« Gender divide » : quand les technologies reproduisent les inégalités de genre.

En ce 8 mars, Journée internationale des femmes[1], la question de l’accès aux technologies numériques pour les femmes doit être abordée. En effet, que ce soit au niveau mondial comme au niveau européen, le développement de compétences et d’un leadership numériques restent principalement un bastion masculin. Avant de discuter des solutions proposées, quelques considérations pour mettre en lumière la situation actuelle.

Il existe aujourd’hui un certain nombre d’instruments mondiaux pour mesurer l’égalité de genre, élaborés par des organisations internationales telles que la Banque mondiale, les Nations Unies (ONU), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et d’autres organismes tels que le Forum économique mondial (WEF). Le rapport mondial sur l’égalité de genre établi par le WEF en 2018 révèle que l’écart global entre les sexes ne s’est que légèrement réduit ces dernières années.[2]

L’Union Européenne (UE) dispose quant à elle de son propre indice d’égalité de genre, développé par l’Institut Européen pour l’Égalité de Genre (EIGE), et adapté au contexte politique de l’UE. L’indice utilise des données d’Eurostat pour mesurer les écarts entre les sexes dans six domaines principaux (emploi, revenu, savoir, temps, pouvoir et santé). Le dernier rapport, publié en 2017, comparait les tendances entre 2005 et 2015, concluant que des progrès avaient été réalisés, mais que, dans l’ensemble, l’UE et ses États membres ne sont encore qu’à la moitié du chemin à parcourir pour réaliser la pleine égalité entre hommes et femmes, et qu’il existe des divergences significatives entre les pays.[3]

Pour ce qui est compétences numériques, l’égalité entre les sexes (ou presque) a été réalisée à deux égards : 92% des garçons et des filles âgés de 16 à 19 ans utilisent Internet quotidiennement, tandis que 59% des garçons de cet âge et 55% des filles ont des compétences numériques avancées.[4]

Cependant, les filles indiquent, selon ce même rapport, qu’elles ont moins confiance en leurs compétences numériques.[5] De plus, les filles ont encore peu de perspectives de carrière dans le secteur des technologies de la communication et de l’information (TIC).[6] Et ce, malgré le fait que l’insuffisance des compétences numériques sur le marché du travail a longtemps entraîné une grave pénurie de spécialistes des TIC, et qu’une réduction de l’écart entre les sexes dans l’enseignement des science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) créerait jusqu’à 1,2 million d’emplois supplémentaires en Europe d’ici à 2050[8].  Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 17% des huit millions de spécialistes des TIC en Europe, une statistique qui a à peine changé en une décennie.[7]

Face à ce constat, quelles solutions proposer en termes de développement de compétences et de leadership numériques ? Parmi de nombreuses solutions, deux éléments sont à considérer.

Premièrement, une éducation aux technologies numériques « orientée projet » devrait permettre de prendre en compte les usages multiples du numérique, à l’école comme dans la sphère privée. Acquérir des compétences numériques, comme le codage par exemple,  n’est pas une fin en soi. Il s’agit de mettre en avant la créativité et les multiples projets que le numérique peut permettre de réaliser. Mettre en avant les innombrables réalisations que les compétences numériques permettent devrait amener davantage de filles vers les études des STIM. Ainsi, pour réduire le fossé de genre dans le domaine du numérique, il faudra incorporer dans les systèmes éducatifs, mais également dans la sphère privée, une manière plus diversifiée de percevoir les technologies, davantage basée sur ce que leur maitrise peut permettre de créer et générer.

Deuxièmement, si une approche plus « orientée projet » de l’éducation aux technologies numériques semble indispensable, la mise en avant de modèles de femmes qui ont réussi dans le numérique l’est tout autant. Le développement de compétences numériques ne peut se faire seul sans en parallèle un leadership dans le secteur des TIC plus équilibré en termes de genre. Ce ne sera pas chose simple à faire, à l’heure où les grandes multinationales technologiques restent encore majoritairement dirigées par des hommes. La COO de Facebook, Sheryl Sandberg, est encore pour l’instant un modèle assez isolé.

Ainsi, que ce soit du point de vue de l’éducation des filles que du développement des futures leaders, la question de genre nous rappelle que l’humain – ses besoins et intérêts divers – doivent redevenir au centre de nos préoccupations. C’est le moment juste de nous poser la question du type de technologie que souhaitons pour les générations à venir. Et c’est seulement à travers une adoption plus inclusive et plus diversifiée des technologies numériques que nous pourrons trouver une réponse satisfaisante à cette vaste question.

[1]Selon l’appellation officielle des Nations Unies : http://www.un.org/fr/events/womensday/

[2]Voir le « The Global Gender Gap Report 2018 » : https://www.weforum.org/reports/the-global-gender-gap-report-2018

[3]Voir le rapport de EIGE « 2018 Report on equality between women and men in the EU » :  https://eige.europa.eu/gender-equality-index/about

[4]Voir le rapport “Maximising opportunities, minimising risks meeting the digital challenge

for girls and boys” publié le 27 Février 2019 par EIGE : https://eige.europa.eu/sites/default/files/documents/final_annex_3_joint_jha_agencies_paper_on_opportunities_and_risks_of_digitalisation.pdf, p.4

[5]Ibid.

[6]Ibid.

[7]Ibid.

[8]Ibid.

Jérôme Duberry

Jérôme Duberry est enseignant-chercheur Post-Doc au Centre de Compétences Dusan Sidjanski en Études Européennes, Global Studies Institute, Université de Genève, et chercheur associé à l’IHEID. Ses activités de recherche s'articulent autour de la convergence entre technologies numériques, politique et développement durable (ODD).