armée, préparez-vous à combattre, car les ennemis viennent à vous en ordre de bataille.
– S’ils font des marches forcées, c’est qu’ils croient courir à la victoire; s’ils vont et viennent, s’ils avancent en partie et qu’ils reculent autant, c’est qu’ils veulent vous attirer au combat ou vous tendre un piège.
– Si passant près de quelque rivière, ils courent tous en désordre pour se désaltérer ou que les soldats de corvée d’eau se servent avant les autres c’est qu’ils ont souffert de la soif ; si leur ayant présenté l’appât de quelque chose d’utile pour eux, sans cependant qu’ils aient su ou voulu en profiter, c’est qu’ils sont las ou qu’ils ont peur ; s’ils n’ont pas le courage d’avancer, quoiqu’ils soient dans les circonstances où il faille le faire, c’est qu’ils sont dans l’embarras, dans les inquiétudes et les soucis.
– Le vol des oiseaux ou les cris de ceux-ci peuvent vous indiquer la présence d’embuscades invisibles. Un camp ou les oiseaux se posent est vide.
– Si vous apprenez que, dans le camp des ennemis, il y a des festins continuels, qu’on y boit et qu’on y mange avec fracas, soyez-en bien aise; c’est une preuve infaillible que leurs généraux n’ont point d’autorité.
– Si leurs étendards changent souvent de place, c’est une preuve qu’ils ne savent à quoi se déterminer, et que le désordre règne parmi eux.
– Si les soldats se groupent continuellement, et chuchotent entre eux, c’est que le général a perdu la confiance de son armée. L’excès de récompenses et de punitions montre que le commandement est au bout de ses ressources, et dans une grande détresse; si l’armée va même jusqu’à se saborder et briser ses marmites, c’est la preuve qu’elle est aux abois et qu’elle se battra jusqu’à la mort.
– Si leurs officiers subalternes sont inquiets, mécontents et qu’ils s’emportent facilement, c’est une preuve qu’ils sont ennuyés, excédés ou accablés sous le poids d’une fatigue inutile.
– Si dans différents quartiers de leur camp on tue furtivement des chevaux, dont on permette ensuite de manger la chair, c’est une preuve que leurs provisions sont sur la fin. Si ces faits se produisent dans votre camp, hâtez-vous d’y mettre ordre.
Gouvernance : De la discipline et du régalien :
– Être obligé de faire preuve de la plus grande cruauté et d’user de violence envers ses propres hommes pour ensuite les craindre en retour est d’avoir atteint l’extrême limite de la discipline est la marque d’une grande incompétence.
– Veillez aussi sur vos propres troupes, ayez l’œil à tout, sachez tout, empêchez les vols et les brigandages, la débauche et l’ivrognerie, les mécontentements et les cabales, la paresse et l’oisiveté.
– Si vos troupes paraissent pauvres, et qu’elles manquent quelquefois d’un certain petit nécessaire; outre la solde ordinaire, faites-leur distribuer quelque somme d’argent, mais gardez-vous bien d’être trop libéral ; l’abondance d’argent est souvent plus funeste qu’elle n’est avantageuse et plus préjudiciable qu’utile; par l’abus qu’on en fait, elle est la source de la corruption des cœurs et la mère de tous les vices.
– Si vos soldats – audacieux qu’ils étaient auparavant -, deviennent timides et craintifs, si chez eux la faiblesse a pris la place de la force, la bassesse, celle de la magnanimité, soyez sûr que leur cœur est gâté ; cherchez la cause de leur dépravation et tranchez-la jusqu’à la racine.
– Si, sous divers prétextes, quelques-uns vous demandent leur congé, c’est qu’ils n’ont pas envie de combattre, ne les refusez pas tous; mais, en l’accordant à plusieurs, que ce soit à des conditions honteuses.
– S’ils viennent en troupe vous demander justice d’un ton mutin et colère, écoutez leurs raisons, ayez-y égard ; mais, en leur donnant satisfaction d’un côté, punissez-les très sévèrement de l’autre.
– Si, lorsque vous aurez fait appeler quelqu’un, il n’obéit pas promptement, s’il est longtemps à se rendre à vos ordres, et si, après que vous aurez fini de lui signifier vos volontés, il ne se retire pas, défiez-vous, soyez sur vos gardes.
En un mot, la conduite des troupes demande des attentions continuelles de la part d’un commandant. Sans quitter de vue l’armée des ennemis, il faut sans cesse éclairer la vôtre.
– Sachez lorsque le nombre des ennemis augmentera, soyez informé de la mort ou de la désertion du moindre de vos soldats.
– Si l’armée ennemie est inférieure à la vôtre, et si elle n’ose pour cette raison se mesurer à vous, allez l’attaquer sans délai, ne lui donnez pas le temps de se renforcer ; une seule bataille est décisive dans ces occasions. Mais si, sans être au fait de la situation actuelle des ennemis, et sans avoir mis ordre à tout, vous vous avisez de les harceler pour les engager à un combat, vous courez le risque de tomber dans ses pièges, de vous faire battre, et de vous perdre sans ressource.
– Si vous ne maintenez une exacte discipline dans votre armée, si vous ne punissez pas exactement jusqu’à la moindre faute, vous ne serez bientôt plus respecté, votre autorité même en souffrira, et les châtiments que vous pourrez employer dans la suite, bien loin d’arrêter les fautes, ne serviront qu’à augmenter le nombre des coupables.
Or si vous n’êtes ni craint ni respecté, si vous n’avez qu’une autorité faible, et dont vous ne sauriez vous servir sans danger, comment pourrez-vous être avec honneur à la tête d’une armée ? Comment pourrez-vous vous opposer aux ennemis de l’État ?
– Quand vous aurez à punir, faites-le de bonne heure et à mesure que les fautes l’exigent. Quand vous aurez des ordres à donner, ne les donnez point que vous ne soyez sûr que vous serez exactement obéi.
– Instruisez vos troupes, mais instruisez-les à propos; ne les ennuyez point, ne les fatiguez point sans nécessité; tout ce qu’elles peuvent faire de bon ou de mauvais, de bien ou de mal, est entre vos mains.
En matière martiale, le grand nombre seul ne confère pas l’avantage ; n’avancez jamais en comptant sur la seule puissance militaire. Une armée composée des mêmes hommes peut être très méprisable commandée par tel général, tandis qu’elle sera invincible commandée par tel autre :
– Savoir être prévoyant et savoir correctement estimer la situation en concentrant ses forces pour attirer à soi vos adversaires au moment propice et à l’endroit voulu.
– Savoir ne jamais sous-estimer votre adversaire.
– Savoir gagner le cœur des hommes en les enflammant d’une ardeur combative.
– S’assurer d’une discipline sans faille ; d’instructions claires et justifiées ; d’ordres efficaces et parfaitement exécutées, afin d’éviter désobéissances et indiscipline car :
« on éduque les hommes par les institutions civiles, on les soude par la discipline militaire. »
(Traduction et interprétation de Jean Lévi)
Ainsi, les instructions et les ordres étant en toutes circonstances justifiés seront parfaitement exécutés formant un liant naturel de confiance entre dirigeants et subordonnés.
Telles sont les attentions que vous devez à toutes les démarches, tant les vôtres que celles de vos adversaires.
Une telle minutie dans les détails peut paraître superflue, mais elle procède d’un constat : que rien de tout ce qui peut contribuer à vous faire triompher n’est négligeable.
Fin du chapitre IX
____________________________
Découvrir l’auteur et la collection stratégique Maîtres & Dirigeants
Deux ouvrages pour développer sa pensée et ses réflexes stratégiques
© 2020 – Arcana Strategia (arcanastrategia.com)
________________________
Pour plus d’informations sur l’Art de la Gouvernance et l’Intelligence Stratégique (dirigeant stratège) et la Sécurité Economique :