Initiative de résiliation: Erasmus en danger

L’initiative de l’UDC sur laquelle nous nous prononcerons au mois de septembre s’invitera-t-elle dans les conversations entre étudiants ou apprentis attablés à une terrasse en sirotant un spritz ? Espérons-le. C’est l’éternel recommencement. Le 27 septembre prochain, nous voterons – encore – sur une énième initiative UDC qui réduirait nos perspectives en isolant notre pays. Sur 173 objets de votations fédérales entre 2000 et 2020, 24 soit 14% ont porté sur des questions européennes (politique internationale mise à part) ou migratoires (2000-2020). La plupart émanaient de l’UDC, seul parti en Suisse disposant des bailleurs de fonds suffisants pour imposer pareillement ses thèmes à l’agenda politique. Après l’initiative « Contre l’immigration de masse » adoptée le 09.02.2014, nous voterons le 27.09.2020 sur celle « Pour une immigration modérée (initiative de limitation) ».

Sur quoi vote-t-on ?

Ce changement de termes n’en modifie pas le contenu. Le titre du projet d’article constitutionnel est plus parlant: “Immigration sans libre circulation des personnes”. D’une part, la Confédération ne doit signer aucun nouveau traité international accordant la libre circulation à des ressortissants étrangers. D’autre part et c’est là le point central, selon les dispositions transitoires « des négociations » seront menées entre la Confédération et l’Union européenne pour que l’Accord sur la libre circulation des personnes soit dénoncé dans les 12 mois suivants l’acceptation de l’initiative. Là où l’initiative « Contre l’immigration de masse » prévoyait trois ans pour sa mise en œuvre sans expressément dénoncer l’Accord sur la libre circulation des personnes, la nouvelle initiative « Pour une immigration modérée » est en réalité beaucoup plus radicale. Elle ne laisse la place à aucun doute possible en résiliant l’un des piliers des accords liant la Suisse à l’Union européenne. Les opposants au texte ne s’y sont pas trompés en la qualifiant « d’initiative de résiliation ». Il s’agit bien d’une nouvelle initiative CONTRE la libre circulation des personnes et CONTRE les accords bilatéraux. 

Préserver la mobilité

L’acceptation de l’initiative entraînerait la fin des programmes de mobilité Erasmus+ pour les étudiants et apprentis. Formellement exclue d’Erasmus+ en 2014 à la suite du vote pour l’initiative contre l’immigration de masse, l’Union européenne a fini par tolérer la participation de la Suisse à la mobilité grâce au Programme de mobilité Suisse-Europe (SEMP). Depuis 1987, ce sont plus de 44 251 Suisses qui ont déjà bénéficié d’un programme de mobilité européen. Entièrement intégrés à ce programme depuis 2014, le nombre d’apprentis en profitant a déjà plus que triplé. En cas de vote pour l’initiative de résiliation, l’Union européenne mettrait fin à la participation de la Suisse à ce programme de mobilité. Si beaucoup d’étudiants et apprentis voient déjà leur projet de séjour en mobilité reporté en raison du coronavirus, demain c’est l’ensemble des étudiants et apprentis qui devraient renoncer à un semestre ou une année d’étude dans un pays européen. 

Une expérience de vie et un plus pour son CV

Renoncer à étudier à l’étranger, c’est être privé d’une expérience intense, de s’ouvrir à d’autres façons de penser et d’adopter une vision internationale des choses tellement nécessaire dans un monde compliqué. C’est aussi renoncer à l’apprentissage d’une langue en immersion. C’est enfin se voir privé de capacités pourtant très appréciées des employeurs à un moment où les jeunes sont particulièrement frappés par le chômage. Ayant eu la chance d’étudier une année à l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, je mesure aujourd’hui encore tout ce que cette expérience de vie m’a apporté.

Votez

Après le vote de 2014 en faveur de l’initiative contre l’immigration de masse, on a beaucoup critiqué le manque de visibilité des milieux universitaires dans la campagne et la très faible participation des jeunes. Cette fois, il est essentiel que la participation des jeunes remonte massivement. Il en va de leur avenir. L’attitude des étudiants et des apprentis est l’une des clés du scrutin du 27 septembre : se donner des perspectives d’avenir en votant non, ou préférer l’isolement en votant oui. Toute abstention favorisera le camp du oui dans un scrutin où la mobilisation sera déterminante.

Ne pas se tromper de débat

Cette votation ne doit pas occulter celui de la protection des salaires de la population indigène et la nécessité d’un renforcement des contrôles, d’une extension des conventions collectives de travail et des mesures d’accompagnement. Cette question se posera bien assez tôt, dès le 28 septembre, autour de la suite à donner au projet d’accord cadre. En réalité, par effet de domino, le vote de l’initiative de résiliation provoquerait la disparition des mesures d’accompagnement et affaiblirait la protection de nos salaires. Gare au mirage isolationniste dans une situation déjà bien morose du fait du coronavirus. La Suisse, tout comme l’Europe, ne s’en sortiront pas toutes seules. 

=> Pour une vision plus complète des enjeux du vote du 27.09.2020 sur les bilatérales, lisez l’excellente contribution du 02.07.2020 « Initiative de résiliation: le grand saut dans le vide! » de Roger Nordmann, président du Groupe socialiste aux Chambres fédérales sur son site