Les caisses-maladie low cost : un poison prescrit par la concurrence.

Refuser des nouveaux patients affiliés à la caisse-maladie Assura, c’est le choix fait à contrecœur par certains médecins généralistes du canton de Neuchâtel, submergés par les tracasseries administratives de de l’assureur. Dans le contexte de pénurie de médecins, cette décision inattendue est évidemment désastreuse pour les patients. Elle est malheureusement la conséquence d’une collaboration devenue de plus en plus difficile avec certaines caisses-maladie qui, pour des raisons concurrentielles, se profilent dans un modèle low cost, au détriment des patients les plus vulnérables, des médecins généralistes et du système de santé dans son ensemble.

Concurrence ou sélections des bons risques ?

La LAMal (loi sur l’assurance maladie) consacre le principe de concurrence entre les caisses-maladie, censée promouvoir l’innovation et la réduction des coûts. Étant donné que les assureurs fournissent exactement le même service (contrôle des factures et remboursement des coûts), leur marge de manœuvre est très restreinte. Les principales interventions des caisses-maladie consistent à attirer les patients jeunes et en bonne santé, ce que l’on appelle sélection des bons risques. Elles n’hésitent pas à investir plus de cent millions de francs par années dans des campagnes marketing – sur le dos des assurés. Ces campagnes peuvent prendre la forme de publicité ou de promotion de la santé déguisée. Ainsi, quand une assurance incite ses clients à se rendre au fitness, elle ne fait qu’attirer les patients déjà sportifs et en bonne santé.

Un coûteux renoncement aux soins

D’autres caisses-maladie sélectionnent les bons risques à travers un modèle bas de gamme. En échange de primes sensiblement plus basses, elles offrent un service minimal. L’assuré avance lui-même les frais médicaux et de pharmacie et se fait rembourser une fois la franchise atteinte. Malheureusement, les patients en bonne santé ne sont pas les seuls à être attirés par ces primes basses. L’augmentation continue des primes maladies poussent de nombreux ménages des classes moyennes et populaires à opter pour ces assurances, que ce soit pour des raisons économiques ou par méconnaissance du système de santé.

Pour ces patients la frontière entre responsabilité et renoncement aux soins est très floue. En 2016, plus d’un quart des patients en suisse a déclaré avoir renoncé à consulter un médecin pour des raisons financières. Ces renoncements sont coûteux pour le système de santé, puisque les maladies mal traitées finissent en général par générer davantage de coûts par la suite. Les intérêts des assurances ne coïncident pas toujours avec celui des patients et du système de santé.

Un système de santé qui creuse les inégalités

Cela fait des années que les primes d’assurance augmentent et pèsent de plus en plus dans l’économie des ménages. Dans une société où les déterminants de la santé sont inégalement répartis – l’exposition au sucre et aux graisses, à la fumée, à l’alcool et au stress dépend entre autres de facteurs socio-économiques –, et où le financement des soins est l’un des plus inégalitaires dans le monde, nous risquons de voir s’agrandir une discrimination dans l’accès aux soins.

Contrôler ou harceler ?

La vérification des factures par les assureurs est un moyen de lutter contre les prestations non indiquées et la surmédicalisation. Un contrôle efficace et ciblé demande toutefois un personnel formé, des médecins conseil, et toute la structure administrative permettant de rendre des réponses rapides, et d’ouvrir un dialogue avec les médecins sur les cas limites. Ce n’est assurément pas le cas pour les assurances dont il est question. De nombreux médecins relèvent les difficultés à entrer en contact, l’opacité de certaines décisions, la réception de très nombreuses demandes de justifications chronophages – y compris pour des soins de bases – et une intransigeance dans les demandes de remboursements des soins qui se situent dans la zone grise existant entre médicaments indiqués dans le traitement de maladies spécifiques et ceux inscrits dans le catalogue de prestations remboursées. Soigner un patient atteint d’une maladie chronique affilié à une de ces caisses peut devenir un véritable chemin de croix, pour le médecin et le malade. Tout se passe comme si les assurances low cost tendaient à se décharger d’une partie de leurs prérogatives de gestion et de contrôle sur les médecins eux-mêmes.

Pas suffisamment de médecins généralistes et trop de caisses-maladie ?

En considérant le médecin comme un problème et un coût plutôt qu’une partie de la solution, les assurances s’enferment dans une impasse. Car les médecins généralistes sont des acteurs essentiels de notre système de santé, rendus encore plus indispensables par l’épidémie de maladies chroniques à laquelle nous faisons face. Leur expérience et leur formation en font des alternatives à de coûteuses consultations chez des spécialistes (inutile d’aller chez un ophtalmologue pour un œil rouge), permettent de désengorger les services d’urgences et d’éviter des hospitalisations. La relation nouée avec les patients sur le long terme fait du médecin de premier recours l’interlocuteur de choix pour les questions de prévention, promotion de la santé, vaccination et discussion de l’indication aux nombreux examens inutiles que notre société allergique au risque encourage. Notre système de santé souffre du manque de médecins. Peut-être que le moment est venu de réaliser qu’il souffre également de la pléthore de caisses-maladie ?

 

Image par ar130405 de Pixabay

 

Jérémie André

Jérémie André est médecin, doctorant à l’Université de Lausanne et écrivain. Au carrefour entre médecine, psychiatrie et sciences humaines, ce blog aborde des thèmes de société avec un regard de clinicien. Crédit photo : Céline Michel

11 réponses à “Les caisses-maladie low cost : un poison prescrit par la concurrence.

  1. La médecine est un art…la relation patient-médecin est d’une importance capitale dans le succès d’un traitement/guérison. Il y a très longtemps maintenant que cette relation est entachée de relations argent/méfiance , il ne faut pas oublier que les caisses-maladies sont avant tout des organismes financiers et non pas humanitaires, de même que la médecine peut être pratiquée dans un but mercantile qui n’a plus rien à voir avec une “vocation”, dommage pour notre société, il serait peut-être temps de faire un examen de conscience si on veut que cet art redevienne ce qu’il devrait être dans l’intérêt de tous et que les intervenants (caisses-maladies) soient gérés sans profits! et avec des salaires décents du plus petit poste au plus haut.

  2. “Étant donné que les assureurs fournissent exactement le même service (contrôle des factures et remboursement des coûts)” dites-vous.

    C’est au minimum inexact, en témoignent par exemple les systèmes de télémédecine. Ils ont été mis en place par ces mêmes assureurs en Suisse au minimum dix ans avant la France, et permettent d’être orienté directement vers le bon spécialiste. Dans un certain nombre de cas, le télémédecin a fait le diagnostic, établit l’ordonnance et m’a évité le déplacement, le tout… gratuitement.

    Les caisses maladie ont mauvaise presse en Suisse, et ce blog ne fait pas exception. Loin de moi l’idée de défendre Assura – d’autant que je ne connais rien à son sujet. Mais prendre partie pour le ‘bon’ médecin, qui prescrit uniquement à raison, contre le ‘méchant’ assureur, sans s’interroger pas sur les dépenses qui galopent, ni sur les actes inutiles, ni sur le niveau de rémunération du corps médical…

    Une fois de plus, la solution serait dans la réduction du nombre de caisses, voire leur étatisation ? Pourtant, celle ci ne réduirait pas le montant des soins à rembourser. Et côté frais de gestion, la sécurité sociale française est le parfait contre-exemple !

    La réforme de la régulation du système de soin reste à faire, sauf qu’il ne me semble pas que le sujet soit traité par qui que ce soit…

    1. Merci pour votre commentaire argumenté. La fonction de contrôle des coûts est indispensable, je suis d’accord avec vous. Le problème, c’est qu’elle est aujourd’hui effectuées dans une opacité totale, par une soixantaine de caisses qui ne communiquent pas entre elle. C’est donc des données essentielles pour le pilotage de notre système de santé qui sont perdues.
      Oui, la rémunération de certaines médecins est scandaleuse, mais cela ne concerne généralement pas les médecins généralistes.

      Une assurance unique ne ferait pas baisser de beaucoup les couts de la santé – mais probablement permettrait de combattre un certain nombre d’inégalité, offrirait de la transparence, abolirait la sélection des risques, et pourrait intervenir de manière plus efficace dans la prévention.

      Malheureusement, le lobbie des assurances (qui, à chaque législature, achète les membres du centre et de droite de la commission santé) est bien plus présent que le lobbie des médecins.

      1. La caisse unique permettrai de plus une gestion honnête des réserves. Mais comme vous le concluez bien, ce n’est pas prêt d’arriver, pas plus que dans la prévoyance vieillesse. Pour le profit de quelques uns, au détriment de tous.

  3. Abus de la position dominante sur le marché de la part des fournisseurs de prestations.

    La Comco va leur rappeler que c’est illégal …

    On peut ne pas aimer les tracasseries administratives, mais les montagnes neuchateloises font (statistiquement) fort en matière de polypragmasie… des contrôles sont donc nécessaires.

    “abolirait la sélection des risques”
    Faudra nous expliquer comment une caisse qui ne peut de par la loi pas refuser des assurés “sélectionne les risques”. 😉

    On peut rêver d’une sécu à la française, soit d’un ogre en matière de tracasseries administratives, mais rester un tantinet objectif dans ses critiques. 🤗

    1. Vous niez que certaines caisse pratique cette sélection des risques ? Vous avez donc réalisé le rêve de E.Musk, et vivez déjà sur mars. La loi est une chose, sont respect une autre.

    2. Bonjour Monsieur Rêveur,
      Je ne comprends pas tellement votre concept de la position dominante des fournisseurs de prestations.
      Nous sommes payés pour ce que nous effectuons comme travail (prestations) dans un cadre strict définit par la loi et paraphé par notre adhésion au Tarmed en faisant partie des sociétés médicales cantonales. Ces dernières contrôlent le comportement des médecins, non seulement sur leur pratique de tarification (en collaboration avec les assureurs) mais également sur le bon respect du code éthique, la bonne pratique entre autres.
      Nous n’avons pas de position dominante puisque la majorité des fournisseurs de prestations évoluent de manière indépendante et sous leur responsabilité dans ce cadre et se battent pour une amélioration de la prise en charge de nos malades.
      L’assurance dans le système de santé ne paie pas (ce sont les assurés et les contribuables) et ne soigne pas (ce sont les fournisseurs de prestations). Leur rôle définit par la Lamal est le contrôle des prestations (économicité).
      De plus savez-vous que ce que les gens sortent de leur poche (out of the pocket, c.-à-d. les franchises, cote part, paiement de soins ou de médicaments non remboursés) est à quelques centaines de millions près (sur 24 milliards) équivalent à ce que les assureurs remboursent au système de santé ?
      J’aimerai aussi attirer votre attention sur le fait que les assureurs maladie prennent en charge 24 milliards sur les 80 milliards du coût de la santé. Le surplus est payé par les impôts des contribuables.
      J’aimerais citer un effet pervers un de la sélection des risques, qui est celle de mettre en danger la sacro-sainte solidarité qui est un des principes fondateurs des assurances maladies (assurances sociales) avec pour effet la construction d’un système qui favorise les gens en bonne santé ou plutôt pénalise les malades. Contrairement à tout système économique, on ne choisit pas d’être malade comme on choisirait un objet de consommation. Le malade (consommateur de soins) et par là même doublement pénalisé.
      Pour terminer j’aimerais porter à votre connaissance un autre effet pervers du système qui doit être réformé.
      Les fournisseurs de prestations évoluant dans le cadre du Tarmed, sont payés à l’acte, cela veut dire que plus vous pratiquez d’actes mieux vous êtes remboursé.
      Ceci induit un effet pervers qui rétribue sur une base quantitative plutôt que qualitative. C’est un thème largement débattu dans le monde, mais savez-vous qu’en Suisse toute prestation liée à la prévention n’est pas remboursée, si ce n’est pour la sélection des risques?
      Nous devons en tant que citoyen avoir une réflexion qui dépasse les problématiques échangées dans vos propos. Nous arrivons au maximum du financement des soins et les traitements, bien que pour certains beaucoup plus performants, sont de plus en plus pointus et chers.
      Il faudra faire un choix, nous ne pourrons pas traiter tout le monde. Une des réponses et de miser sur la qualité et la prévention (accompagner les gens, les évaluer, adapter l’activité physique à la personne, etc) et comme par hasard cela n’est pas valorisé dans notre système.
      Vous constaterez que le monde de la santé n’est pas aussi trivial et manichéen que celui que l’on essaie de dépeindre.
      Soyons solidaires et le monde ira mieux

      1. “Nous n’avons pas de position dominante puisque la majorité des fournisseurs de prestations évoluent de manière indépendante et sous leur responsabilité…”

        L’ordre des avocats a dit la même chose, et lui ne faisait que recommander un tarif horaire à ses membres…. puis la Comco lui a rappelé la loi.

        https://www.letemps.ch/economie/commission-concurrence-force-avocats-liberalisation

        Je me réjouis de lire dans la presse la solution de ce litige.

  4. Merci pour cet article d’une exquise concision. L’arnaque que constitue, pour les patient.e.s et les médecins, cette douce illusion d’une concurrence au profit de la qualité et de l’efficience des soins est une insulte à l’intelligence de ceux et celles qui se penchent sur les notions d’égalité d’accès depuis des décennies. Merci !

    1. Bien dit. Je n’ai jamais réussi à comprendre par quelle magie les effets positifs d’un marché libre pourrait apparaître dans un marché captif.

      Appelons les primes maladies pour ce quelles sont : un impôt non progressif dédié à couvrir les frais de la santé dont la perception a été déléguée au secteur privé.

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