Plus de global et virtuel doit aller de pair avec plus de local et présentiel

Sous une forme virtuelle, la distanciation sociale un phénomène qui existe déjà entre citoyen-n-e-s depuis la généralisation des outils numériques. Le Covid-19 n’a fait que renforcer l’intermédiation de nos relations par le numérique. Cependant, pour créer un avenir commun, il faut nécessairement du lien et des valeurs communes qui atténuent les effets de polarisation et d’isolement des réseaux sociaux et du virtuel: plus de numérique « global et virtuel » doit aller de pair avec davantage de participation citoyenne « locale et présentielle ».

Les technologies numériques sont omniprésentes. Les plateformes de réseaux sociaux, les blogs et les sites web offrent la visibilité et l’audience dont certains ont toujours rêvé. Un large éventail d’acteurs, dont les citoyens, consomment, produisent et diffusent de l’information à la vitesse du Wi-Fi. Dans ce contexte d’abondance de l’information, il peut sembler évident de tirer la conclusion que les citoyen-n-e-s sont plus en lien qu’auparavant.

Cependant, comme l’a montré Eli Pariser [1], les technologies numériques ont tendance à isoler les citoyen-n-e-s dans des bulles de filtrage, et à ne donner accès qu’à des informations présélectionnées. Un grand nombre d’entreprises de communication et de marketing politique utilisent par exemple les réseaux sociaux pour diffuser des messages, collecter et vendre des données personnelles d’utilisateurs, avec ou sans leur consentement [2]. Grâce aux données collectées, les technologies numériques permettent d’influencer la façon dont les individus pensent et forment leur opinion, ce qui renforce la politisation et les divisions au sein des sociétés.

Ce qui est aujourd’hui nouveau, c’est la concentration de ces données aux mains d’entreprises technologiques, sans réelle valeur humaniste et ne visant pas la cohésion sociale ni l’intérêt général. Si les plateformes de réseaux sociaux sont progressivement devenues un défi pour la démocratie, l’intelligence artificielle (IA) a le potentiel d’être une menace encore plus dangereuse dans les années à venir [4]. D’autant plus que l’IA est principalement développée par un nombre restreint d’entreprises technologiques en toute opacité.

Ces technologies numériques, actuelles et émergente, présentent de nombreux défis, qui sont de mieux en mieux connus des gouvernements et citoyen-n-e-s. Cependant, un aspect, souvent oublié des débats sur le rôle du numérique dans nos sociétés, a refait surface à travers le Covid-19. En effet, cette pandémie a renforcé une distanciation virtuelle, qui existait cependant déjà entre citoyen-n-e-s depuis la généralisation des outils numériques. Nous utilisons des outils comme Zoom, Webex ou Meet pour enseigner et organiser des réunions professionnelles. Nous contactons nos familles et ami-e-s sur Facebook, Twitter et les autres plateformes de réseaux sociaux.

Cette distanciation et intermédiation “numérique” n’est cependant pas sans conséquence. En effet, les plateformes peuvent aider à organiser et coordonner de grandes manifestations, cependant elles peuvent aussi contribuer à isoler les citoyen-n-e-s et les délocaliser dans un territoire virtuel, sans lien avec une réalité tangible et concrète. La polarisation auxquelles font face certaines démocraties libérales est aussi à mettre en lien avec la distance qui s’est créée entre citoyen-n-e-s qui ne communiquent plus que par l’intermédiation de réseaux sociaux, sans lien avec une réalité tangible et locale. En d’autres termes, rien ne remplace le dialogue présentiel entre citoyen-n-e-s.

Nous pouvons être en accord ou désaccord avec les demandes des mouvements « FridaysforFuture », « Black Lives Matter » ou encore « Les Gilets Jaunes ». Il n’en reste pas moins que ces mouvements mettent en mouvement des discussions, réflexions et transformations sur la manière dont nous souhaitons vivre ensemble, aujourd’hui et demain, au niveau local et national.

La société civile a donc un rôle essentiel à jouer pour soutenir les efforts en faveur d’une société plus juste, d’un environnement plus sain et d’une économie plus durable. Les grands mouvements sociaux ont non seulement le bénéfice premier de faire avancer des causes comme la lutte contre le changement climatique, mais aussi de créer du lien entre les citoyen-n-e-s. Ce lien est nécessaire, car il permet de réunir des individus aux avis et intérêts divergents, au sein d’une même communauté ou nation. Ce lien rappelle notre histoire, nos valeurs communes, et notre humanité.

À l’heure de l’information en continu, et des plateformes des réseaux sociaux qui créent du lien virtuel, nous avons besoin de renforcer la démocratie au niveau local. C’est à travers une démocratie locale et participative que nous pouvons définir l’avenir d’une ville, d’un territoire et d’un pays. Ainsi, c’est peut-être une des leçons à tirer de la pandémie de Covid-19 : plus de numérique « global et virtuel » doit aller de pair avec davantage de participation « locale et présentielle ».

Références

[1] Voir Pariser, E., 2012. The filter bubble : how the new personalized web is changing what we read and how we think. New York, N.Y.: Penguin Books/Penguin Press.

[2] Voir Chester,J. & Montgomery, K.C., 2017. The role of digital marketing in political campaigns. Internet Policy Review, 6(Issue 4), Internet Policy Review, 01 December 2017, 6-4; O’Neil, C., 2016. Weapons of Math Destruction: How Big Data Increases Inequality and Threatens Democracy. New York: Crown Publishers; Wu, T. 2016. The Attention Merchants: The Epic Scramble to Get Inside Our Heads. New York, NY: Alfred A. Knopf ; Zuboff, S., 2019. The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power. New York, NY: PublicAffairs Publisher.

[3] Harari, Y.N., 2017. Dataism Is Our New God. New Perspectives Quarterly, 34(2), 36-43; Margetts, H., 2019. Rethinking democracy with social media. Political Quarterly. 90, 107-123; Mounk, Y., 2018. The People vs. Democracy: Why Our Freedom Is in Danger and How to Save It. Cambridge, MA: Harvard University Press.

[4] Webb, A., 2019. The Big Nine: How the Tech Titans and Their Thinking Machines Could Warp Humanity. New York, NY: PublicAffairs.

[4] Ford, M., 2018. Architects of Intelligence: The truth about AI from the people building it. Birmingham, UK: Packt Publishing; Lee, K-F., 2018. AI Superpowers: China, Silicon Valley, and the New World Order. Boston, MA: Houghton Mifflin Harcourt.

[5] Voir Parvin, Phil. 2017. Democracy, Capital, and the Rise of the New Inequality. Political Theory 45(6): 863–876.

Jérôme Duberry

Jérôme Duberry est enseignant-chercheur Post-Doc au Centre de Compétences Dusan Sidjanski en Études Européennes, Global Studies Institute, Université de Genève, et chercheur associé à l’IHEID. Ses activités de recherche s'articulent autour de la convergence entre technologies numériques, politique et développement durable (ODD).