L’Art de Conduire les Hommes face au Péril : Les Secrets du Management de Crise et de la Gestion des Risques.
Initialement transcrit sur des lattes de bambou au cours du quatrième siècle avant notre ère, le Sun-tzu Bingfa – retranscrit pour la première fois en 1910 par Lionel Giles en ‘Art de la Guerre de Sun Tzu’ (Sun Tzu – On the Art of War : The oldest military treatise in the world) – possède à lui seul une génétique multiple.
Traité de stratégie et de tactique dans ses dominantes majeures, il est aussi l’un des plus riches condensé pratique dans l’art de commander [manager] des Hommes dans le cadre d’une entreprise à risque ou faisant face à un péril ; autrement dit : la Gestion des risques et le Management de Crise.
Il reste cependant que la cohérence globale de ce traité ‘militaire’ doit nous porter invariablement sur les meilleures pratiques de la conduite des Hommes face au risque avant celle d’une armée face au péril ; car ici, les meilleures qualités d’un Chef se jaugent dans ses capacités d’anticipation et son organisation préparatoire face aux pires situations. Le Chef est donc celui qui a prévu une vigie afin d’anticiper le pire par des capacités avancées à identifier les menaces ; en s’y préparant afin d’éviter ou d’empêcher les funestes conséquences de leurs survenances.
Néanmoins, dans le cadre d’un groupe, un certain nombre de facteurs viennent renforcer ou diminuer la résilience collective face à l’inévitable quand celui-ci n’a pas été anticipé par ignorance ou écarté par déni collectif. Il en ressort alors un libre champ aux menaces de surgir et de frapper comme une forêt s’embrase à partir d’un simple départ de feu parce qu’à défaut d’intervenir rapidement sur les lieux, aucun contre-feu n’a été prévu… En cela, c’est un long travail collectif au travers d’institutions préparées et résilientes qui favorise les défaites ou les victoires. Il est ainsi écrit :
Vous reconnaîtrez parmi ceux dont les institutions sont les meilleures et celui qui, des antagonistes, a le plus de chance de l’emporter ; et si vous devez entrer vous-même en lice, vous pourrez raisonnablement vous flatter de devenir victorieux.
Conduire ses Troupes : Les Dix Commandements d’une Gouvernance de Crise
De la Doctrine et des Institutions
‘La force d’une institution dans ses croyances, ses valeurs communes et ses mœurs.’
On ne mobilise pas une communauté sans de solides convictions assorties d’objectifs clairs et rassembleurs et des institutions compétentes, justes et préparées car, une conquête victorieuse ne peut avoir pour ressort principal qu’une doctrine politique déterminée, raisonnée et maîtrisée.
La doctrine politique fait naître l’unité de pensée ; L’harmonie est la cohésion des valeurs partagées entre la population et ses dirigeants, supérieurs et inférieurs ; elle inspire la confiance de ces derniers à partager un même destin avec leurs chefs dans la vie comme dans la mort.
Ici, le terme ‘doctrine’ peut aussi être interprété par ‘idéologie’ ou ‘force morale’. La force d’une nation se reflète au travers de valeurs communes essentielles au confucianisme teinté de légisme (ou légalisme) – telle une colonne vertébrale vertueuse -, partagées par un peuple et ses institutions. Ces valeurs fondamentales sont : « la responsabilité avant la liberté, le devoir avant les droits, la communauté avant l’individu, l’harmonie avant le conflit. » Les concepts suivants illustrent ces valeurs et ces facteurs comme un Tout essentiel à la bonne prédisposition et à la conduite d’une entreprise (engagement-projet). Une maxime illustre ce concept : « Qui a confiance, ni ne craint, ni ne trahit. »
Du Commandement et de l’Organisation interne
Le commandement : extension naturelle du domaine doctrinal dans sa pratique, reflète les qualités essentielles d’une autorité à toutes les échelles de ses institutions dans la gouvernance de ses sujets. Ce sont aussi les cinq vertus confucéennes principales de sagesse, probité, humanité, courage et rigueur. La notion de ‘sévérité’ est le pivot légiste nécessaire dans toute organisation – surtout militaire -, afin d’imposer la discipline collective et le respect par la crainte d’un châtiment.
Il faut entendre par commandement les qualités de sagesse et d’humanité, d’impartialité et de sévérité, de courage et de résolution envers ceux qui nous sont soumis. Vertus essentielles pour l’acquisition desquelles le général et ses commandants ne doivent rien négliger.
Un général habile regarde son armée comme un seul homme qu’il se charge de conduire, car il lui incombe de rassembler ses troupes pour les jeter au cœur du danger. Un maître de guerre réuni ainsi ses troupes parce qu’elles ne peuvent faire autrement.
Une armée peut connaître six infortunes : la fuite, l’insubordination, l’enlisement, l’effondrement, la confusion et la déroute, mais aucun de ces désastres ne peut être attribué à des causes naturelles ; sinon aux seules erreurs de commandement :
- Il commande par ignorance des manœuvres d’avance et de recul impraticable ou au moment inopportun ;
- Il trouble l’esprit des officiers et les désoriente en s’imposant dans l’administration des trois armes alors qu’il en ignore tout ;
- Il sème la défiance et démoralise les hommes en cherchant à s’immiscer dans la répartition des rangs, ignorant les compétences et la distribution des responsabilités sans ne rien connaître à l’exercice du commandement.
Lorsque le général est moralement faible et son autorité manque de rigueur, que ses ordres ne sont pas éclairés ou suffisamment précis, ni appuyés par des règles de commandement fermes, l’armée est désorientée et confuse.
De la Méthode : Tactique et Stratégie
Un objectif et 1000 méthodes pour y parvenir. Le Sun Tzu nous apprend à intégrer la relativité de ces deux termes car, face à une crise ou la survenance d’un risque, la ‘grande stratégie’ ploie comme un roseau devant l’urgence d’un impact imminent. Alors une organisation doit faire montre de flexibilité et réadapter ses compétences opérationnelles aux priorités d’urgence. Les compétences managériales doivent évoluer avec les situations.
Il y a déroute quand le général oppose des troupes faibles face à des fortes, des effectifs insuffisants face à des forces importantes ou omet de positionner ses troupes de choc à l’avant-garde.
L’usage judicieux des forces conventionnelles et non-conventionnelles dans leurs emplois combinés d’actions tactiques régulières et subversives, permet aux combattants d’une armée de mieux absorber les chocs adverses et de soutenir sans défaite les attaques ennemies. La connaissance du vide et du plein leur confère, au point d’impact, la force maîtrisée d’une meule écrasant des œufs.
Le stratège maîtrise ces forces et sait user de moyens réguliers et conventionnels au moment de l’engagement et recourir aux forces non-conventionnelles et aux moyens extraordinaires pour remporter la victoire.
De la Psychologie : Du Moral & du Mental des Troupes
Du moral des troupes : les conditions d’unité préservées.
On traverse les épreuves avec l’espoir de jours meilleurs ; crises et menaces, dangers et souffrances sont le prix de la valeur des conditions de paix durables ; encore faut-il savoir motiver ses troupes en gagnant leurs cœurs et en les enflammant d’une ardeur combative.
Un pays dont l’armée est désemparée et traverse une crise de confiance sera victime de tentatives de subversion de la part de ses rivaux. C’est là le sens du proverbe : « la confusion et le désordre dans une armée offre la victoire à l’adversaire. »
Quand, sans avantage stratégique particulier, on combat à un contre dix, il y aura fuite ;
Lorsque les troupes sont fortes et les officiers faibles, il y aura désobéissance et insubordination ;
Lorsque les officiers sont courageux et les troupes inefficaces, l’armée connaît la détresse ;
Le Sun Tzu propose une gouvernance à la fois ferme et souple qui caractérise l’approche confucéenne à la gestion éclairée d’une Nation par son prince : une forme de combinaison raisonnée de bienveillance et de discipline. On peut y ajouter : « Tirez-les promptement de cet état d’assoupissement et de léthargie, donnez-leur des festins, faites-leur entendre le bruit du tambour et des autres instruments militaires. Donnez-leur des occupations, exercez-les, faites-leur faire des évolutions, menez-les même dans des lieux difficiles, où elles aient à travailler et à souffrir. Il faut savoir les charger, mais non pas jusqu’à les accabler ; il faut même les forcer, mais avec discernement et mesure. » Pendant les trêves, on stimule le moral et l’ardeur des troupes en s’assurant qu’elles soient bien nourries et reposées.
De la Discipline : De l’Instruction à l’Exécution
là où la discipline est la mieux respectée et les instructions les mieux exécutées…
– lorsque les officiers supérieurs sont furieux et insubordonnés et que, face à l’ennemi ils se précipitent aveuglément sans attendre les ordres dans la bataille, sans réfléchir aux conséquences, l’armée s’effondre ;
– S’assurer d’une discipline sans faille ; d’instructions claires et justifiées ; d’ordres efficaces et parfaitement exécutées, afin d’éviter désobéissances et indiscipline car, on instruit les hommes par les institutions civiles, on les unit par la discipline militaire.
– Si vous ne maintenez une exacte discipline dans votre armée, si vous ne punissez pas exactement jusqu’à la moindre faute, vous ne serez bientôt plus respecté, votre autorité même en souffrira, et les châtiments que vous pourrez employer dans la suite, bien loin d’arrêter les fautes, ne serviront qu’à augmenter le nombre des coupables.Or si vous n’êtes ni craint ni respecté, si vous n’avez qu’une autorité faible, et dont vous ne sauriez vous servir sans danger, comment pourrez-vous être avec honneur à la tête d’une armée ? Comment pourrez-vous vous opposer aux ennemis de l’État ?
De l’Entraînement : le Conditionnement aux Bons Réflexes
La coordination des Corps (signaux – communication), l’entraînement et la logistique (approvisionnements) sont ces ‘détails’ qui jusqu’aux plus petits rouages d’une organisation font souvent toute la différence.
On évalue l’armée la plus puissante par la compétence de ses chefs, les hommes les mieux entraînés et les plus aguerris.
La qualité d’une organisation procède au premier chef des qualités humaines de ses commandants dans la chasse constante à toutes nuisances qualitatives face aux différents types de risques : oubli, déni, indifférence, incompétence, ignorance et négligence. Prévoyance, sécurité et sûreté ne sont pas des coûts intermittents, mais des investissements vitaux pour une collectivité. “They say that nobody is perfect. Then they tell you practice makes perfect. I wish they’d make up their minds.” (Winston S. Churchill)
Des Récompenses et des Châtiments
L’armée qui possède le système de récompenses le plus efficace sait aussi sanctionner avec le plus de discernement.
L’excès de récompenses et de punitions montre que le commandement est au bout de ses ressources, et dans une grande détresse ; si l’armée va même jusqu’à se saborder et briser ses marmites, c’est la preuve qu’elle est aux abois et qu’elle se battra jusqu’à la mort.
En incitant la rage, le général incite ses hommes à commettre des massacres et des destructions inutiles. Préférez l’appât du gain par la promesse de récompenses en les incitant à attaquer l’ennemi pour s’emparer de ses ressources. L’ennemi est ainsi pillé et appauvri par convoitise de ses richesses.
Pour les grands généraux, les usages protocolaires et les codes n’ont guère de place quand il s’agit de dispenser les récompenses à la hauteur des ordres exceptionnels demandés aux hommes au-delà de la discipline ordinaire. La reconnaissance des valeurs est souvent le chaînon manquant de nombre de Dirigeants.
Du Renseignement
On ne se prépare pas sans renseignements préalables…
Être plusieurs années à faire face à des ennemis dont on ignore les desseins et la situation en reportant constamment les actions décisives parce que le général rechigne à accorder les moyens nécessaires à favoriser et recueillir des renseignements, alors ce général est un monstre d’inhumanité qui ne mérite ni de commander une armée ni de seconder son souverain.
L’armée ayant pour elle l’avantage des connaissances des conditions du temps (météorologie) et de l’espace (terrain) les plus favorables pour engager les mouvements et choisir les itinéraires les plus adéquats.
Un Général stratège doit connaître parfaitement le terrain et sa topographie avant d’y conduire son armée ; afin d’en tirer parti au mieux il recourt aux services de guides locaux et d’éclaireurs. Qui néglige un seul de ces points, n’est pas digne de conduire une armée.
C’est en cela qu’on reconnaîtra en vous la puissance dans votre art de créer et d’exploiter chaque configuration tactique en employant les justes forces en qualité et en quantité.
Commencez par vous mettre au fait de tout ce qui concerne les ennemis ; sachez exactement tous les rapports qu’ils peuvent avoir, leurs liaisons et leurs intérêts réciproques ; n’épargnez pas les grandes sommes d’argent ; n’ayez pas plus de regret à celui que vous ferez passer chez l’étranger, soit pour vous faire des agents locaux, soit pour vous procurer des connaissances exactes, qu’à celui que vous emploierez pour la paie de ceux qui sont enrôlés sous vos étendards : plus vous dépenserez, plus vous gagnerez ; c’est un argent que vous placez pour en retirer un gros intérêt.
De l’Anticipation : Préparer
« … vous ne formerez aucune entreprise, sans la conduire à une heureuse fin. Vous verrez ce qui sera loin de vous comme ce qui se passera sous vos yeux, & ce qui se passera sous vos yeux, comme ce qui en est le plus éloigné. » (Amiot)
Lors des préparations avant l’ouverture des hostilités, les calculs et supputations laissent présager une victoire quand les avantages sont réunis ; dans le cas contraire, la défaite est envisageable. En se livrant à de nombreux calculs, on peut ainsi réduire ses marges d’erreur et consolider ses chances de victoire. Qui les néglige, s’engage en terrain inconnu et réduit ses chances d’autant. C’est par ces considérations qu’il faut examiner la situation, et l’issue apparaîtra clairement.
Une armée victorieuse remporte l’avantage avant même d’avoir cherché la bataille ; une armée est vouée à la défaite si elle cherche la bataille avant de vaincre.
Savoir être prévoyant et savoir correctement estimer la situation en concentrant ses forces pour attirer à soi vos adversaires au moment propice et à l’endroit voulu.
Des Vertus et des Qualités d’un Commandement
Toutes les vertus n’ont qu’un seul but : créer les conditions favorables d’une confiance absolue entre commandants et commandés afin de guider une armée telle un seul homme ; le général incarne ainsi à la fois les fonctions de guide suprême et maître d’oeuvre des conditions de la victoire. Sa première vertu est probablement celle de l’humilité en ne sous-estimant jamais son adversaire.
En matière martiale, le grand nombre seul ne confère pas l’avantage ; n’avancez jamais en comptant sur la seule puissance militaire. Une armée composée des mêmes hommes peut être très méprisable commandée par tel général, tandis qu’elle sera invincible commandée par tel autre.
C’est pourquoi un habile commandant recherche la victoire en tenant compte de la situation et ne l’exige pas de ses subordonnés. Il sait ainsi en fonction des dispositions, choisir ses meilleurs hommes afin de tirer parti de la situation. Un habile commandant tient compte de la situation et sait employer ses hommes au combat avec les mêmes lois physiques qui s’appliquent à la puissance croissante de pierres rondes ou de billes de bois dévalant les pentes abruptes des sommets d’une montagne.
En Conclusion
De ces dix commandements, un commandant qui n’entend pas appliquer ces connaissances sera régulièrement vaincu.
Telles sont les attentions que vous devez à toutes les démarches, tant les vôtres que celles de vos adversaires. Une telle minutie dans les détails peut paraître superflue, mais elle procède d’un constat : que rien de tout ce qui peut contribuer à vous faire triompher n’est négligeable.
En matière de Management de crise et de Gestion des risques, préparez-vous à ne jamais laisser le diable s’emparer des détails…
Restez prudents ! (surtout avec nos aînés)
Bonnes fêtes à tous.
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J’aime bien les théories tant qu’on peut les appliquer, mais la Chine s’est laissée envahir plus d’une fois après la publication de ces “10 commandements” , jusqu’en 1945 !
1) la doctrine ou idéologie est respectée tant qu’elle apporte la stabilité et la richesse des peuples qu’elle gouverne. L’Histoire fourmille d’exemples quand les grands changements renversent la hiérarchie des valeurs …
2) le commandement implique une probité à toute épreuve , mais là encore , les hommes ( ou les femmes) sont loin d’être exempts de défauts menant à une désorganisation, la désobéissance , à la faillite , …
3) la tactique sur le papier fonctionne bien , mais les inconnues sont difficilement gérables , qui plus est , le chaos est défini par l’exemple connu du battement d’aile de papillon déclenchant une tornade !
n’est-ce pas ce que nous vivons aujourd’hui ?
4) le renseignement reste valable dans une certaine limite comme les prévisions météo
5) l’anticipation est à l’image du joueur d’échecs prévoyant un certains nombre de coups d’avance, mais qui est toujours limité par sa mémoire et sa puissance de calcul des combinaisons possibles .
Et à la fin , personne ne gagne … alors on presse le bouton “reset” et on recommence une nouvelle partie sur des bases nouvelles tant qu’il y a de la vie …
Ce qui peut se résumer par la recherche perpétuelle de la survie en toute circonstance …
Les confrontations mènent à l’absurde , seules les solutions partagées peuvent vaincre les obstacles qui se dressent devant nous …
Bonjour,
Merci pour votre contribution. Je crois que nous sommes bien d’accord : “Les confrontations mènent à l’absurde, seule les solutions partagées peuvent vaincre les obstacles qui se dressent devant nous” – jusqu’au tour suivant … Quand les luttes de pouvoir reprennent le dessus et que les dissensions partisanes se cristallisent pendant notre sommeil. La paix n’est qu’une fragile trêve entre deux batailles.