Le virus, l’hôte et le complot

« Quel vaccin contre le complotisme ? », titrait l’émission infrarouge de la RTS cet été, alors que le média Bon pour la tête publiait une « épidémiologie du complotisme ». La métaphore sanitaire du complotisme est attirante, surtout quand on voit la réplication virale des théories alternatives sur internet. Mais le problème avec les métaphores, c’est quand elles quittent le domaine du symbolique pour prétendre saisir la réalité. Ainsi, quand l’OMS met en garde contre l’infodémie, un néologisme décrivant une épidémie de fausses nouvelles autour du coronavirus, elle laisse entendre que la prise en charge du problème doit être sanitaire.

Le virus, l’hôte et le complot

Avec le modèle de l’épidémie, un individu sain (l’hôte) est infecté par un agent extérieur, plus ou moins pathogène et transmissible, et devient contaminé. Des tests diagnostiques permettent de différencier les personnes saines des malades. Bien sûr, les manifestations de la maladie varient d’un individu à l’autre en fonction des caractéristiques et des vulnérabilités de chacun·e, mais d’un point de vue sanitaire, cela n’a guère d’importance : dans tous les cas, la personne infectée doit être prise en charge, que ce soit par des mesures d’isolement ou des mesures thérapeutiques.

Transposé dans le domaine des fausses informations, ce modèle laisserait entendre qu’il existe des complotistes (malades) et des non-complotistes (sains). Mais quels tests et quels critères utiliser pour différencier les premier·ières des second·es ? Et que signifie réellement le terme complotisme ? Faut-il mettre dans le même panier les militant·es contre la 5G (qui n’ont pas attendu la pandémie pour se faire entendre) et les adeptes de QAnon ? Les personnes qui se montrent critiques contre l’influence de l’industrie pharmaceutique dans le domaine de la médecine seraient-elles traitées de la même manière que les platistes ?

Vers une prise en charge sanitaire du complotisme

L’arsenal de mesures pour endiguer les épidémies est connu : prévention, limitation de la contagion, immunisation collective, traitement de soutien et curatif. Si ces mesures ont montré leur efficacité sur le plan épidémiologique, on peut douter que ce soit le cas avec le complotisme. Les pédagogues veulent prévenir le mal par l’éducation. Les censeurs entendent limiter la contagion en bloquant les contenus litigieux sur internet. Des mesures pleines de bonne volonté, mais qui risquent d’être totalement contre-productives. On connait l’efficacité avec laquelle les agitateurs de théories du complot retournent les arguments des experts : “il y a une vérité qu’on nous cache, la preuve : regardez avec quelle insistance ils essaient de vous prouver que vous avez tort !”.

Les tâches aveugles de la vision sanitaire

Jusqu’à présent, les mesures sanitaires prises contre la pandémie de coronavirus se sont concentrées sur le contrôle de l’infection. Or, de plus en plus d’évidences montrent que les pandémies seront plus fréquentes et plus meurtrières à l’avenir, et cela en lien avec la destruction des écosystèmes et l’agriculture intensive, notamment[i]. Il serait bien plus efficace, et moins couteux à long terme, de lutter contre ces causes (et cela aurait aussi l’avantage de réduire le réchauffement climatique), plutôt de courir derrière les épidémies.

De même, une prise en charge réactive de ce que l’on désigne communément par complotisme est vouée à l’échec, tant que les conditions favorisant l’émergence et le développement de telles théories ne sont pas prises en compte : perte de confiance dans les institutions, méfiance envers les industries pharmaceutiques, déclin des médias traditionnels, augmentation des inégalités et de l’insécurité de l’emploi, etc. Cette méfiance ne sort pas de nulle part. Il faut rappeler que les scandales politiques se succèdent, que des lanceurs d’alertes sont emprisonnés, que le vénérable parti démocrate a relayé des théories complotistes sur l’élection de Trump, que Bush a inventé des armes de destruction massive en Iraq et que les plus grands médias américains l’ont suivi !

Ainsi, la montée des discours complotistes doit est être vue comme un symptôme d’un mal profond et complexe, un mal qui ne saurait être traité par un simple emplâtre (il fallait bien terminer sur une métaphore médicale !).

 

 

[i] lire le rapport de l’ipbes ici et l’article “contre les pandémies, l’écologie”, Sonia Shah, Le Monde Diplomatique, mars 2020

 

Crédit photo: “Des théoriciens du complot avaient mis le doigt sur un cliché montrant sur le capot du LRV une contravention” by pichenettes is licensed under CC BY-NC-ND 2.0

 

Jérémie André

Jérémie André est médecin, doctorant à l’Université de Lausanne et écrivain. Au carrefour entre médecine, psychiatrie et sciences humaines, ce blog aborde des thèmes de société avec un regard de clinicien. Crédit photo : Céline Michel

2 réponses à “Le virus, l’hôte et le complot

  1. Bonjour,
    je viens de tomber sur votre article et je partage totalement votre avis. J’ai récemment écrit une petite chronique sur divers aspects de cette crise; plusieurs de mes billets vont dans la même direction que l’argument que vous développez ici, en particulier sur le complotisme et l’écologie. Si vous voulez jeter un coup d’oeil et échanger quelques impressions, ce sera avec plaisir! Les articles sont disponibles ici https://ecopsy.net/chronique-covid-19/
    Bien à vous,
    Guillaume

  2. Bonjour,
    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre billet et je partage les idées qui y sont développées. Surtout sur ce point : “Or, de plus en plus d’évidences montrent que les pandémies seront plus fréquentes et plus meurtrières à l’avenir, et cela en lien avec la destruction des écosystèmes et l’agriculture intensive.”
    Vous faites référence à un article de la journaliste Sonia Shah à ce propos et je voudrais ici vous aviser que son livre “Pandémie : Traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus” vient tout juste d’être traduit en français aux éditions Écosociété : https://ecosociete.org/livres/pandemie
    Une lecture essentielle pour bien comprendre les enjeux écologiques et sociaux de cette pandémie.
    Merci et bien à vous,
    Sylvain

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