Union européenne: Rester ensemble après le Coronavirus?

Ces dernières semaines, la pandémie, et au-delà de la pandémie elle-même, la gestion de la crise, ont illustré l’ambivalence des dirigeants politiques et des populations européennes face à un projet d’avenir commun. Lors d’une rare intervention, Jacques Delors, ancien Président de la Commission européenne, a rompu son silence le week-end dernier pour avertir que le manque de solidarité constituait « un danger mortel pour l’Union européenne. »

 

De par l’extrême rapidité de son évolution, et l’incertitude des semaines voire des mois à venir, le Coronavirus n’a laissé aucune place aux tergiversations politiques. Cette crise a mis en lumière non seulement les visions divergentes quant aux mesures à prendre pendant et après pandémie, mais aussi et surtout, elle a mis, sous une lumière cruelle, les désaccords autour de la définition et de l’existence même d’une réponse commune aux enjeux mondiaux. Même si la santé est de la compétence nationale des États membres, la solidarité entre pays voisins aurait dû être une évidence au sein d’un continent qui s’est progressivement construit autour du projet d’intégration européenne.

 

Les pandémies ne peuvent pas être réglées seulement au niveau national. Elles appellent à une réponse coordonnée, au même titre que le changement climatique. Et c’est bien l’inverse que les dirigeants européens ont montré ces dernières semaines. La pandémie a rouvert les plaies de la crise de la zone euro, faisant ressurgir les stéréotypes concernant les Européens du Sud et du Nord. À titre d’illustration le Ministre néerlandais des finances, Wopke Hoekstra, a exprimé sa contrition après avoir mis ses voisins en colère, en demandant pourquoi les autres gouvernements n’avaient pas de réserves budgétaires pour faire face au choc financier du coronavirus. Le Premier ministre portugais, António Costa, a alors qualifié ces commentaires de menace pour l’avenir de l’Union Européenne (UE). En effet, de quel projet européen peut-on parler sans une solidarité durant les crises ?

 

Autre illustration, la Hongrie. En guise de réponse au Coronavirus, le Parlement hongrois, a adopté il y a quelques jours un projet de loi qui étend les pouvoirs déjà importants du Premier ministre Viktor Orbán. En conséquence, les quelques freins et contrepoids qui subsistaient en Hongrie cesseront d’exister, le gouvernement statuant par décret. Aucune élection ni aucun rassemblement ne pourront être organisés. La Hongrie est devenue un cas d’école de l’utilisation abusive du coronavirus à des fins autoritaires.

 

En quelques jours, le Coronavirus a éclipsé toutes les autres questions et bousculé la nouvelle Commission, qui a semblé bien silencieuse, et reléguée au deuxième plan, par des gouvernements qui souhaitaient montrer leur action et rendre visible leur engagement pour résoudre la crise auprès des citoyens. L’argumentaire autour d’une réponse coordonnée a laissé la place à des communications nationales. Sans une volonté des capitales européennes de mettre en avant l’apport des institutions et du projet européen, les citoyens ne peuvent pas en comprendre le sens et le bien-fondé aujourd’hui.

 

Il s’agit d’une occasion manquée des États membres d’illustrer l’utilité du projet d’intégration européenne. Comme le déclarait l’ancienne Conseillère de la Commissaire européenne chargée de l’élargissement Heather Grabbe, cette crise réduit la confiance entre États membres et au sein du système tout entier.[1] Les citoyens italiens ont en effet le sentiment d’avoir été laissés seuls par l’Europe dans la première phase de la pandémie, ce qui a fait encore chuter la confiance dans le projet européen. Un sondage réalisé les 12 et 13 mars[2] a révélé que 88 % des Italiens estimaient que l’UE ne soutenait pas l’Italie, tandis que 67 % considéraient l’adhésion à l’UE comme un désavantage, un résultat désastreux pour un État membre fondateur de l’Union, et où l’UE bénéficiait auparavant d’un soutien important.

 

Après cette première étape de repli sur soi, certains États membres ont fait preuve de davantage de solidarité. L’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg – et la Suisse – ont ouvert leurs hôpitaux pour soigner les patients des pays les plus touchés. La France et l’Allemagne ont fait don de plus de masques à l’Italie que la Chine, selon l’exécutif de l’UE.[3] Mais ces premières réactions de fermeture des frontières et de « chacun pour soi » ont montré une réalité que les discours ne peuvent pas occulter. Ainsi, la pandémie a montré l’ambiguïté de l’étape actuelle du projet européen, issu d’une époque pleine d’optimisme et de certitude quant à la volonté d’un vivre ensemble, et qui petit à petit, a fait place à un concert d’accommodements autour d’un statut quo inconfortable.

 

La pandémie nous met au pied du mur. C’est en effet un moment décisif pour le projet européen, qui va marquer la construction européenne. Deux voies sont possibles : soit une remise en question profonde et des discussions sur le type de projet européen voulu dans les différentes capitales européennes, soit le maintien du statut quo. Dans le second cas, c’est la perte de sens du projet européen, qui se résumera à des accords commerciaux, mais sans un cœur de solidarité. Certes, il reste encore du temps pour garder le statut quo fonctionnel. Mais il ne résistera pas longtemps sous les efforts des mouvements anti-européens intra- et extra-européens.

 

Il est donc temps de parler de l’éléphant de la pièce : rester ensemble ou pas ? C’est la question que pose la réponse européenne au Coronavirus. Et la réponse ne doit pas se résumer à quelques déclarations politiques et annonces de « faire ensemble », que ce soit autour de projets innovants, de valeurs communes ou de protection de l’environnement. Elle ne doit pas être seulement financière non plus. Elle doit se montrer plus ambitieuse, et indiquer la direction à prendre, donner espoir, et engager les populations autour d’un « être ensemble », c’est-à-dire un projet d’une Europe renforcée et à terme fédérale. La solidarité existe entre personnes et populations qui se sentent liées et avec un avenir commun. Dans un couple ou en une famille, il faut faire des choix, preuve de solidarité, de confiance et oser. Que va choisir la famille européenne ?

 

Dans un monde incertain, où les innovations technologiques et militaires sont principalement développées en Chine et aux États-Unis, l’Europe doit rayonner sa culture et ses valeurs démocratique. Elle a un rôle important à jouer dans le monde. Mais pour ce faire, elle doit d’abord résoudre ses contradictions internes, qui reviennent, à chaque crise, à la même question : plus d’intégration politique ou non ?

 

[1] https://www.msn.com/en-gb/news/brexit/coronavirus-could-be-final-straw-for-eu-european-experts-warn/ar-BB121pqo

[2] https://www.ecfr.eu/article/commentary_whatever_it_takes_italy_and_covid_19_crisis

[3] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-comment-l-italie-s-est-sentie-abandonnee-par-la-france-et-l-ue-face-a-sa-penurie-de-masques_3887289.html

Cybersécurité : Un « No man’s land » avec beaucoup de monde

L’émergence d’un monde globalisé et interconnecté a suscité de nombreux espoirs et préoccupations au cours des vingt dernières années. Que l’on perçoive le cyberespace comme un bien public mondial, ou un espace virtuel privatisé par les grandes multinationales technologiques, il est impératif d’explorer son impact sur les droits de l’homme et les libertés civiles, la gouvernance, l’utilisation abusive du numérique à des fins terroristes ou criminelles, et bien entendu la sécurité nationale et internationale.

Ces thématiques sont sensibles à plus d’un titre, mais particulièrement car elles concernent de multiples acteurs et appellent de nouveaux modèles de gouvernance. Le cyberespace fonctionne grâce à un complexe ensemble de technologies, infrastructure et acteurs. Par exemple, les entreprises privées sont propriétaires de données, technologies et de certaines infrastructures. Les États se font concurrence dans le cyberespace pour attirer les prochaines innovations tout en préservant la confidentialité des données de leurs citoyens, et déploient de nouvelles capacités pour se défendre, voire s’attaquer. À Genève, l’Union International des Télécommunications (ITU) a un rôle proéminent dans le développement de standards pour assurer l’interopérabilité des technologies. L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), dont le siège est en Californie, propose une approche de gouvernance à multi-parties prenantes, afin d’assurer la représentation de cette diversité d’acteurs.

La société civile est peut-être la moins bien représentée, car très hétérogène, et donc moins bien coordonnée et financée. C’est principalement au travers de l’ICANN et de l’Internet Governance Forum (IGF) qu’elle peut faire entendre sa voix. Cette plateforme de discussion ouverte réunit régulièrement, dans la cité de Calvin, les acteurs de la gouvernance d’internet, pour faciliter la réflexion sur toutes les questions de politique publique liées au numérique.

Dans son rapport de 2013, le Groupe d’experts gouvernementaux (GGE) des Nations unies sur la cybersécurité a fait valoir que la Charte des Nations unies, et plus généralement le droit international, est applicable au maintien d’un cyberespace ouvert et sécurisé. La cybersécurité ne se limite en effet pas au cyberespace, et peut créer de dommages très tangibles dans le monde physique. Bien que le scénario le plus probable de guerre future soit un conflit hybride, avec les capacités cybernétiques comme un élément parmi d’autres, une crise militaire pourrait bien se développer à partir d’un incident cybernétique.

Les cybercapacités posent un problème conceptuel aux stratégies de sécurité établies. Dans le cyberespace, la dissuasion traditionnelle ne fonctionne pas : l’arsenal nucléaire des États-Unis n’a jamais dissuadé la Russie, la Chine ou la Corée du Nord de lancer des offensives sur le cyberespace. C’est principalement du fait de la difficulté d’attribution d’une cyberattaque : son  origine est difficile à prouver. Et même dans le cas où son origine est clairement déterminée, les gouvernements, apparemment responsables, nient toute implication, reléguant la faute à des groupes criminels.

Ainsi, l’instauration de la confiance est un élément essentiel en matière de cybersécurité. Les entreprises, les gouvernements, et les citoyens paient de plus en plus cher leur sécurité. Ce que Microsoft a bien compris, en proposant de lancer son initiative de CyberPeace Institute à Genève. Même si certaines agences de renseignement utilisent les vulnérabilités des logiciels que chacun-e utilise, l’insécurité généralisée et le coût engendré, nous amène probablement vers davantage de régulation.

Au-delà des stratégies nationales pour faire face à ces nouveaux défis, les organisations internationales et régionales ont un rôle important à jouer pour aider à atténuer le risque d’escalade et de conflit découlant de l’utilisation du numérique. Par exemple, le Conseil permanent de l’OSCE a convenu d’un ensemble de mesures de coopération visant à améliorer la coopération et le renforcement de la confiance dans le cyberespace. Pour maintenir l’unité et la paix dans le cyberespace, les États, ainsi que le secteur privé, la société civile et les organisations internationales ont tous un rôle important à jouer.

La Genève Internationale est le lieu idéal pour une gouvernance inclusive et pourquoi pas basée sur le numérique. De nombreuses formes de eParticipation existent aujourd’hui au niveau local pour gérer les budgets de villes européennes comme par exemple Madrid. Serait-ce le moment d’explorer comment ces outils pourraient être utilisés pour rendre la gouvernance mondiale plus ouverte et inclusive ? L’urgence de régulation de cybersécurité, qui nécessite la participation de nombreux acteurs et intérêts, pourrait être une occasion idéale d’inventer de nouvelles formes de gouvernance.

Mais trois éléments devraient être inclus dans ce nouveau modèle : un ensemble de définitions, de règles et de processus décisionnels ; des mécanismes de renforcement de la confiance entre tous les acteurs ; et une forme de soutien technologique et financier pour réduire la fracture numérique afin que tous les acteurs aient la capacité d’adhérer à ces règles.

Blockchain: une meilleure traçabilité pour un consommateur éclairé

En cette période festive et d’achats (CyberMonday, BlackFriday), une question vous est peut-être venue à l’esprit: d’où viennent précisément les produits que nous consommons? Quel processus de transformation ont-ils subis? Quel moyen de transport a été utilisé? À l’heure du changement climatique, et d’une prise de conscience généralisée de l’impact de nos choix individuels sur le futur de la planète, la traçabilité des produits que nous consommons devient primordiale. La transparence devrait non seulement “expliquer” le prix final, mais aussi nous aider à faire un choix éclairé.

Dans ce contexte, la technologie des chaînes de blocs (ou blockchain en Anglais) est d’une grande utilité. Cette technologie permet de suivre et d’enregistrer chaque étape de la vie d’un produit, depuis l’approvisionnement en matières premières jusqu’à la vente finale, en fournissant aux consommateurs des informations fiables, transparentes et précises sur leur achat potentiel.

Les chaînes de blocs permettent ainsi de suivre et d’enregistrer chaque étape de la vie d’un produit: chaque transformation ou “déplacement” du produit est horodatée et géolocalisée. Chaque agent de la chaîne d’approvisionnement est identifié et ses actions sont enregistrées. Ces informations sont mises à la disposition de toutes et tous, et il n’y a aucun moyen de les modifier. Ainsi, la transparence inhérente à la technologie des chaînes de blocs peut conduire à une plus grande responsabilisation des producteurs et distributeurs, ce qui est d’autant plus important dans un monde globalisé, où nous consommons des produits fabriqués, transformés ou assemblés dans différentes parties du monde.

Quelques exemples pour illustrer ces propos:

La start-up Everledger certifie et surveille le commerce des diamants, afin de diminuer les ventes de pierres précieuses volées ou de pierres de guerre. FoodTrax et Provenance sont deux organisations qui visent la transparence des chaînes d’approvisionnement afin d’aider les consommateurs à mieux choisir leurs produits. Par exemple, Provenance a collaboré avec l’industrie indonésienne de la pêche pour retracer quels sont les poissons capturés de manière durable. Ainsi, les consommateurs peuvent savoir où un poisson a été pêché, combien de transformations il a subi, et s’il provient vraiment d’un procédé de production durable équitable.

Dans ce contexte, la technologie des chaînes de blocs pourrait grandement simplifier le travail des agents des douanes puisqu’ils pourraient facilement identifier les produits faisant l’objet d’un commerce illégal.

De même, le Fonds mondial pour la nature (WWF) a appliqué la technologie des chaînes de blocs à l’industrie de la pêche au thon, afin d’éliminer les captures illégales et les violations des droits de l’homme dans la région des îles du Pacifique.  Pour éviter d’acheter un thon provenant d’une pêche non réglementée ou d’entreprises qui violent les droits de l’homme, le WWF a développé une application basée sur la technologie des chaînes de blocs, qui permet aux consommateurs de scanner n’importe quel emballage de thon avec leur téléphone pour savoir où et quand le poisson a été pêché, par quel navire, et selon quelle méthode de pêche. Comme l’a déclaré Dermot O’Gorman, Directeur de WWF-Australie : “La chaîne de blocs permettra d’éviter la pêche illégale, non réglementée et non déclarée.”

Le Forest Stewardship Council (FSC) est une autre organisation qui utilise cette même technologie pour promouvoir une meilleure traçabilité des produits issus des sociétés forestières. Cet organisme de certification permet aux consommateurs de choisir du bois issu de forêts gérées de manière responsable. Toutefois, l’organisation souhaite accroître la transparence de son processus de certification et ainsi s’attaquer aux allégations trompeuses et fausses. “Des millions de consommateurs et des milliers d’entreprises font confiance au label FSC, et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour maintenir cette confiance “, déclare Kim Carstensen, Directrice générale du FSC.  Avec cet objectif en tête, FSC met en œuvre une nouvelle stratégie basée sur la technologie de chaînes de blocs.

Ces quelques exemples innovants mettent en lumière une utilisation positive des technologies numériques. En nous permettant d’accéder librement et facilement à toutes ces informations, et en assurant la véracité de ces informations, nous pouvons avoir un impact positif sur l’avenir du commerce mondial et notre planète, grâce à des choix d’achat éclairés et transparents.

Références:

  • Provenance: https://www.provenance.org
  • FoodTrax: https://www.foodtrax.nl
  • Everledger: https://www.everledger.io
  • Forest Stewardship Council: https://ic.fsc.org/en/what-is-fsc

 

Pixabay

Blockchain et le financement de projets durables

Dans un monde globalisé, le besoin de confiance et de sécurité des transactions est accru. Les parties à une transaction ne se connaissent que rarement. Ainsi, les intermédiaires traditionnels, tels que les organisations internationales, les banques et les gouvernements assurent ce niveau de confiance et de sécurité. Aujourd’hui, ces intermédiaires peuvent parfois être remplacés par la technologie blockchain, qui peut elle aussi, offrir un niveau élevé de sécurité, mais à travers une solution décentralisée.

Dans le cadre de la protection de l’environnement et de développement durable, le besoin de fonds est croissant. La prise de conscience mondiale de la vulnérabilité de notre environnement, et de notre responsabilité à préserver des ressources naturelles saines pour les prochaines générations, demandent de trouver de nouveaux modèles de financement plus transparents, participatifs et efficaces. Grâce à la blockchain, ces nouveaux modèles sont dorénavant accessibles. Des fonds peuvent être envoyés directement aux principaux bénéficiaires, de manière transparente et avec un niveau de sécurité élevé. Cette sécurité et transparence permet la confiance, et donc incite à contribuer davantage. La blockchain relie de manière transparente et directe les donateurs aux projets qu’ils soutiennent. Du fait de cette transparence et automatisation des transactions, la blockchain peut également aider à réduire les ressources consacrées au suivi des transactions financières.

Bien que les transactions sur une blockchain soient anonymes,  la possibilité d’utiliser des contrats intelligents (smart contracts), permet aux donateurs de s’assurer que les fonds ne soient attribués que par tranche et sous des conditions pré-établies. Le donateur se rapproche ainsi du terrain et peut donc mieux vérifier l’impact espéré. Dans le cas des deux milliards d’individus non bancarisés dans le monde, l’utilisation de la crypto-monnaie permet de financer de très petits projets de restauration et des opérations locales. Ainsi, les donateurs peuvent soutenir directement, et à moindre coût, de nombreux micro-projets durables et de protection de l’environnement.

Voici quelques exemples de nouveaux modèles de financement.

BitGive est un des premiers organismes de bienfaisance sur la Blockchain, tendant à réduire l’écart entre une technologie innovante et ses applications pratiques pour la philanthropie mondiale. BitGive facilite la collecte de fonds pour les dons en bitcoin visant à soutenir des projets durables et de protection de l’environnement. GiveTrack est une plateforme de don innovante pour les organisations à but non lucratif, visant à assurer la transparence des donations et de leur allocation en temps réel. BitHope est une autre organisation de la société civile qui génère des fonds pour les campagnes à but non lucratif dans le monde. Ces plateformes utilisent des contrats intelligents pour garantir un niveau élevé de confiance et fournir des fonds uniquement lorsque les étapes de réalisation du projet sont atteintes.

La Natural Capital Finance Alliance (NCFA) associe plusieurs organisations dont le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP), Global Canopy, Fundacao Gerulio Vargas, afin de développer de nouveaux instruments pour le secteur financier, qui intègrent les considérations environnementales. Cela permettra aux banques, aux investisseurs et aux assureurs de prendre de meilleures décisions en évaluant plus précisément l’impact de leurs activités.  L’objectif est également de mieux comprendre les risques, et de trouver des opportunités pour une économie plus verte. La NCFA a l’intention d’utiliser une plateforme blockchain pour augmenter les investissements dans des projets de protection de la biodiversité des écosystèmes et des espèces, y compris les forêts tropicales et les mangroves. Une offre initiale de cryptomonnaire (ICO) permettra à la NCFA de mobiliser des capitaux sous forme de monnaie virtuelle. Chaque donateur, qui acquiert une pièces numérique, peut choisir de les identifier avec une couleur qui représente les ressources en biodiversité qu’il ou elle souhaite protéger. Les donateurs peuvent également choisir les conditions d’échange de leurs pièces numériques. Enfin, ces pièces représentant des actifs de la biodiversité, elles permettent à la NCFA de valoriser les ressources naturelles.

Le Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF) est une alliance de gouvernements, d’entreprises, d’organisations non gouvernementales et de communautés de peuples autochtones, qui vise à protéger les forêts du monde entier et à réduire les émissions de CO2 résultant du déboisement et de la dégradation des forêts. Les gouvernements et les différentes parties prenantes sont incités à protéger leurs forêts, et reçoivent en échange des paiements en crypto-monnaire. Le méta-objectif de ce mécanisme est d’atténuer l’impact négatif de la déforestation sur le changement climatique mondial. Le Fonds carbone, géré par le FCPF, soutient financièrement diverses parties prenantes, telles que les peuples autochtones tributaires de la forêt, d’autres habitants de la forêt ou le secteur privé, qui contribuent à gérer les forêts de manière durable.

Ces quelques exemples ne sont de loin pas exhaustifs. Mais ils illustrent le bouillonnement de nouvelles initiatives de financement vert, transparent et fiable. La blockchain permet de soutenir les acteurs sur le terrain qui sont en contact direct avec les écosystèmes en danger, et dont les actions ont un impact très concret sur la préservation de la nature. À l’heure des manifestations pour le climat, la technologies numériques peut apporter des solutions innovantes pour contribuer à renforcer le rôle de la société civile dans la protection de l’environnement et construire un avenir durable et sain pour toutes et tous.

Pour aller plus loin:

Global Environmental Governance in the Information Age: Civil Society Organisations and Digital Media, Routledge.

Hyperconnectivé et grands défis mondiaux: vers une plus grande solidarité mondiale?

L’urgence des défis du 21èmesiècle, et la timide réponse des États-nations, doivent nous pousser à réfléchir à une nouvelle manière de communiquer et collaborer sur les grands défis mondiaux. Comment pouvons-nous être solidaires au niveau régional et mondial, alors que le système international est basé sur des États-Nations qui ont pour objectif de défendre leurs intérêts respectifs ? À l’heure de l’hyperconnectivité, ne serait-il pas possible de davantage inclure les citoyens et la société civile dans les négociations internationales, qui serait alors en mesure de représenter cette solidarité mondiale, seule garante d’avancées sur les grands défis mondiaux.

Le concept d’État-nation combine quatre éléments : territoire, population, gouvernement et souveraineté. Une communauté de personnes, partageant une identité commune, vivent sur un même territoire, à l’intérieur des mêmes frontières, et qui sont gouvernées par un même gouvernement. Cette communauté partage une identité commune basée sur une histoire, une langue, une culture et une ethnie communes.

Si l’on revient à l’origine du concept d’État-nation, on remarque que le terme natio, dans sa définition romaine classique décrivait un groupe de personnes partageant un territoire, une langue, une culture, des traditions et des habitudes. En fait, ce terme de natio a été utilisé dès le départ pour différencier les personnes en fonction de leur origine (1).

Cette définition de natio a continué de prévaloir au Moyen Âge et jusqu’au début des temps modernes, où ce terme était synonyme de lingua. En effet, l’invention de la presse à imprimer a permis la distribution d’écrits qui étaient auparavant censurés par l’église. Le choix des imprimeurs s’est alors porté sur une langue imprimée vernaculaire, commune, afin de toucher le plus grand nombre de lecteurs. Cette “petite“ révolution technologique a aussi permis aux populations parlant des dialectes locaux de se comprendre et de former un discours commun.

Basés sur cette nouvelle capacité de communication et de partage de contenus similaires, ces langues nationales imprimées ont conduit à la formation de communautés imaginées (2) basées sur une histoire commune et des valeurs collectives. Cette nouvelle auto-identification collective en tant que nation découle d’un changement de conscience qui a commencé chez les intellectuels et les classes moyennes urbaines et instruites, avant de se propager au reste de la population (1). En d’autres termes, les communautés imaginées ont conduit à l’émergence des premiers États-nations européens (2).

Cette compréhension de la nation a également conduit à la répudiation de ce qui et de qui était étranger ; c’est-à-dire à une certaine dévaluation d’autres nations; et une exclusion des minorités nationales, ethniques et religieuses. Mais cette nouvelle conscience a également fourni le terrain culturel commun permettant aux sujets individuels de devenir des citoyens et à l’émergence de liens de solidarité entre eux (1). Cette conception moderne de la nation a conduit à notre définition contemporaine de la citoyenneté.

Par conséquent, des langues d’impression communes ont permis l’émergence de communautés imaginées de personnes solidaires, et aussi la mobilisation politique des citoyens pour légitimer les processus décisionnels de l’État laïc.

Le système international, tel que nous le connaissons depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, avec ses grandes institutions internationales comme les Nations Unies et le multilatéralisme, est basé sur l’existence d’États-nations.

Cependant, ce système est aujourd’hui mis au défi par la mondialisation, l’émergence de puissantes multinationales, le changement climatique, la pollution des mers et océans, la perte de biodiversité, ou encore les technologies numériques. La timidité des réponses des États-nations sur ces sujets cruciaux nous montrent leur certaine impuissance face à un monde interconnecté, mondialisé, et où de nombreux acteurs privés ont gagné en indépendance et en puissance. De plus, du fait de leur impact mondial, ces défis ne peuvent être traités qu’au niveau mondial, faisant appel à un intérêt commun, une solidarité commune, et donc une certaine conscience d’un destin partagé.

De plus, les technologies, qui autrefois avait contribué à l’émergence des États-nations autour de langues communes et des communautés imaginées, mettent aujourd’hui la pression sur ces mêmes États-nations, et agissent davantage comme forces de désintégration que d’intégration.

Grâce à l’hyperconnectivité que nous connaissons dans la plupart des pays occidentaux, les citoyens se connectent et adoptent de multiples identités, aux niveaux local, national, régional et mondial, mais aussi en lien avec des activités professionnelles, sportives, artistiques ou encore des intérêts hétéroclites. Ainsi, les communautés imaginées de personnes solidaires autour des langues d’impression nationales sont aujourd’hui transformées par les technologies de l’information et de la communication, et en particulier par les réseaux sociaux, qui permettent à de multiples communautés et identités de cohabiter, de manière fluide et dynamique.

Ainsi, dans un tel contexte, nous pouvons nous demander comment adapter le système international et les États-nations au monde actuel.

L’urgence des défis du 21èmesiècle, et la timide réponse des États-nations, doivent nous pousser à réfléchir à une nouvelle manière de communiquer et collaborer sur les grands défis mondiaux. Comment pouvons-nous être solidaires au niveau régional et mondial, alors que le système international est basé sur des États-Nations qui ont pour objectif de défendre leurs intérêts respectifs ? À l’heure de l’hyperconnectivité, ne serait-il pas possible de davantage inclure les citoyens et la société civile dans les négociations internationales, qui serait alors en mesure de représenter cette solidarité mondiale, seule garante d’avancées sur les grands défis mondiaux.


Références:

(1) Voir Habermas, J. (1998) The inclusion of the Other. Studies in Political Theory. MIT Press.

(2) Anderson, B. (1983). Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism. London: Verso.

Le vote électronique n’est pas la solution à l’abstention

Le Conseil fédéral renonce à faire du scrutin électronique un canal de vote officiel. En effet, dans le contexte actuel, la cybersécurité des processus de votation en ligne ne peut être totalement assurée, ni inspirer la confiance nécessaire à tout processus démocratique. Mais la question de la participation en ligne doit tout de même rester sur la table. Est-ce que le numérique peut aider les démocraties? Il semble que les technologies numériques ne soient pas la réponse idéale – et en tout cas pas unique – à la perte de vitesse de la participation citoyenne, car elles ne répondent – au mieux – que au “comment” et pas au “pourquoi”.

Nos démocraties libérales sont basées sur le principe de citoyens bien informés, qui peuvent et vont participer à la gouvernance du bien commun par le biais d’élections, référendums et autres votations. Même si l’objectif d’une participation citoyenne qui intègre totalement les membres les plus défavorisés de nos sociétés n’a jamais été pleinement atteint dans les démocraties libérales, le suffrage universel a tout de même permis à une grande partie de la population de participer à la conception des politiques publiques et de mettre fin au conflit entre intérêts du travail et du capital.

Une conséquence de cette inclusion est la généralisation des systèmes de protection sociale par exemple. Ces avancées ont eu le mérite de montrer que les plus faibles étaient aussi considéré-e-s et représenté-e.s par les leaders politiques. Ce qui a eu pour effet de légitimer la démocratie libérale telle que nous la connaissons encore aujourd’hui, et de la rendre attrayante pour toutes et tous.

Cependant, les niveaux de participation des citoyens ont progressivement diminué depuis environ deux décennies. Ce désengagement est particulièrement illustré par les taux d’abstention et par la réticence des citoyens à devenir des membres actifs des partis politiques. Ce serait fâcheux mais pas dramatique si le désengagement était uniforme, c’est à dire qu’il touchait toutes les strates de la société (le droit de vote pouvant aussi se concevoir comme le droit de ne pas voter, en tout cas dans la plupart des démocraties libérales).

Mais ce n’est pas le cas. En effet, si les taux de participation ont diminué ces dernières années, ils se sont également alignés sur les niveaux de revenus. Il est ainsi progressivement apparu évident que la diminution de la participation correspondait principalement au retrait des couches les plus défavorisées de la population.

En abordant la discussion autour de la participation, il est donc important de se rappeler que l’absence de participation est entachée de partialité sociale: ce sont principalement les citoyens les moins scolarisés et à faible revenu qui votent le moins, et qui montrent moins d’intérêt pour la politique en général. En d’autres termes, comme le précisait Crouch en 2004, ce désengagement politique conduit à «un affaiblissement de l’importance politique des travailleurs ordinaires».

La méfiance à l’égard des institutions démocratiques et l’absence de changement dans les processus politiques ont creusé un fossé grandissant entre les populations et leurs représentants, perçus comme “déconnectés du monde réel” et trop éloignés des citoyens et de la vie de tous les jours. Cette méfiance à l’égard des personnalités politiques peut également être associée à un certain rejet de la démocratie dans son ensemble, car celle-ci ne parvient plus toujours à motiver et représenter toutes les composantes de la société.

Le retrait d’une partie de la société est préoccupant pour de multiples raisons. Premièrement, en raison de la montée des inégalités économiques dans le monde, cette partie la moins privilégiée de la société grandit et pourrait à terme représenter la majorité dans certains pays. Deuxièmement, ce désengagement va à l’encontre du principe fondateur de l’égalité politique. Cela signifie que les décisions perdent une partie de leur légitimité lorsque les personnes concernées ne sont pas incluses, soit dans leur conception ou leur adoption. Ceci a un impact tangible dans de nombreuses démocraties libérales: les résultats des élections sont contestés, les élus sont perçus comme de moins en moins représentatifs, et des mouvements sociaux et alternatifs émergent pour contourner les processus démocratiques traditionnels, qui sont perçus comme ne favorisant que l’élite.

Dans ce contexte où une partie de la population s’auto-exclut volontairement de la gouvernance du bien commun, les institutions démocratiques deviennent extrêmement fragiles. Les élus des démocraties gagnent en légitimité grâce à leur capacité à représenter la plus grande partie de leur population. Sans cette légitimité, la démocratie ouvre la voie aux luttes de pouvoir et aux abus de pouvoir.

C’est avec ces considération en tête que nous devons repenser la participation citoyenne à l’ère numérique.

References:

Parvin, P. (2018). Democracy Without Participation: A New Politics for a Disengaged Era. Res Publica, 24(1), 31-52.

Jörke, D. (2016). Political participation, social inequalities, and special veto powers. Critical Review of International Social and Political Philosophy, 19(3), 1-19.

Voyons (aussi) l’intelligence artificielle comme une opportunité

Bien que l’intelligence artificielle (IA) présente des défis importants en termes de gouvernance et d’éthique, cette nouvelle technologie nous permet déjà de mieux comprendre l’ensemble de notre planète, des régions les plus reculées et les plus intactes, aux pics de haute montagne et jusqu’aux profondeurs des océans.

Avec environ deux milliards de photographies générées chaque jour [1], la collecte de données par satellite n’est plus un problème. Au contraire, les volumes de données collectées nécessitent l’utilisation de technologies spécifiques pour les analyser. Selon Stuart Russell de l’Université de Californie, Berkeley, “nous savons enregistrer de nombreux phénomènes dans le monde depuis de nombreuses années, ce qui nous a permis d’accéder à un ensemble de données sans précédent. Cependant, en raison de la complexité du monde, nous pouvions encore avoir du mal à toujours en comprendre le sens. Grâce avec l’intelligence artificielle, peut-être que nous pouvons” [2].

Alors que les nouvelles technologies soulèvent de nombreuses préoccupations (méritées), ce court article a pour ambition d’en montrer une facette positive, et d’illustrer brièvement comment l’IA peut contribuer à atteindre un certain nombre des Objectifs du Développement Durable (ODD).

Tout d’abord, l’intelligence artificielle peut aider à mieux gérer les villes et grands centres urbains, et ainsi contribuer à atteindre l’objectif 11 des ODD intitulé «Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables» [3]. Nouveaux modes de transport public autonomes ; une allocation plus efficace des ressources ; et une planification urbaine basée sur des modèles prédictifs combinant un vaste ensemble de critères (imagerie satellitaires, activités économiques, flux de transport, consommation privée, activités de divertissement et de loisirs, et taux de criminalité) sont quelques exemples d’application de l’IA pour développer des zones urbaines intelligentes et durables.

En intégrant les données de production et de consommation de nourriture à grande échelle et en temps réel, l’IA peut améliorer l’efficacité de la production, distribution et consommation alimentaire, afin de réduire les déchets et atteindre l’objectif 12 des ODD «Établir des modes de consommation et de production durables» [4].

Même si nous avons conscience de la nécessité de développer les énergies renouvelables comme l’énergie solaire, éolienne, hydroélectrique, à biomasse et géothermique, leur production prend du temps à se développer car elles sont intermittentes, contrairement aux centrales électriques à gaz ou nucléaires, qui peuvent être gérée en fonction de la demande de consommation d’électricité. Cette irrégularité de la production, qui est liées aux aléas du climat, est l’un des principaux défis auquel font face les énergies renouvelables. Grâce à la collecte et à l’analyse de données en temps réel, l’IA peut développer des modèles de prévision de consommation précis, augmentant ainsi l’utilisation des énergies vertes et leur intégration dans le réseau électrique traditionnel, conformément à l’objectif 7 de l’ODD intitulé «Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable» [5].

D’ici 2020, l’Union Européenne a pour objectif de mettre en réseau plus de 200 millions de compteurs d’électricité intelligents, destinés à la consommation privée. Ces compteurs fournissent des données en temps réel sur la consommation d’électricité. Les données volumineuses collectées sont ensuite analysés par l’IA pour élaborer des modèles de prévision de la demande d’électricité en fonction des contraintes et des préférences des consommateurs. Sur la base de cette analyse, l’IA peut adapter l’approvisionnement en électricité presque en temps réel: les compteurs intelligents ont la capacité de réduire l’électricité fournie en baissant temporairement la lumière ou en éteignant les appareils de chauffage électriques. Les fonctionnalités des compteurs intelligents, combinées à l’intelligence artificielle, permettent ainsi une meilleure prévision et une plus grande intégration d’énergie renouvelables dans le réseau électrique, permettant ainsi une production et une consommation d’énergie plus durables.

De manière similaire, l’IA peut établir des modèles de consommation d’eau basés sur des données provenant de l’ensemble de la population d’un pays ou d’une région en temps réel ( non basé sur les données des d’années précédentes). Grâce à ces prévisions, la distribution d’eau potable et l’assainissement peuvent être planifiés plus précisément, ce qui devient de plus en plus essentiel dans un monde où l’eau tend à se raréfier, voire devenir une source de conflits inter- et intra-étatiques. Dans ce sens, cette technologie peut contribuer à atteindre l’objectif 6 des ODD intitulé «Garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable» [6].

Par exemple, la ville de Melbourne (Australie) développe une plateforme basée sur l’IA, qui permet d’adapter la distribution de l’eau potable en temps réel et selon la demande en eau propre émanant des habitants de la ville. Cela conduit à une réduction d’environ 20% de la quantité d’énergie utilisée pour traiter l’eau [7]. Cette plateforme du nom de “Python” combine des données de consommation historiques et en temps réel pour déterminer l’utilisation la plus efficace des pompes à eau sans aucune intervention humaine. Lancé en tant que projet pilote dans une usine de traitement des eaux, il s’étend rapidement à d’autres en ville [8].

Ces quelques exemples n’ont que pour ambition de donner un bref aperçu des utilisations actuelles de l’intelligence artificielle en relation avec les ODD. Ce n’est pas exhaustif et de loin. Face à un monde en perpétuelle transformation, l’IA peut nous aider à mieux gérer les ressources et réduire l’impact des activités humaines sur le climat et la qualité des écosystèmes, pour n’en citer que quelques-uns. Le prochain défi pour les organisations internationales et les ONG qui œuvrent dans ce domaine sera de développer les compétences en intelligence artificielle nécessaires afin de tirer le meilleur parti de cette technologie pour le bien de la planète et de toutes et tous.

Pour plus d’information sur cette thématique, voir mon dernier ouvrage sur la Governance environnementale à l’ère numérique. 

Références:

[1]Photographies d’un mégapixel. Voir ITU, 2018. AI and satellite imagery: Proposed ‘global service platform’ to scale AI for Good projects https://news.itu.int/ai-and-satellite-imagery-proposed-global-service-platform-to-scale-ai-for-good-projects/

[2] Traduction de l’Anglais: “We have recorded the whole world for a long time,” which has led to having access to this unprecedented dataset. However, due to the complexity of the world, humans have a hard time making sense out of it. However, “with AI, perhaps we can.” Voir ITU, 2018. AI and satellite imagery: Proposed ‘global service platform’ to scale AI for Good projects https://news.itu.int/ai-and-satellite-imagery-proposed-global-service-platform-to-scale-ai-for-good-projects/

[3]Voir https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/cities/

[4]Voir https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/sustainable-consumption-production/

[5]Voir https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/energy/

[6]Voir https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/water-and-sanitation/

[7] Voir ITU, 2018. How Melbourne, Australia uses AI to cut water treatment costshttps://news.itu.int/melbourne-cut-down-water-costs-using-ai/

[8] Voir Wells, H. 2018. Melbourne cuts water treatment costs using AI. Cities Today. https://cities-today.com/melbourne-cuts-water-treatment-costs-using-ai/

Que faire face à l’impérialisme de plateforme?

2019 fait suite à une année cauchemardesque pour Facebook, qui a mis en lumière la face sombre du géant technologique de la Silicon Valley. Cette année, c’est aussi une année cruciale pour le continent européen, car année d’élection du Parlement européen, dans un contexte de grande incertitude et de défiance croissante envers les institutions politiques.

 

Si certains défis ne sont pas nouveaux, d’autres sont inédits, et en particulier dans leur ampleur. Il s’agit des technologies numériques, qui ont totalement transformé les conditions d’accès à l’information pour le citoyen, permettant aux démocraties d’être à la fois plus fortes et plus vulnérables. En effet, si d’une part chaque citoyen a largement gagné en autonomie, les campagnes de désinformation ont d’autre part, et pour la même raison, gagné en puissance. Il s’agit des deux faces d’une même pièce : en remplaçant l’intermédiation des médias traditionnels tels que la presse, la radio ou la télévision, les technologies numériques, et en particulier les réseaux sociaux, ont développé l’économie de l’attention grâce à leur accès privilégié à la sphère privée des citoyens.

 

Les fausses nouvelles ont toujours existé. Mais ce sont aujourd’hui à la fois la vitesse de la transmission de l’information, la précision de l’individualisation des communications, et l’échelle géographique de la distribution de ces informations qui ont changé. Il est en effet devenu très aisé de connaître, avec une grande précision, certains attributs de la personnalité des citoyens, grâce à la collecte et l’analyse de nos données personnelles. De surcroît, il est tout aussi aisé de les micro-cibler, c’est-à-dire de choisir le type d’information sur mesure (sur le fond comme sur la forme) qui aura le plus de chance de déclencher une décision (choix d’un candidat ou refus d’une proposition de votation) ou un comportement (aller voter ou non). Sachant que nos décisions sont influencées par nos émotions, et que les réseaux sociaux véhiculent largement des informations sensationnalistes, il est donc évident que ces nouvelles plateformes sont devenues le terrain de jeu idéal pour les campagnes de désinformation. Ce que les citoyens européens ont bien compris : 73 % des utilisateurs de l’internet dans l’UE s’inquiètent de la désinformation en périodes préélectorales.[1]

 

Face à cet état des lieux, que faire ? La question de la taxation des GAFA et la lutte contre la manipulation des informations doivent être abordées au niveau national afin de mieux réguler ces plateformes – tout comme les médias traditionnels le sont –  et offrir une meilleure protection du citoyen.  Mais ces défis nécessitent une approche coordonnée du fait de leur dimension transfrontière. Seule, la Suisse ne peut avoir qu’une approche limitée. Au niveau européen, plusieurs actions sont envisagées et font sens si elles sont aussi envisagées sur le territoire national.

 

Le Plan d’action contre la désinformation de la Commission Européenne de décembre 2018 se concentre sur quatre dimensions : (1) capacités institutionnelles pour détecter les cas de désinformation, (2) coordination des actions entre institutions européennes et États, (3) mobilisation du secteur privé, et (4) sensibilisation de la population et amélioration de la résilience de la société.[2]

 

Ces quatre dimensions sont interconnectées et doivent être envisagées sur le long terme afin de protéger l’accès à l’information et les processus démocratiques régionaux, nationaux et locaux. Si la sensibilisation de la population peut passer par des campagnes d’information, elle doit aussi se baser sur l’adaptation des programmes éducatifs au niveau de chaque États, afin de développer un esprit plus critique des jeunes utilisateurs des plateformes.

 

Concernant la mobilisation du secteur privé, le Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation, signé par les grandes plateformes en ligne et le secteur de la publicité, a montré ses limites, et invite les États à développer une nouvelle régulation pour soutenir la lutte contre la désinformation, afin d’inciter, avec davantage de pression, les plateformes des réseaux sociaux à mieux identifier et réguler leur contenu. Vu la perméabilité de ces technologies, et la nonchalance des plateformes à agir sur une base volontaire, cette mesure est urgente.

 

De plus, afin de doter le continent européen d’une plus grande indépendance pour détecter les cas de désinformation et coordonner ses actions, les démocraties et leurs institutions ont besoin de s’appuyer sur des technologies qui leurs sont propres. Il est donc temps d’envisager la création et le développement d’un « Airbus » des technologies de l’information et de la communication, auquel la Suisse devrait pleinement coopérer. Cette alternative technologique régionale ne doit être ni le modèle américain (basé sur l’économie de l’attention) ni chinois (avant tout au service des désirs de puissance et de surveillance de l’État chinois), mais respecter la vision européenne de protection des données et de l’accès à l’information. Du fait de son expertise technologique, ses start-ups et ses universités d’excellence, en particulier sur l’Arc lémanique, ainsi que sa culture de démocratie directe, la Suisse aurait beaucoup à apporter à cette entreprise de grande envergure.

 

La participation de la Suisse à ces pistes de réflexion et d’action peut également être envisagée comme un point de convergence entre la Suisse et l’Union européenne : les campagnes de désinformation et la mainmise des États-Unis et la Chine sur le numérique inquiètent (ou devrait inquiéter) les deux parties. Nous sommes encore actuellement trop perméable à ces technologies et à l’impérialisme de plateforme (Jin, 2015) qu’elles véhiculent.

[1]http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-18-6648_fr.htm?locale=FR

[2]http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-18-6648_fr.htm

Le numérique et le citoyen au coeur de la protection de la biodiversité

Autrefois réservée aux scientifiques et universités, la collecte de données s’ouvre au grand public. Grâce aux technologies numériques, il est dorénavant possible d’associer les citoyens aux projets de recherche, et ainsi faire bénéficier la science d’une capacité de collecte de données inégalée.

Chacune et chacun d’entre nous peut alors devenir les yeux et les oreilles de scientifiques sur le terrain, et ainsi leur permettre de mieux suivre la migration des différentes espèces, illustrer l’évolution de certains écosystèmes ou encore surveiller les innombrables changements et évolutions au niveau local mais à une échelle mondiale.

Certaines technologies sont spécifiquement dédiées à la participation des citoyens aux observations scientifiques. Les données qu’ils génèrent sont ensuite collectées, stockées et analysées par des scientifiques, qui peuvent ainsi améliorer leurs recherches avec des données en temps réel. Plusieurs exemples permettent d’illustrer cette collaboration, qui a aussi pour bénéfice de générer encore davantage de sensibilisation et d’engagement, et donc de rapprocher la science du grand public.

Litterati est un très bon exemple de l’utilisation de données prévenant d’une collecte citoyenne. Cette startup a pour but d’identifier où sont localisés les déchets dans le monde, mais aussi leur type, leur quantité et leur évolution dans le temps. Comme les déchets sont partout, leur impact sur l’environnement est dramatique. Litterati est basée sur une communauté de citoyens qui prennent en photo des déchets là où ils se trouvent. Leurs photos sont ensuite géolocalisées, horodatées et étiquetées avec des mots-clés permettant d’identifier les marques de produits de consommation les plus courantes, et ainsi de créer des profils de déchets pour les villes et les campagne. Cela aide les administrations publiques et les entreprises à devenir plus efficaces dans leurs efforts de nettoyage et de recyclage.

Un autre exemple est le programme BirdReturns, développé par l’organisation non gouvernementale The Nature Conservancy (TNC) pour protéger la migration des oiseaux entre le Canada et le Mexique. Cette voie de migration le long de la côte de l’océan pacifique est menacée par la perte croissante de zones humides dans la vallée centrale de la Californie. Grâce à l’application pour smartphone eBird, les ornithologues amateurs peuvent ajouter les photos qu’ils prennent sur le terrain à une base de données de développée par le laboratoire d’ornithologie de l’Université de Cornell (États-Unis), et ainsi permettre de déterminer avec précision où et quand les oiseaux volent entre le Canada et le Mexique.

Ensuite, en collaboration avec TNC, l’Université de Cornell a développé un modèle de prédiction permettant de prédire avec précision quand et où les oiseaux se trouvent à n’importe quelle saison. Cela permet à TNC de collaborer avec les riziculteurs pour créer des zones humides temporaires afin que les oiseaux puissent se reposer et se nourrir. Les agriculteurs peuvent ainsi soit ajouter de l’eau à leurs champs un peu à l’avance soit la laisser un peu plus longtemps que d’habitude, et ainsi répondre aux besoins des oiseaux migrateurs. Grâce aux technologies numériques, des citoyens, une ONG, un université et des producteurs de riz ont ainsi réussi à protéger la voie des oiseaux migratoire du pacifique.

L’université de Cornell a également mis au point le projet FeederWatch pour recueillir des données auprès des milliers de personnes qui mettent à disposition de la nourriture pour les oiseaux. Ce projet de science citoyenne permet aux scientifiques d’appréhender les tendances à long terme de répartition des populations d’oiseaux. Les données indiquent quelles espèces sont repérées dans chaque région et à chaque saison, ce qui permet aux scientifiques de produire une carte très précise de la population d’oiseaux. Grâce aux données collectées par les citoyens, les scientifiques peuvent aussi mieux déterminer les causes d’extinction des oiseaux et ainsi agir avant qu’il ne soit trop tard.

En complément, l’université de Cornell a créé un autre projet de sciences citoyennes qui a pour objectif de recenser les informations sur l’habitat des différentes espèces d’oiseaux. L’application mobile NestWatch enregistre les observations des citoyens, qui sont ensuite collectées et compilées avec des milliers d’autres. Les chercheurs utilisent cette base de données pour surveiller la reproduction des oiseaux. Mais cela leur permet également de combiner ces données avec des données historiques, afin de mieux comprendre comment d’autres facteurs environnementaux tels que le changement climatique, l’urbanisation et la perte de l’habitat naturel affectent la reproduction. Sans l’aide des citoyens, il serait impossible de recueillir suffisamment d’informations pour suivre avec précision ces oiseaux.

Ces quelques exemples illustrent la puissance des technologies numériques au service de la science et de la protection de l’environnement. La science a en effet ce rôle de donner une vue en temps réel de la situation présente et de l’évolution d’un écosystème ou d’une espèce animale, afin que celui-ci, et le citoyen, puissent faire des choix informés, et décider des mesures adéquates pour protéger les espèces en danger avant qu’il ne soit trop tard.

Grâce aux observations citoyennes et leur partage avec des scientifiques et des institutions de recherche, chacune et chacun peut facilement devenir un acteur de la protection de l’environnement (parmi d’autres actions).  Le numérique devient alors un moyen de reconnexion avec la nature, avec la science, et surtout, il nous remet au cœur de la protection de la biodiversité.

« Gender divide » : quand les technologies reproduisent les inégalités de genre.

En ce 8 mars, Journée internationale des femmes[1], la question de l’accès aux technologies numériques pour les femmes doit être abordée. En effet, que ce soit au niveau mondial comme au niveau européen, le développement de compétences et d’un leadership numériques restent principalement un bastion masculin. Avant de discuter des solutions proposées, quelques considérations pour mettre en lumière la situation actuelle.

Il existe aujourd’hui un certain nombre d’instruments mondiaux pour mesurer l’égalité de genre, élaborés par des organisations internationales telles que la Banque mondiale, les Nations Unies (ONU), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et d’autres organismes tels que le Forum économique mondial (WEF). Le rapport mondial sur l’égalité de genre établi par le WEF en 2018 révèle que l’écart global entre les sexes ne s’est que légèrement réduit ces dernières années.[2]

L’Union Européenne (UE) dispose quant à elle de son propre indice d’égalité de genre, développé par l’Institut Européen pour l’Égalité de Genre (EIGE), et adapté au contexte politique de l’UE. L’indice utilise des données d’Eurostat pour mesurer les écarts entre les sexes dans six domaines principaux (emploi, revenu, savoir, temps, pouvoir et santé). Le dernier rapport, publié en 2017, comparait les tendances entre 2005 et 2015, concluant que des progrès avaient été réalisés, mais que, dans l’ensemble, l’UE et ses États membres ne sont encore qu’à la moitié du chemin à parcourir pour réaliser la pleine égalité entre hommes et femmes, et qu’il existe des divergences significatives entre les pays.[3]

Pour ce qui est compétences numériques, l’égalité entre les sexes (ou presque) a été réalisée à deux égards : 92% des garçons et des filles âgés de 16 à 19 ans utilisent Internet quotidiennement, tandis que 59% des garçons de cet âge et 55% des filles ont des compétences numériques avancées.[4]

Cependant, les filles indiquent, selon ce même rapport, qu’elles ont moins confiance en leurs compétences numériques.[5] De plus, les filles ont encore peu de perspectives de carrière dans le secteur des technologies de la communication et de l’information (TIC).[6] Et ce, malgré le fait que l’insuffisance des compétences numériques sur le marché du travail a longtemps entraîné une grave pénurie de spécialistes des TIC, et qu’une réduction de l’écart entre les sexes dans l’enseignement des science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) créerait jusqu’à 1,2 million d’emplois supplémentaires en Europe d’ici à 2050[8].  Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 17% des huit millions de spécialistes des TIC en Europe, une statistique qui a à peine changé en une décennie.[7]

Face à ce constat, quelles solutions proposer en termes de développement de compétences et de leadership numériques ? Parmi de nombreuses solutions, deux éléments sont à considérer.

Premièrement, une éducation aux technologies numériques « orientée projet » devrait permettre de prendre en compte les usages multiples du numérique, à l’école comme dans la sphère privée. Acquérir des compétences numériques, comme le codage par exemple,  n’est pas une fin en soi. Il s’agit de mettre en avant la créativité et les multiples projets que le numérique peut permettre de réaliser. Mettre en avant les innombrables réalisations que les compétences numériques permettent devrait amener davantage de filles vers les études des STIM. Ainsi, pour réduire le fossé de genre dans le domaine du numérique, il faudra incorporer dans les systèmes éducatifs, mais également dans la sphère privée, une manière plus diversifiée de percevoir les technologies, davantage basée sur ce que leur maitrise peut permettre de créer et générer.

Deuxièmement, si une approche plus « orientée projet » de l’éducation aux technologies numériques semble indispensable, la mise en avant de modèles de femmes qui ont réussi dans le numérique l’est tout autant. Le développement de compétences numériques ne peut se faire seul sans en parallèle un leadership dans le secteur des TIC plus équilibré en termes de genre. Ce ne sera pas chose simple à faire, à l’heure où les grandes multinationales technologiques restent encore majoritairement dirigées par des hommes. La COO de Facebook, Sheryl Sandberg, est encore pour l’instant un modèle assez isolé.

Ainsi, que ce soit du point de vue de l’éducation des filles que du développement des futures leaders, la question de genre nous rappelle que l’humain – ses besoins et intérêts divers – doivent redevenir au centre de nos préoccupations. C’est le moment juste de nous poser la question du type de technologie que souhaitons pour les générations à venir. Et c’est seulement à travers une adoption plus inclusive et plus diversifiée des technologies numériques que nous pourrons trouver une réponse satisfaisante à cette vaste question.

[1]Selon l’appellation officielle des Nations Unies : http://www.un.org/fr/events/womensday/

[2]Voir le « The Global Gender Gap Report 2018 » : https://www.weforum.org/reports/the-global-gender-gap-report-2018

[3]Voir le rapport de EIGE « 2018 Report on equality between women and men in the EU » :  https://eige.europa.eu/gender-equality-index/about

[4]Voir le rapport “Maximising opportunities, minimising risks meeting the digital challenge

for girls and boys” publié le 27 Février 2019 par EIGE : https://eige.europa.eu/sites/default/files/documents/final_annex_3_joint_jha_agencies_paper_on_opportunities_and_risks_of_digitalisation.pdf, p.4

[5]Ibid.

[6]Ibid.

[7]Ibid.

[8]Ibid.