Quel avenir pour la pluralité d’opinions et la démocratie à l’ère numérique?

Les technologies numériques sont omniprésentes. Du lever au coucher, nous sommes immergés dans un monde, où virtuel et réel se s’entremêlent en permanence. Les décisions que nous prenons chaque jours sont dorénavant largement influencées par les technologies.

 

Nous avons gagné de nouvelles compétences en termes d’accès à l’information. Le monde est à la portée d’un clic. Tout est disponible en permanence, de l’achat d’un livre à la consultation des dernières nouvelles. L’information est devenue gratuite et abondante. Le concept de surcharge informationnelle ou « infobésité[1] » décrit bien ce déluge d’information, où la question n’est plus comment accéder à l’information, mais plutôt comment la sélectionner.

 

Le numérique facilite la communication et la collaboration entre individus, effaçant les distances spatio-temporelles. Les messages sont diffusés à la vitesse du wifi, et les hashtags sont les éléments constitutifs des mouvements politiques. À titre d’exemple récent, un post sur Facebook a conduit 2,6 millions de personnes à manifester dans les rues de la capitale étasunienne pour marquer leur soutien au respect des femmes. De même, il aura fallu peu de temps après la diffusion du nouveau code vestimentaire de la Maison Blanche, pour qu’une opposition s’organise et que le hashtag #DressLikeAWoman devienne viral[2].

 

Si elles représentent une vraie aide dans bien des cas, les technologies numériques présentent aussi de nombreux défis, et en particulier à deux titres : accès à l’information et pluralité d’opinions. L’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme[3]énonce les principes de « liberté d’opinion et d’expression », ainsi que le « droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » Ces principes sont remis en causes par des technologies numériques qui, autrefois louées pour élargir l’accès à l’information et renforcer la liberté d’expression, sont progressivement devenues des filtres, et des instruments de surveillance et de collecte de données.

 

Une grande partie d’entre nous accèdent principalement aux nouvelles à travers les réseaux sociaux, ce qui permet aux géants du numérique, tel que Facebook, de devenir les nouveaux rédacteurs en chef d’un journal en ligne qui serait devenu mondialisé. Le principe de la bulle de filtrage[4](filter bubble) décrit cet espace informationnel en ligne, dans lequel nous sommes en permanence confinés, et qui est régit selon les critères d’un algorithme, celui-ci choisissant à quel article, quelle vidéo ou quel site internet nous aurons accès, selon nos préférences et ce que les moteurs de recherche et les réseaux sociaux savent de nous. Même si une sélection d’information est nécessaire et bienvenue afin de faciliter nos recherches et notre navigation, les critères de sélection ne nous sont pas accessibles. De surcroît, nous ne sommes plus confrontés à des avis divergents, le but étant de nous garder le plus longtemps en ligne, et donc de nous donner accès à des informations qui vont dans notre sens. À titre d’exemple, Facebook montre en priorité les publications de notre entourage qui ont le même point de vue politique.

 

Le scandale de Cambridge Analytica[5]a montré à quel point les campagnes politiques contemporaines utilisent des technologies avancées pour influencer le vote des citoyens : extraction de données, bots, réseaux sociaux, et bien entendu messages personnalisés. Cette nouvelle génération de communications politiques permet en effet d’adapter le message selon le profil psychologique de chacun-e, et ce à une échelle nationale voire mondiale. Mais l’influence du numérique sur le paysage politique s’étend bien au-delà du jour du vote. Nous sommes entrés dans un monde en campagne perpétuelle.

 

Ce déluge d’information continu a laissé la porte ouverte à la désinformation, qui s’est progressivement infiltrée en masse dans la sphère publique.  Si les réseaux sociaux sont reconnus pour favoriser la superficialité des discussions et les points de vue extrémistes, une récente étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT)[6]a démontré que les fausses informations ou « fake news » étaient 70% plus partagées que les vraies informations sur Twitter. Et la raison n’est pas à chercher auprès des logiciels (bots) qui disséminent les informations automatiquement, mais bien auprès des utilisateurs. En effet, beaucoup d’entre nous ne lisons pas en détail les publications sur les réseaux sociaux. Le titre, une image ou le résumé suffisent pour aimer et partager la publication. À l’heure où Twitter a remplacé le journal télévisé, la désinformation semble être partout, ce qui isole encore davantage le citoyen face aux défis mondiaux et fragilise la démocratie.

 

Que ce soit au niveau local, national, régional ou mondial, les technologies numériques ont une influence certaine et de plus en plus visible sur la politique. Alors que la démocratie est basée sur le principe d’un citoyen bien informé, les technologies numériques remettent en causes les principes de base d’accès à l’information et de pluralité d’opinions sur lesquels sont fondées nos sociétés et processus politiques. Il devient donc urgent de réfléchir au rôle que nous souhaitons leur donner afin de définir quelle société nous souhaitons pour l’avenir.

 

[1]https://www.franceculture.fr/emissions/hashtag/infobesite-comment-sinformer

[2]http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1656428-dresslikeawoman-medecin-legiste-je-travaille-en-blouse-n-en-deplaise-a-donald-trump.html

[3]http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/index.html

[4]https://www.ted.com/talks/eli_pariser_beware_online_filter_bubbles?language=fr

[5]https://www.letemps.ch/monde/cambridge-analytica-big-data-laltright

[6]http://news.mit.edu/2018/study-twitter-false-news-travels-faster-true-stories-0308