Cellules stratégiques : l’Art de maîtriser la déception

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Comités Stratégiques : L’anticipation des menaces n’est pas un art divinatoire. La gestion des risques implique d’être constamment informé des réalités du terrain. Une gouvernance éclairée en matière de stratégie se différencie par sa capacité d’anticipation et d’adaptation aux aléas du temps.

Une réalisation ne dépasse celle du commun que par la capacité d’anticipation, de prévision. Le recueil d’informations préalables ou prévisions n’est ni le fruit de quelconques conjectures divinatoires ni celui de prédictions tirées d’analogies trompeuses de précédents historiques.

La capacité de prévision ne provient uniquement que des hommes renseignés connaissant la situation de l’adversaire qui, par leurs rapports fidèles vous informent des dispositions de celui-ci.

Sun Tzu – Chapitre XIII

Pour cela, tout dirigeant ou commandant doit avoir prévu une organisation adaptée et des compétences spécialisées – spécialisations à la fois rares et souvent ‘non-conventionnelles’ – rompues à la collecte du renseignement, à son analyse et à une culture d’entreprise préparée aux pratiques et méthodes managériales de rupture et d’anticipation.

Une arme est toujours chargée… La paix est une bataille quotidienne.

Chacun le sait, le coût du risque n’est pas le danger inhérent aux hasards de la vie mais notre impréparation à sa survenance. Ignorance, déni, incompétence ou négligence sont les caractéristiques principales du fertile terreau le plus favorable à la gravité des impacts des menaces non-décelées. Aucune doctrine de ‘conformité’ ni règlement – process dogmatiques par excellence – ne peuvent prévenir à elles seules une série d’évènements anodins (signaux faibles) dont les conséquences sous-jacentes cumulées provoqueront dans le temps une situation brutale et périlleuse. Ce sont les combinaisons et les mutations imprévisibles par nature qui engendrent les ‘cygnes noirs’ et les déceptions les plus brutales.

Sapiens et l’Art de maîtriser la déception

De la Mètis des Grecques aux Annales de Tacite ou du recueil en huit livres de stratagèmes de Polyen jusqu’au plus connu de tous, Le Prince de Machiavel, l’humanité n’a cessé de chercher des modèles de domination pérenne, d’anticipation et de contrôle des facteurs de risques et de menaces ; d’abord de nature divinatoire dans l’observation et l’interprétation de signes distinctifs et répétitifs au sein de l’ordre naturel (signes, présages et traces), puis progressivement au sein de l’ordre humain dans le cadre d’expertises techniques, de supputations tactiques et de savantes conjectures basées sur la connaissance et l’observation des Hommes.

En cela, que ce soit les quelques maîtres stratèges de la chine ancienne – dont le Sun Tzu, le Wou-tseu, le Ho-Kouan-tseu et les 36 stratagèmes parmi bien d’autres – le constat historique reste séculaire dans la mesure où toutes ces écoles de pensée composent les bases de toutes les cultures stratégiques. Dans ce creuset historique, elles sont encore aujourd’hui la quintessence opérante d’une efficace stratégique dans sa valeur absolue : Un Art de la gouvernance par l’anticipation.

« Les habiles guerriers ne trouvent pas plus de difficultés dans les combats, car ils font en sorte de remporter la bataille sans péril après avoir créé les conditions appropriées.

Les victoires se remportent sans errements, en s’assurant de vaincre un ennemi affaibli et déjà défait car, ce que ne comprend pas le commun est qu’une victoire puisse être obtenue avant que la situation ne se soit cristallisée. »

Sun Tzu – Chapitre IV

Les raisons derrière l’institutionnalisation régalienne de la pensée stratégique : la cartographie de la domination

La culture stratégique a été de tous temps et au premier chef portée à la connaissance des princes, dirigeants et haut fonctionnaires ‘divins’ des Royaumes bellicistes de l’époque médiévale. Certains rois et princes politiquement ambitieux mais philosophiquement avisés comprenaient que l’exercice du pouvoir ne pouvait se concevoir de manière pérenne par la seule force brutale et l’engagement onéreux d’hommes et de matériels dans des guerres prolongées. Le conflit étant d’une certaine manière perçu comme un aveu d’échec par l’incapacité politique des états à négocier une concorde avantageuse ou une alliance stratégique.

Sun Tzu - Cartographie chinoise ancestrale

Outre l’économie d’un engagement fratricide, les guerres médiévales évoluent progressivement dans leurs préparations grâce aux premières restitutions précises de cartographies territoriales des royaumes dont les contours permettaient d’apprécier la topographie, les distances relatives mais aussi et surtout, les limites. Passés maîtres dans la capacité à restituer visuellement l’étendue physique et patrimoniale des fiefs de leurs princes, les cartographes chinois rivalisaient aussi de savoir faire quand il s’agissait de vendre leurs compétences à d’autres royaumes en leur proposant les cartes de leurs anciens seigneurs. Si la carte n’est pas le territoire, elle recèle à elle seule les renseignements essentiels en amont de toute entreprise conquérante. Les cartes étaient ainsi partagées dans le plus grand secret parmi les princes entre militaires, stratèges et conseillers politiques. Les premiers comités stratégiques pouvaient enfin matérialiser leurs positions offensives ou défensives en amont de leurs interventions bellicistes ou diplomatiques. Calculs et supputations pouvaient ainsi être plus facilement partagés selon les compétences techniques de chacun.

Du temple ancestral aux cellules stratégiques modernes

L’action se prépare donc avant tout à cette époque au sein des arcanes du ‘temple ancestral’ où se décide le juste moment de l’action punitive ou régulatrice (arbitrale). Haut lieu du renseignement, le ‘temple’ – cœur de l’état stratège ou templum dans sa terminologie antique – évolue dans le temps pour devenir le premier rempart ‘raisonné’ du prince face aux tentations périlleuses d’une guerre sans issue et aux risques d’une défaite frontale et d’un gâchis humain et matériel inutile. On n’écarte pas les risques, on apprend à les diminuer.

En anticipant l’espace tactique de l’adversaire et en se préparant à des manœuvres favorisées par une topographie territoriale avantageuse ou dangereuse, on ajuste au mieux ses propres défenses et ses ressources humaines et matérielles. Armé et investi d’une juste connaissance de ses propres capacités, on pare ainsi aux conjectures les plus funestes.

Les composantes majeures d’une cellule stratégique

Aujourd’hui appelés ‘Comités stratégiques’ (ou cellule) dans le privé au ‘Conseils de défense’ pour le public, ces appellations sont de nos jours les formes modernes de ces premiers centres névralgiques. De tous les temps, une cellule stratégique possède les attributs suivants : Un regroupement intelligent de personnes aux compétences complémentaires bénéficiant de renseignements solides avec pour seul but de favoriser une position collective dans le temps ; domination pour les uns, notoriété, prestige ou autorité pour les autres. Que ce soit à l’échelle d’un pays ou d’une entreprise, les méthodes d’analyses restent les mêmes même si les composants cartographiés émanent de renseignements plus ou moins riches selon les sources ou les objectifs requis.

Cellule stratégique et war room
De la Cellule Stratégique au War Room

Chaque entreprise se doit de posséder son comité stratégique

C’est un prérequis à toute action maîtrisée. Mais une confusion règne dans de nombreuses structures équipées de comités de direction – ou ‘ comités exécutifs’ – dont les compétences et fonctions ne sont pas comparables aux cellules stratégiques – non-conventionnelles pas essence. Les différences sont nombreuses, car les cellules stratégiques les plus performantes n’intègrent jamais dans un premier temps les contraintes financières dans leurs analyses prospectives. Ce sont les objectifs, les ambitions ou les opportunités qui conditionnent les levées de fonds et non le contraire…

Enfin, une cellule stratégique a pour fonction prioritaire de déceler les risques mais aussi à identifier les bruits favorisants la confusion, les doutes et les déceptions. En cela, elle balise et clarifie la voie commune avant tout engagement.

L’anticipation et l’adaptation sont les deux valeurs génétiques fondamentales derrière chaque cellule stratégique. De nos jours, les plus importants investissements sont portés sur la maîtrise des aléas et des opportunités par le recours massif au recueil de data numérique. Toutes ces recherches actuelles en matière d’intelligence artificielle n’ont qu’un but : Maîtriser l’avenir pour en assurer la conduite, afin de mieux servir les hommes ou de les asservir… Il en va à chacun d’en discerner la différence d’où l’importance de savoir s’armer soit pour se renforcer, soit pour s’en défendre, car si les empires d’hier se sont façonnés grâce à ces renseignements cartographiés, les cartographes des temps modernes de la Silicon Valley ont eux, bien appris leurs leçons de calcul – calculs algorithmiques bien sûr, car pour dominer il ne suffit pas de recueillir l’information, il faut avant tout savoir la contrôler.

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Jérôme Gabriel

Conseil stratégique auprès des dirigeants de PME-PMI, Jérôme Gabriel est le fondateur du cabinet Arcana Strategia spécialisé dans l’appui opérationnel aux sociétés en phase de reconversion d’activités, en recherche de croissance ou en transition difficile. Rompu à des méthodes managériales de rupture et d’anticipation (Programme "l'Entreprise Stratégique"), il intervient dans le cadre de missions d'appuis stratégiques en renfort des gouvernances stratégiques et en gestion des risques (sûreté-sécurité économique). Expert d’état nominé en Intelligence Économique et en Protection des Entreprises, Jérôme Gabriel a publié plusieurs ouvrages dédiés à la Gouvernance Stratégique et à l’Art de la Guerre de Sun Tzu dont il a élaboré plusieurs programmes de formations immersives adaptés aux nouveaux enjeux économiques disruptifs de 2021 (PME de Combat 2021 – La Doctrine Sun Tzu – Management de Guerre et Managers de l’Ombre).

6 réponses à “Cellules stratégiques : l’Art de maîtriser la déception

  1. MERCI POUR CE POST. UN PEU LONG POUR MOI.
    DIEU NOUS DIT TROIS FOIS LES CHOSES.
    OU NOUS AVONS L’INTUITION DE…TROIS FOIS.
    DANS SA GRANDE BONTÉ LES 2 PREMIERS “AVERTISSEMENTS”, SONT GRATUITS.
    LE TROISIÈME ET ULTIME AVERTISSEMENT, NOUS CRÉE UNE DOULEUR, PHYSIQUE OU PSYCHIQUE POUR NOUS AVERTIR QUE NOUS SOMMES SUR LA MAUVAISE VOIE.

    SI ON N’ÉCOUTE PAS, RESTE PLUS QU’À ATTENDRE !

    😀 BONNE JOURNÉE

  2. Votre article tombe a pic et semble tellement adaptable à nos pauvres conseillers fédéraux et nos fonctionnaires dont l’incompétence semble de plus en plus avérée!
    L’anticipation des menaces n’est pas un art divinatoire mais une compétence que l’on acquiert par de l’expérience, et de multiples compétences permettant d’anticiper !
    La gestion des risques implique d’être constamment informé des réalités du terrain, ce qui n’est pas le cas de la Suisse en ce qui concerne cette pandémie puisque nos services secrets ont reçu l’information de la part de Taiwan en novembre 2019! qu’ils n’ont pas su la remonter et la traiter comme il se devait, et que finalement l’OFSP et le conseil fédéral in-corpore informé n’a pas eu la compétence pour anticiper !

    1. Bonjour Max, je confirme pour nos ‘services’ réciproques… Mais il ne faut pas toujours les blâmer car si ces derniers proposent, ce sont les politiques qui disposent. A la différence de Taiwan qui possède une Task Force depuis 2014 et dont la réactivité dès janvier (suite à une remontée d’information renseignée en décembre par l’un de leurs concitoyens) a été considérée comme prioritaire par les autorités de ce pays – ce pays qui est (rappelons le) en guerre. Il n’y a pas de chinoiseries chez les Taiwanais. 🙂
      Merci Max pour votre expérience que je partage. Au plaisir de vous lire.

  3. Cher Monsieur, je suis heureux de vous lire à chaque fois.
    Votre analyse de la cellule stratégique, appliquée à l’entreprise est remarquable à plus d’un titre puisqu’elle devrait aussi s’appliquer dans la gouvernance de notre Etat et à certains sujets de votation comme le E-identité.
    Ce qui rejoint aussi la remarque de Max.
    Enfin sur le sujet de la maitrise de l’avenir, aidée par l’intelligence artificielle, nous pouvons le projeter sur « le contrôle par l’état des données des citoyens » qui n’a effectivement qu’un but : Maîtriser l’avenir pour en assurer la conduite, dans un but non pas de mieux servir les hommes mais plutôt de les asservir.
    Je fais allusion à la prochaine votation sur l’E-identité voulue par une caste de politiciens désirant maitriser certains risques comme celui de la contradiction par le peuple, de son contrôle, comme on peut le voir à HongKong que je connais bien …
    Donc pour reprendre vos termes, Il en va donc à chacun d’en discerner la différence d’où l’importance de savoir s’armer pour renforcer l’individu même contre hyper-ingérence de l’Etat, soit alors se laisser asservir par ce genre de E-identité.

    1. Merci encore Romuald pour la justesse de vos propos – flatteurs mais surtout encourageant. Je sens une grande expérience du sujet et des réflexions menées sur le sujet. Je garde précieusement votre commentaire en appui. Belle journée et au plaisir de vous lire encore !

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