Quel modèle de démocratie va perdurer au 21ème siècle ?

Notre modèle de démocratie libérale n’est pas un fait acquis. Plusieurs défis s’annoncent et requièrent notre engagement. Si le numérique présente de nouveaux défis, il n’est néanmoins pas la cause de tous les maux. Probablement un accélérateur. Mais il s’agit aussi de mieux communiquer sur l’attractivité et les valeurs de la démocratie pour les plus jeunes générations.

Influence des Technologies Numériques

Les récentes infractions à la protection des données et autres lois électorales nous ont rappelé que les mondes académique et politique se devaient d’explorer les répercussions potentielles des nouvelles technologies sur la société et les processus démocratiques. De tout temps des dirigeants politiques ont tenté d’obtenir des informations personnelles et confidentielles de leurs populations. Ce qui est aujourd’hui nouveau, c’est la concentration de ces données aux mains d’entreprises technologiques, sans réelle valeur humaniste et ne visant pas l’intérêt général. C’est aussi la rapidité de la collecte de ces données et leur accessibilité qui sont nouveaux. Un grand nombre d’entreprises de communication et de marketing politique utilisent par exemple les réseaux sociaux pour diffuser des messages, collecter et vendre des données personnelles d’utilisateurs, avec ou sans leur consentement.[ii]

Aujourd’hui, de nombreux chercheurs et décideurs politiques se demandent si les démocraties libérales pourront survivre dans un monde où le virtuel et le réel s’entremêlent en permanence.[iii] Grâce aux données collectées, les technologies numériques permettent d’influencer la façon dont les individus pensent et forment leur opinion, ce qui est particulièrement inquiétant à une époque où les divisions actuelles de nos sociétés sont profondes. En novembre 2018, Joseph Stiglitz, Shirin Ebadi, Mario Vargas Llosa font partie des vingt-cinq personnalités qui appelaient à « établir des garanties démocratique » pour protéger la liberté d’opinion.

Les technologies numériques sont en effet omniprésentes. Les plateformes de réseaux sociaux, les blogs et les sites web offrent la visibilité et l’audience dont certains ont toujours rêvé. Un large éventail d’acteurs, dont les citoyens, consomment, produisent et diffusent de l’information à la vitesse du Wi-Fi. Dans ce contexte d’abondance de l’information, il peut sembler évident de tirer la conclusion que les citoyens sont mieux informés qu’auparavant. Cependant, comme l’a montré Eli Pariser[iv], les technologies numériques ont tendance à isoler les citoyens dans des bulles de filtrage, et à ne donner accès qu’à des informations présélectionnées.

Si les plateformes de réseaux sociaux sont progressivement devenues un défi pour la démocratie, l’intelligence artificielle (IA) a le potentiel d’être une menace encore plus dangereuse dans les années à venir[v]. D’autant plus que l’IA est principalement développée par un nombre restreint d’entreprises technologiques en toute opacité[vi]. Face à la question de la singularité technologique, quelle IA souhaitons-nous au sein des démocraties libérales ? C’est le message qui est au cœur de la “Charte de l’éthique de l’IA” de l’Union Européenne, qui préconise un développement de l’IA en accord avec les valeurs démocratiques européennes.

Émergence de mouvements sociaux

Alors que le modèle de démocratie libérale doit s’adapter à une nouvelle donne technologique, et à des acteurs étatiques et non-étatiques, interne et étrangers, qui luttent activement contre ce même modèle, de nombreux mouvements sociaux ont émergés cette dernière décennie pour réclamer davantage d’équité et de solidarité, et pousser les gouvernements à prendre des mesures contre le changement climatique. La société civile a en effet su utiliser les outils numériques pour s’organiser et gagner en visibilité. Le mouvement « FridaysforFuture » en est un exemple récent : la jeunesse prend la rue pour exprimer son inquiétude face à un futur incertain et à l’immobilité des états face à la question du climat. Mais précédemment « Los indignados », « Les Gilets Jaunes » ou encore « Occupy Wall Street » ont mis en lumière cette nouvelle manière de participer politiquement. Et ce, alors que la participation politique traditionnelle est en déclin dans un grand nombre de démocraties libérales.

Ce double mouvement, à la fois de mise en défi des processus démocratiques traditionnels (votes, référendum, élection) et de recrudescence de nouveaux mouvements sociaux, pose donc une question de gouvernance. Tout comme les défis posés par la généralisation du numérique. Quel modèle de démocratie sera suffisamment robuste et attractif pour perdurer au 21ème siècle ?

 

Références mentionnées dans le texte:

[i] Conférence organisée conjointement par le Centre Européen de la Culture et le CCDSEE le 21 novembre 2019 « discours intitulé « Les Désenchantements de la Démocratie Post-Moderne »

[ii] Voir Chester,J. & Montgomery, K.C., 2017. The role of digital marketing in political campaigns. Internet Policy Review, 6(Issue 4), Internet Policy Review, 01 December 2017, 6-4; Gilens, M., 2014. Affluence and Influence: Economic Inequality and Political Power in America. Princeton, NJ: Princeton University Press; Koc-Michalska, K. & Lilleker, D., 2017. Digital Politics: Mobilization, Engagement, and Participation. Political Communication, 34(1), 1-5 ; O’Neil, C., 2016. Weapons of Math Destruction: How Big Data Increases Inequality and Threatens Democracy. New York: Crown Publishers; Veale, T. & Cook, M., 2018. Twitterbots: Making Machines that Make Meaning. Cambridge, MA: MIT Press; Wu, T. 2016. The Attention Merchants: The Epic Scramble to Get Inside Our Heads. New York, NY: Alfred A. Knopf ; Zuboff, S., 2019. The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power. New York, NY: PublicAffairs Publisher.

[iii] Voir Birch, S., et al. 2013. Divided Democracy: Political Inequality in the UK and Why it Matters. London: IPPR; Harari, Y.N., 2017. Dataism Is Our New God. New Perspectives Quarterly, 34(2), 36-43; Margetts, H., 2019. Rethinking democracy with social media. Political Quarterly. 90, 107-123; Mounk, Y., 2018. The People vs. Democracy: Why Our Freedom Is in Danger and How to Save It. Cambridge, MA: Harvard University Press; Webb, A., 2019. The Big Nine: How the Tech Titans and Their Thinking Machines Could Warp Humanity. New York, NY: PublicAffairs.

[iv] Voir Pariser, E., 2012. The filter bubble : how the new personalized web is changing what we read and how we think. New York, N.Y.: Penguin Books/Penguin Press.

[v] Webb, A., 2019. Op. Cit.

[vi] Ford, M., 2018. Architects of Intelligence: The truth about AI from the people building it. Birmingham, UK: Packt Publishing; Lee, K-F., 2018. AI Superpowers: China, Silicon Valley, and the New World Order. Boston, MA: Houghton Mifflin Harcourt.

[vii] Voir Parvin, Phil. 2017. Democracy, Capital, and the Rise of the New Inequality. Political Theory 45(6): 863–876.

Jérôme Duberry

Jérôme Duberry est enseignant-chercheur Post-Doc au Centre de Compétences Dusan Sidjanski en Études Européennes, Global Studies Institute, Université de Genève, et chercheur associé à l’IHEID. Ses activités de recherche s'articulent autour de la convergence entre technologies numériques, politique et développement durable (ODD).

3 réponses à “Quel modèle de démocratie va perdurer au 21ème siècle ?

  1. Il faudrait d’abord définir la démocratie libérale dont on parle.

    Pendant longtemps en Europe de l’ouest et surtout en Suisse, nous avons pensé vivre dans une bonne démocratie libérale qui fonctionnait. Ce n’est plus le cas.

    La vraie démocratie pour qu’elle soit digne de ce nom et légitime, doit impérativement être capable d’accepter les votes populaires qui déplaisent à l’élite, qui doit se soumettre ou se démettre.

    Par exemple il faut accepter les votes exprimant une volonté souverainiste, ou les votes exigeant un meilleur contrôle de l’immigration. Or ces votes sont annullés par le pouvoir. Par conséquenet nous ne vivons plus en démocratie.

    Le référendum du 29 mai 2005 rejetant à 55% de majorité le traité constitutionnel Giscard scélérat, a été supprimé par un escamotage politique au terme duquel un traité de Lisbonne a été adopté au forceps, qui était le copié collé du traité Giscard caduc. En Suisse, des textes constitutionnels adoptés par le souverain comme l’article 121 a de la constitution fédérale sont foulés aux pieds par le pouvoir. Donc, même la Suisse n’est plus une démocratie libérale, ni même une vraie démocratie, et encore moins une démocratie semi directe.

    Par conséquent dans toute l’Europe on ne peut plus parler de démocratie du tout mais d’une nouvelle forme de despotisme éclairé.

    Dans la pseudo démocratie libérale, le libéralisme idéologique woke et la cancel culture, devenus des dogmes, priment désormais sur le pouvoir du peuple qui est taxé de populisme. C’est un comble. Par dessus le marché, en ce moment nous vivons une expérimentation à l’échelle mondiale de mise en scène sous prétexte d’une fausse pandémie qui serait déjà en train de disparaître si on l’avait traitée de la même manière qu’on a traité la grippe de Hong Kong en 1969. Moyennant une propagande mensongère et scandaleuse on refuse de soigner les gens alors que la maladie a une létalité extrêmemnent faible et on séquestre les gens chez eux en déolissant l’économie pour effectuer un great reset faisant passer le régime en mode de surveillance généalisée et traçage électronique des allées et venues des gens.

    Alors s’il vous plaît: cessez l’hypocrisie. Ceci est le contraire de la démocratie. C’est la forme de tyrannie la plus perverse et la plus implacable jamais connue dans toute l’histoire.

    Le libéralisme antidémocratique à tendance totalitaire, renforcé par la surveillance généralisée sous prétexte sanitaire est désormais le vrai régime sous lequel nous vivons. Ce n’est plus une démocratie en aucune manière. L’autre alternative réelle existante est la démocratie illibérale, théorisée par Victor Orban. La vraie démocratie libérale que nous avons encore connue en Suisse au XXe siècle est morte.

    Il faut lire l’essai intitulé Le diable dans la démocratie de Ryszard Legutko, un eurodéputé et professeur de philosophie appartenant au parti PiS, actuellement au pouvoir en Pologne et décrié par les médias chez nous. Il fait la plus convainquante critique de la pseudo démocratie libérale dans laquelle nous vivons.

    Il explique que pendant la guerre froide, lui est ses compagnons dissidents ont lutté contre le communisme totalitaire en aspirant à une démocratie libérale. Ils voyaient la démocratie libérale comme le régime de la liberté d’opinion et du débat d’idées où les conceptions opposées peuvent s’affronter librement. Les dissidents comme lui ont combattu aussi au nom de la Nation et, surtout en Pologne, de la religion. Ils espéraient vivre un jour dans une démocratie libérale ou il serait permis d’être patriote et d’avoir une foi religieuse.

    Puis le rideau de fer est tombé et les gens comme Legutko ont découvert le vrai visage de la démocratie libérale. Ce n’était pas ce à quoi ils aspiraient. Notre démocratie était une dictature de l’opinion progressiste rappelant Saint Just: Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Il a découvert également qu’en réalité les ex-communistes de l’est, reconvertis en profiteurs du nouveau système, avaient en réalité beaucoup plus d’affinités avec les “libéraux” progressistes athées de l’ouest, qu’avec ceux qui comme lui avaient combattu pour la démocratie contre le communisme. Immédiatement il y a eu une entente profonde entre ces crypto communistes et les libéraux de l’ouest, CONTRE les démocrates conservateurs patriotes et chrétiens de l’est, au nom de la pensée woke, métisseuse, sansfrontièriste et LGBTQIAP+++++ etc. Et cette entente n’hésite pas à persécuter ses dissidents, notamment les chrétiens, de la même fa4on que le faisaient les communistes.

    Il a été dégoûté profondément de cette fausse démocratie hypocrite libérale et totalitaire et il a écrit ce livre percutant.

    A lire absolument: Le diable dans la démocratie, tentations totalitaires au coeur des sociétés libres. Ryszard Legutko. Traduction française aux éditions de L’artilleur ISBN 978-2-81001-008-0 22

  2. La démocratie néo libérale est une forme de la démocratie libérale. Je ne suis pas pour. Je serais pour la démocratie libérale si ça signifiait le respect des libertés publiques. Mais la démocratie libérale telle qu’elle est pratiquée par l’Union Européenne et le pouvoir US woke, est une tyrannie totalitaire progressiste. J’adhère complètement à la critique de Ryszard Legutko.

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