Multinationales responsables: soyons précurseurs

L’automne sera orange. L’orange vif de l’initiative populaire pour des multinationales responsables qui égaie nos balcons et atterrira bientôt dans vos boîtes aux lettres grâce à l’opération des 500 000 cartes postales. Le 29.11 prochain, nous avons l’occasion d’inscrire les multinationales parmi les nouveaux sujets du droit international.

De la responsabilité collective à la responsabilité individuelle

Longtemps, les seuls sujets du droit international ont été les Etats. S’y sont ajoutés dans le courant du XXe siècle, les organisation internationales (Société des nations remplacée en 1945 par l’Organisation des Nations Unies, Organisation mondiale du commerce, Union européenne, etc. ). En 1998, le Statut de Rome a mis sur pied à La Haye une Cour pénale internationale faisant des individus en cas de génocide, crime de guerre ou crime contre l’humanité, eux aussi des sujets de droit international, quand les Etats n’étaient pas en mesure de traduire les responsables devant leur justice interne. À ce jour, l’essentiel des affaires de la Cour pénale internationale ont mis en cause des dirigeants africains. Dans le même temps, plusieurs grandes puissances parmi lesquelles la Chine, les Etats-Unis et la Russie n’ont pas ratifié le Statut de Rome. Plusieurs voix en Afrique se sont élevées pour prétendre que la Cour pénale internationale reflétait les velléités des Etats occidentaux d’imposer leur justice aux pays en voie de développements.

Tentatives de compétences universelles  

Certains pays ont tenté de s’en prendre à des chefs d’Etat ou de gouvernement en exercice en contestant leur immunité sitôt le pied posé dans leur pays. Au début des années 2000 à la suite de plaintes déposées devant ses tribunaux, la Belgique cherche à s’en prendre à Ariel Sharon, alors premier ministre israélien, qui n’était pas le bienvenu à Bruxelles. À la même période, le juge d’instruction espagnol Batasar Garzon a aussi beaucoup fait parler de lui pour ses enquêtes sur les crimes commis au Chili par le général Pinochet à la suite des nombreuses victimes espagnoles tuées ou exécutées, allant jusqu’à tenter d’auditionner l’ancien Secrétaire d’Etat Henry Kissinger sur les relations des Etats-Unis avec les régimes autoritaires des années 1970 en Amérique latine. Enfin, les Etats-Unis et sa Drug Enforcement Administration (DEA) sont parvenus à extrader, incarcérer et juger plusieurs barrons de la drogue mexicaine notamment (on pense à la condamnation en 2019 de Joaquin Guzman alias El Chapo par un Tribunal de New York).

Faire des multinationales des sujets du droit international

Les multinationales en revanche sont jusqu’ici pour l’essentiel toujours restées en dehors du droit international. Elles ne sont en tous cas pas des sujets du droit international. Leur rôle dans la captation et l’exploitation des ressources naturelles en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie rend pourtant cette question légitime. Glencore est une de ces multinationales active dans le négoce, le courtage et d’extraction de matières premières. Elle contrôle l’essentiel du marché international du zinc, du cuivre ou du plomb. Dans le bassin du fleuve Congo, au Katanga, deux entreprises rattachées à Glenore ont été mises en cause en raison du travail d’enfants et d’adolescents dans des mines artisanales de cuivre rejettent de l’acide sulfurique empoisonnant les populations locales. Glencore comme d’autres multinationales sont devenues des acteurs extrêmement influents, souvent dénoncé dans des affaires d’évasions fiscales et de corruption auprès de pays en voie de développement. Plusieurs de ces multinationales, à l’image de Glencore, ont la particularité d’avoir leur siège en Suisse.

Nous pouvons être précurseurs

L’initiative populaire sur laquelle nous voterons le 29.11 prochain pose la question de la responsabilité environnementale et en matière de respect de droits humains devant nos tribunaux de ces entreprises suisses pour leur agissement à l’étranger. La captation et l’exploitation de ressources naturelles doivent impérativement être encadrées pour éviter qu’elles se fassent au détriment des populations locales et de notre environnement. Ces multinationales doivent rendre des comptes. Sans colonie bien que sa trajectoire historique s’inscrive dans la colonisation, la Suisse ne peut rester passive face à une exploitation sans précédent, susceptible de créer des dommages irréversibles à notre planète. Les regards se tourneront vers la Suisse au soir du 29 novembre. Comme Henry Dunant, précurseur du droit international humanitaire et des Conventions de Genève de 1949, nous avons l’occasion d’inspirer d’autres pays en votant Oui à l’initiative pour des multinationales responsables pour créer les fondements d’un ordre juridique plus respectueux des droits humains et de notre environnement.

Initiative « pour l’autodétermination » : le jour d’après

Si les derniers sondages montrent une légère avance pour les partisans du Non à l’initiative « pour l’autodétermination », l’issue du vote reste incertaine. Une acceptation de l’initiative UDC « contre les juges étrangers » ne serait pas sans conséquence pour notre pays. Passage en revue des conséquences plus ou moins vraisemblables au soir et dans les mois suivant la votation. Politique fiction ? Peut-être pas tant que ça.

Berne, 25.11.2018 15h41

Comme le laissait présager le dernier sondage du début du mois de novembre, le camp du « Oui » a remonté la pente lors des derniers jours. Dans une interview au Tages Anzeiger du 10.11, Christoph Blocher a résumé en ces termes l’enjeu du vote : « Nous savons maintenant que la Commission européenne ne se donne même plus la peine d’écouter la Suisse. Soit le peuple Suisse décide de prendre son destin en mains, soit les décisions seront entièrement imposées depuis Bruxelles ». À 15h43, la conseillère nationale PLR Christa Markwalder tweete : « La votation va se jouer à un rien. Nous retenons notre souffle ». Le camp du Oui ne possède que 17’000 voix d’avance, mais tout reposera sur le vote des Argoviens (double majorité des cantons et de peuple oblige). À 15h57, le résultat tombe à 50,6%, Argovie a rejoint le camp du Oui. Dans l’euphorie du stamm des partisans du Non, en direct de Zurich, l’influent UDC Roger Köppel déclare au micro de la RTS : « Ce 25.11 est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la Suisse. Nous le célébrerons comme le jour où le peuple Suisse a pris son destin en mains, comme les Confédérés en 1291 ». À 18h00, Christian Levrat, président du parti socialiste déclare en ouverture de Forum : « Les milieux économiques portent une lourde responsabilité dans cette défaite. Leur engagement a été très timide. La gauche a fait sa part, mais les milieux économiques n’ont pas été à la hauteur des enjeux ».

Paris, 26.11.2018 10h15

Lundi matin, le Président français Emmanuel Macron, qui ne s’était pas encore exprimé au sujet du vote de la Suisse, déclare avec une pointe d’opportunisme lors d’une conférence de presse improvisée en écho aux velléités de départ de Genève exprimées la veille par plusieurs responsables d’ONG : « Nous prenons acte du vote du peuple suisse. Ne reconnaissant plus la Cour européenne des droits de l’hommes, la Suisse n’est désormais plus en mesure de garantir pleinement le respect des droits humains. La Suisse n’a plus la légitimité suffisante pour héberger le siège régional des Nations Unies et celui de l’Organisation international du travail (OIT). La France est déterminée à renforcer son rôle de patrie des droits humains. Dans une lettre adressée ce matin aux Nations unies et à l’OIT, elle demande à ces deux organisations internationales le transfert de leurs sièges en France. Plus de 3000 emplois sont concernés ».

Ankara, 06.12.2018 15h17

En marge d’une rencontre bilatérale sur la Syrie, Vladimir Poutine et Recep Tayip Erdogan annoncent la dénonciation simultanée de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans un communiqué commun, les deux chefs d’Etat, dont les pays sont les plus souvent condamnés par les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme déclarent : « La Cour de Strasbourg est devenu un instrument de colonisation des pays d’Europe de l’Ouest pour imposer sa vision du monde et affaiblir le pouvoir souverain des Etats. La Suisse a montré la voie en remettant en cause le pouvoir des juges étrangers. La Fédération de Russie et la République de Turquie savent ce qui est bon pour leurs peuples et n’ont pas à se faire dicter leur comportement par une Cour politisée ».

Bruxelles, 22.03.2019 17h46

Réuni en sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, le Conseil européen annonce la fin des principaux accords bilatéraux avec la Suisse. Dans un mémorandum d’entente, l’Europe des 28 dénonce les Accords sur la libre circulation des biens, des services et des personnes. Selon le communiqué final du Conseil : « La Suisse ne peut pas nouer un partenariat étroit avec l’Union sans les droits humains. La protection des droits humains fait partie intégrante du droit européen. La remise en cause systématique du droit international par la Suisse n’en fait plus un partenaire fiable. L’Union va renforcer ses contingents et ses taxes à la frontière avec la Suisse dans tous les secteurs d’activité. Cela ne sera pas sans conséquence, puisque 71% des importations suisses proviennent du marché européen ».