Sois jeune et tais-toi (pas)

En Suisse, la participation des jeunes à la vie politique est faible. De plus en plus même. Deux jeunes sur trois de moins de 35 ans ne votent pas. Au Conseil national, les plus de 60 ans sont 40, les moins de 30, 4. En 2015, La moyenne d’âge est remontée à 50.3 ans.

Fatalité ?

Et pourtant. L’accès aux études s’élargit. Les jeunes sont de plus en plus éduqués. Ailleurs, au Moyen-Orient ou en Afrique, le Printemps arabe ou plus récemment, l’ampleur des manifestations anti-armes aux Etats-Unis ont montré une politisation de la jeunesse et sa capacité de mobilisation.

Contre-offensives

En Suisse, les initiatives pour combattre l’abstentionnisme ne manquent pas. L’organisation easyvote, soutenue par la Confédération et malheureusement par trop peu de communes, ambitionne d’atteindre les 40% de participation des 18-25 ans aux élections et votations. Les Parlements de jeunes se sont multipliés ces dernières années. Par ailleurs, les Jeunesses de partis, quand elles évitent le mimétisme de leurs aînés, font preuve d’audace bienvenue dans un paysage politique suisse souvent un peu trop ronronnant : initiative 99% de la Jeunesse socialiste pour la taxation du capital (plutôt que du travail) ou encore des Jeunes Verts contre le commerce de guerre.

Sursaut

C’est d’abord aux jeunes de prendre leurs responsabilités en participant à la vie politique. Reste que les incitations manquent. La culture de nos institutions fait défaut. Dans son livre « Tu parles bien français pour une Italienne », la conseillère nationale Ada Marra relève la contradiction entre des candidats à la naturalisation contraints de se familiariser avec les institutions politiques, alors que beaucoup de Suisses les ignorent. La place dévolue au civisme dans les programmes scolaires est insuffisante. L’étendue des droits rendus possibles par notre régime de démocratie semi-directe mérite que l’on s’y attarde. Mais ce renforcement des cours de civisme ne doit pas se limiter à l’apprentissage de nos institutions. Il doit s’étendre à la culture du débat, dont les apports ne se limitent pas à la sphère politique. Cette culture doit être insufflée et entretenue. La confrontation des idées et l’intérêt pour la chose publique ne sont pas suffisamment valorisés. Il faut sortir les élèves de leur zone de confort. L’abstentionnisme des jeunes témoigne d’une forme de malaise. La Suisse n’a rien à gagner à tenir sa jeunesse à l’écart du débat politique.

La mère des batailles

Tout vient à point à qui sait attendre. Après 20 ans d’initiatives UDC évitant délibérément de poser la question de leur conformité avec le droit international (initiative contre l’immigration de masse, renvoi automatique des criminels étrangers, interdiction des minarets), le premier parti de Suisse semble privilégier une autre stratégie. En 2018, nous voterons sur une initiative qui, sans détour, demande de faire primer la Constitution fédérale sur le droit international, en excluant toute obligation de la Confédération contraire à la Constitution. La mal-nommée « initiative pour l’autodétermination » (le droit à l’autodétermination étant lui-même un principe de droit international) postule que la Convention européenne des droits de l’homme est devenu trop gênant pour les dessins UDC. Ce samedi 28.10.2017 à Frauenfeld (TG), les délégués UDC ont confirmé cette tactique, en lançant une initiative exigeant la dénonciation de l’Accord sur la libre circulation des personnes dans les 12 mois suivant son adoption. Ce revirement est un tournant après l’initiative contre l’immigration de masse qui, tout en l’insinuant, ne remettait pas ouvertement en cause l’Accord sur la libre circulation.

Le combat des valeurs

Jusqu’ici l’UDC a habilement véhiculé des représentations xénophobes au sein de la population contre un discours des « élites » enfermés dans leurs « principes ». Cette fois, cette stratégie pourrait se retourner contre elle, à condition toutefois que les opposants à l’initiative dite « pour l’autodétermination » s’engagent sur le terrain des valeurs, à commencer par la défense de notre système démocratique.

Droits humains indissociables de la démocratie

La méprise des initiants consiste à dissocier droits humains et système démocratique. Historiquement pourtant, l’émergence de systèmes démocratiques est consubstantielle à celles des droits humains. C’est aussi vrai pour notre la naissance de notre Etat fédéral démocratique en 1848, dont la Constitution reconnaît les premiers droits humains, parmi lesquels la liberté de la presse et la liberté religieuse, comme autant de moyens de protéger ses citoyens contre de possibles dérives des pouvoirs en place.

Protéger notre Constitution

L’autre méprise du texte consiste à opposer Constitution fédérale et droit international. Nos droits fondamentaux constitutionnels sont indissociables des droits détaillés dans la Convention européenne des droits de l’homme. La plupart des jugements du Tribunal fédéral statuant sur l’étendue de nos droits constitutionnels se réfèrent d’ailleurs expressément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En s’attaquant aux « juges étrangers », l’initiative s’en prend en réalité directement aux juges suisses. Les périodes troubles que nous traversons avec la prise de pouvoirs de mouvements réactionnaires au sein de notre monde Occidental, nous montre combien ce que nous considérions comme des acquis reste fragile. L’initiative « pour l’autodétermination » est aussi l’occasion de nous réapproprier nos valeurs démocratiques dans les urnes contre les mouvances qui aimeraient nous les confisquer.

Par ici le programme !

Les programmes politiques sont-ils devenus ringards ? J’appartiens à une vieille formation politique, le Parti socialiste, qui a pour habitude d’accoucher de longs programmes. Notre programme 2017 pour les élections vaudoises s’est étalé sur une consultation interne de neuf mois. Sa version finale comporte 105 mesures et couvre la plupart des thématiques.

« Tout dire avant pour tout faire après »

Afficher ses priorités, s’engager auprès de l’électorat : cette transparence permet aux électeurs d’exercer leur pouvoir de contrôle. Le mandat électif est un contrat de durée déterminée qui engage un élu auprès des électeurs qui lui ont accordé leur confiance. Portée à son paroxysme, cette transparence atteint ses limites. Au moment de la primaire des Républicains, Nicolas Sarkozy avait promis : « Tout dire avant pour tout faire après ». Naturellement cette promesse n’engageait que ceux qui y croyaient. De nouveaux enjeux émergent année après année et il est évidemment impossible de présenter une solution clé en mains, avant d’avoir identifié le problème.

Vision

 Dans le canton de Vaud, le ticket UDC-Vert libéral pour le second tour au Conseil d’Etat, fait ouvertement campagne sans programme, se contentant d’énumérer quelques priorités. Isabelle Chevalley, Verte libérale a attaqué la candidate socialiste Cesla Amarelle, au motif qu’elle savait qu’elle ne pourrait mettre en œuvre l’ensemble du programme commun avec sa colistière Verte Béatrice Métraux. L’adoption d’un programme ne signifie évidemment pas qu’en cas de victoire, il pourra être mis en œuvre sans réserve, à fortiori dans un gouvernement collégial avec un parlement d’une autre sensibilité politique. En lieu et place de programme, le candidat UDC Jacques Nicolet véhicule « une vision » pour le canton. Pour caricaturer ses adversaires, l’ancien chancelier allemand Willy Brandt avait eu cette phrase « quand j’ai une vision, je vais chez le médecin ». Si une vision est nécessaire pour se projeter vers un horizon moins immédiat, elle ne saurait se substituer à un programme.

Stratégie d’évitement

L’absence de programme ne se limite pas à notre coin de pays. En France, Emmanuel Macron a retardé le plus longtemps possible la communication de son programme pour finalement lui préférer un projet. Cette stratégie délibérée a entretenu le mystère autour de ses priorités, tout en lui épargnant des critiques. Au final, son projet est étonnement resté vague sur bien des sujets, à commencer par l’environnement, qui constitue pourtant l’un des enjeux majeurs des années à venir. Pour l’électorat qui place sa confiance dans des candidats au nom de visions éthérées, la désillusion ou la confusion pourraient s’avérer plus grandes encore. Si la mission première du politique consiste à adopter des mesures susceptibles d’améliorer la vie des gens, en démocratie, la communication d’un programme reste encore la façon la plus transparente de faire campagne.

AVS+ : une solution pour les jeunes

Selon le dernier sondage du 26 août 2016, 35% seulement des 18-34 ans seraient favorables à AVS+, alors que 65% des plus de 50 ans seraient prêts à voter oui. Comme pour l’initiative sur l’immigration de masse, le vote jeunes sera la clé du scrutin du 25 septembre 2016 sur l’initiative de l’Union syndicale suisse qui propose un relèvement des cotisations AVS de 10% (0.4% pour la part employeur et 0.4% pour les salariés).

Effet Couchepin

Comment se fait-il que les jeunes ne se laissent pas convaincre ? L’explication remonte aux déclarations d’un certain Pascal Couchepin en 2003, fendant une lance pour prôner la retraite pour tous à 67 ans. Sur le moment, plusieurs cadres du parti ont reproché à leur Conseiller fédéral de détourner les électeurs du Parti libéral radical, qui enregistrait une perte de près de 3% aux élections fédérales de 2003. Le sujet a ensuite disparu des radars, pour refaire surface treize ans plus tard au sein de la Commission de sécurité sociale du Conseil national, proposant un système de relèvement automatique de l’âge de la retraite à 67 ans pour tous, sans compensation. Face à ces velléités, plusieurs jeunes ont acquis la conviction que les seniors bénéficiaient aujourd’hui de conditions de retraite qu’ils ne pourraient jamais atteindre. Dans ces conditions, pourquoi encore améliorer le niveau des rentes ?

Moment optimal

C’est là ou le bât blesse. Pourtant, les efforts raisonnables consentis dès aujourd’hui avec AVS+ par les jeunes générations leur permettront demain de bénéficier de meilleures conditions de retraites et de contrer tout tentative de relèvement de l’âge de la retraite, à l’heure où la situation du 2e pilier s’assombrit. En effet, les pertes accumulées par les caisses de pension se poursuivent, sans interruption, depuis la crise de 2008. En raison de l’instabilité économique ambiante, tout indique que ces pertes de rendement ne s’arrêteront pas. Elles contraignent les caisses de pension à réduire leur taux de conversion, tout en relevant l’âge de la retraite, parfois même au-delà de l’âge légal. La semaine dernière, Manor annonçait ainsi le relèvement de l’âge de la retraite de ses employées femmes à 65 ans pour toucher l’entièreté de leurs rentes. Travailler plus, pour gagner moins. La génération de retraités actuels a pu bénéficier d’une hausse de ses rentes à la faveur d’un relèvement de taux de cotisations en 1975. Pour faire fasse à l’augmentation du coût de la vie, loyers et primes d’assurance-maladie en tête, la génération des jeunes actifs doit pouvoir aussi bénéficier d’une hausse de ses rentes futures par un léger relèvement des taux de cotisations. L’effet multiplicateur est particulièrement convaincant. Avec AVS+, pour un trentenaire en 2016, moyennant une hausse de Frs. 20- de cotisations sur un salaire mensuel de Frs. 5'000.-, à l’horizon 2050, sa rente AVS ferait un bond de Frs. 200.- par mois et Frs. 350.- pour les couples. AVS+ ? « Yes, we can ! », une question de priorité, selon l’économiste Cédric Tille (Blog de L'Hebdo, L'économie déchiffrée, 25.08.2016). Et les jeunes seraient parmi les premiers bénéficiaires d’AVS+.

La faim justifie les moyens

En Suisse, le Fonds de compensation AVS/AI/APG gère Frs. 33 milliards issus de nos cotisations aux assurances sociales. En 2015, il décidait de renoncer à ses Frs. 200 millions engagés dans le marché du blé, du maïs ou encore du café. La Raiffeisen, troisième plus grande banque du pays, a bâti sa réputation sur une stratégie d’investissement dans l’économie réelle contre une financiarisation à outrance et s’est retirée récemment du marché des matières premières agricoles. Ces réformes inspirent aujourd’hui d’autres fonds de pension ou d’autres banques qui renoncent à la spéculation sur les denrées alimentaires.

Ces repositionnements ne se sont pas faits tout seul. Ils ont été réclamés par des assurés ou clients, plus soucieux que par le passé de la manière dont leur argent est investi. D’après le texte de l’initiative contre la spéculation sur les denrées alimentaires : « les banques, négociants en valeurs mobilières, fonds de placement et assurances sociales dont le siège ou la succursale se situe en Suisse ne peuvent investir dans des instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles ou à des denrées alimentaires ». Les ventes à terme conclues avec des producteurs ou commerçants de matières agricoles portant sur des garanties de délais ou des prix fixés pour des quantités déterminées resteraient autorisées.

Mondialisation alibi

Les opposants honnêtes reconnaissent que les activités boursières dans le domaine agricole sont à l’origine de hausses spectaculaires des prix provoquant de graves problèmes d’approvisionnement dans les pays en voie de développement. Ils avancent néanmoins deux arguments principaux pour rejeter l’initiative.

Premièrement, la Suisse ne peut pas, isolément, résoudre le problème de la faim dans le monde en adoptant l’initiative. Cet argument est parfaitement valable. Les initiants n’ont d’ailleurs jamais prétendu que leur texte vaincrait la faim dans le monde. Il n’en demeure pas moins que le retrait de la Suisse, pays des banques, des marchés spéculatifs sur les denrées alimentaires entraînerait certainement d’autres pays sur cette voie. L’argument des opposants illustre surtout l’excuse de la mondialisation servie ad nauseam par tous ceux qui ont considéré que l’économie mondialisée signifiait la fin du politique et le meilleur prétexte à l’inertie.

Prétendues pertes d’emploi

Second argument avancé par les opposants : l’adoption de l’initiative provoquerait la délocalisation de sociétés de négoce et des pertes d’emplois pour la Suisse. Pourtant, les denrées alimentaires ne représentent que le 15% du total du chiffre d’affaires des sociétés de négoce – une part marginale face aux énergies (59%) et aux pierres, terres et métaux (20%). Sur ces 15%, seule une faible partie concerne des activités spéculatives, l'essentiel des transactions étant constituées de ventes à terme autorisées par l’initiative. Le retrait d’acteurs importants du marché, comme la banque Raiffeisen, n’a pas provoqué de réduction de leur volume d’activité, mais a déplacé ces investissements de second plan dans d’autres secteurs d’activité. Cet argument de l’exode des acteurs du marché financier face à l’apparition de nouvelles normes a aussi ses limites.

Adaptation des acteurs du marché

En 2009, le chef économiste de la Banque Pictet prédisait la perte de 15'000 emplois en Suisse du fait de la suppression du secret bancaire. En réalité, depuis 2009, le nombre d’emplois dans le secteur bancaire à Genève notamment est resté pratiquement stable. La suppression du secret bancaire pour les clients étrangers représentait une réforme autrement plus vaste que la disparition de la spéculation sur les denrées alimentaires. Pourtant, le marché financier s’est adapté à ce nouveau paradigme. La clientèle des sociétés de négoce et des grandes banques trouve en Suisse un savoir-faire capable de s’adapter à de nouvelles normes, à fortiori s’agissant d’activités de second plan, comme celles des matières premières agricoles. Le marché n’est pas figé. Pensez-y le 28 février.

Les glaciers de la discorde

Dépendance énergétique

Gazprom. Premier exploitant et exportateur de gaz au monde. Dans les années 1990, Boris Elstine avait privatisé cette société. Au milieu des années 2000, Vladimir Poutine l’a renationalisée pour en faire une arme stratégique. À ce jour, l’Etat russe détient plus de 50% du capital de la société. La mainmise de Gazprom n’a cessé de s’étendre. À tel point que la Finlande ou les Etats baltes dépendent désormais exclusivement de la société gazière pour leur approvisionnement en électricité. Les enjeux économiques sont tels que tous les moyens sont bons pour pénétrer de nouveaux marchés.

 

Laissez-faire, laissez-passer ?

C’est dans ce contexte géopolitique qu’intervient le projet du Conseil fédéral de libéralisation totale du marché de l’électricité jusque vers les ménages et petits consommateurs (consommation inférieure à 100 MWh/an). Au prétexte d’un alignement sur la politique de l’Union européenne et d’hypothétiques baisses de prix pour le consommateur, la Suisse n’aurait d’autres choix que celui d’une ouverture complète de son marché de l’électricité.

 

Stratégie énergétique 2050

Ces velléités de libéralisation totale cadrent mal avec la Stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral, qui doit permettre la création de plusieurs milliers d’emplois dans les énergies renouvelables et la réduction de nos émissions de CO2. Comment la Suisse pourra-t-elle concilier une ouverture complète de son marché de l’électricité avec les intérêts de groupes industriels étrangers, dont notre stratégie d’investissement dans les énergies renouvelables est très éloignée de leurs priorités ?

 

Force Hydraulique

Pour le gouvernement vaudois, « l’ouverture totale du marché de l’électricité met en danger le parc de production hydroélectrique dont la Suisse a besoin pour réussir la transition énergétique ». Depuis 2008, les prix de l’électricité n’ont cessé de chuter. Cette baisse des prix rend moins attractifs les investissements dans les grands projets hydrauliques, dont les retombées économiques nécessitent une vision à moyen ou à long terme. À tel point qu’à fin 2013, deux grands projets d’exploitation hydraulique dans les Alpes – Grimsel 3 et Lago Bianca – étaient suspendus.

Jusqu’au début des années 1970, l’énergie hydraulique composait le 90% de l’énergie produite en Suisse, aujourd’hui elle n’en représente plus que le 56%. La sortie du nucléaire passe par un renforcement de notre production hydraulique. Dans un secteur extrêmement concurrentiel, la Suisse doit se donner les moyens de mener une politique qui exploite les atouts de sa topographie, celle de nos glaciers. L’ouverture complète du marché de l’électricité nous ferait courir un trop grand risque de dépendance énergétique. Il faudra le dire. Jusqu’au référendum.

À table

Et de quatre ! Il n’aura jamais été autant question du contenu de nos assiettes en politique. L’initiative des Jeunesses socialistes contre la spéculation alimentaire et celle de l’Union suisse des paysans (USP) viennent d’aboutir. Au même moment, les Verts et Uniterre lancent leur propre texte.

L’initiative de la Jeunesse socialiste veut interdire la spéculation sur les matières agricoles et les denrées alimentaires. Celle de l’USP pour la sécurité alimentaire demande le renforcement de l’approvisionnement en aliments issus d’une production indigène diversifiée et durable. Le texte des Verts milite pour le commerce équitable, la promotion d’aliments issus d’une production régionale et combat le gaspillage des denrées alimentaires. Enfin, l’initiative d’Uniterre pour la souveraineté alimentaire prône une augmentation des actifs dans l’agriculture, la réintroduction de droits de douane à l’importation et l’interdiction des OGM.

 

Vous reprendrez bien un peu de droit populaire ?

Ce bouquet d’initiative reflète un intérêt sans précédent du consommateur sur l’origine de son alimentation. Protectionnistes, écologistes, soucieuses des conditions de production et de la qualité de notre alimentation : les points communs des quatre textes sont nombreux.

 

Coalition de la faim

En l’espace de deux ans, le peuple pourrait être appelé quatre fois aux urnes sur des initiatives visant le même objectif : soutenir une agriculture locale, voire internationale, qui souffre de plus en plus. Un seul exemple, alors qu’en 1994, les producteurs de lait percevaient 1 franc par litre écoulé, en 2014, ils n’en touchent plus que 56 centimes. Avec quatre initiatives sur le même sujet, le risque est grand de provoquer chez l’électeur un sentiment de satiété. Autre écueil : la division entre partisans de chacune des initiatives, qui, au final, conduirait au rejet des quatre textes.

Paysans, locavores, adeptes des jardins improvisés sur leurs balcons et bobos inconditionnels du panier bio, auront intérêt à jouer la même partition en appelant à dire oui aux quatre initiatives. Quant aux politiciens sous la Coupole fédérale, on rêve d’alliances inattendues, capables de faire bouger les lignes. Une coalition de la faim à la hauteur des enjeux !

Les impératifs catégoriques de la Jeunesse socialiste

A l’heure où l’abstention massive des moins de 30 ans apparaît comme l’une des causes de la défaite du scrutin du 9 février (lire L’Hebdo du 10/04/2014), une Jeunesse de parti apparaît de plus en plus comme une force de proposition incontournable dans le paysage politique suisse. Tout juste sortie de la campagne 1 : 12, la Jeunesse socialiste suisse vient de déposer 117'000 signatures pour son initiative contre la spéculation sur les biens alimentaires. En près de 170 ans de fédéralisme, aucune Jeunesse de parti n’était parvenu à faire aboutir une initiative populaire fédéral. En moins de trois ans, la Jeunesse socialiste suisse le fait coup sur coup.

En 2016, nous voterons sur l’initiative contre la spéculation alimentaire. Au cœur de l’initiative, l’interdiction de la spéculation sur les matières agricoles et les denrées alimentaires. Négociants, banques, assureurs, fonds de placement et gestionnaires de fortune auraient l’interdiction d’investir pour eux même ou leur clientèle dans des instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles et à des denrées alimentaires. Ceux qui passeraient outre cette interdiction s’exposeraient à des poursuites pénales.

Fluctuations records

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), depuis 2005 les indices des prix sur les matières premières fluctuent deux fois plus qu’entre 1995 et 2005. En 2008, cette fluctuation a été l’une des causes majeures d’une crise alimentaire sans précédent. A tel point qu’Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation a fait de la régulation des marchés agricoles la première de ses priorités pour assurer la sécurité alimentaire. «Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle». La Jeunesse socialiste a placé cette maxime kantienne – l’impératif catégorique – au cœur de sa politique.

Les spécialistes auto-proclamés du domaine ne manqueront pas d’affirmer que la régulation de la finance, internationale par définition, ne peut se faire à l’échelle d’un seul pays. Il n’empêche qu’il faudra bien débuter quelque part. Avec ses 500 entreprises actives dans le négoce des matières premières, la Suisse n’est pas l’Etat le plus mal choisi pour enfin encadrer cette spéculation funeste sur le dos de celles et ceux qui ne mangent pas à leur faim.

Vers une politique des matières premières

Si la Suisse est devenue une destination de choix pour les sociétés actives dans le courtage des matières premières, au niveau politique, la prise de conscience des enjeux entourant ce sujet n’en est qu’à ses premiers frémissements.

A la faveur d’accords d’exonérations et d’optimisations fiscales, la Suisse a attiré sur son sol une concentration record de sociétés leaders dans l’extraction ou le négoce du pétrole, du zinc, du cuivre ou de l’aluminium: Mercuria, Trafigura, Vale, Vitol ou encore Glencore-Xstrata, premier négociant mondial de matières premières. En 2013, cette dernière réalisait un chiffre d’affaires estimé à 217 milliards de dollars, plus du double de celui de Nestlé ou encore le triple des dépenses annuelles de la Confédération.

La responsabilité de Glencore-Xstrata est en cause dans plusieurs scandales associant dommages irréversibles pour l’environnement et exploitation humaine à grande échelle. En 2013, l’activité d’une usine hydroindustrielle dans le bassin du Congo faisait apparaître des rejets d’acide sulfurique dans la rivière Luilu contaminant la population locale. Au Katanga, l’extraction de minerai de cuivre par Kamoto Cooper Company, filiale de Glencore-Xstrata implique toujours le travail de plusieurs enfants.

Abonnés absents

Les enjeux entourant le négoce des matières premières réunissent l’essentiel des missions constitutionnelles de la Confédération en matière de politique étrangère: préservation des ressources naturelles, lutte contre la pauvreté, promotion des droits humains et de la démocratie. Pourtant, le rapport de 2013 du Conseil fédéral sur les matières premières passait ses obligations sous silence. La plupart des recommandations du rapport se limitent à accompagner des initiatives internationales multilatérales à l’issue incertaine. Pourtant, l’établissement de ces multinationales en Suisse en fait un sujet de politique intérieure. Alors que nos conseillers fédéraux se bousculent pour participer au Forum de Davos, aucun d’entre eux, du propre désaveu des participants, n’intervenait au premier sommet mondial des multinationales des matières premières, tenu à Lausanne en avril 2013.

Pour le printemps 2014, le Conseil fédéral a promis des mesures concrètes pour faire la lumière sur ce secteur ombrageux. Dont acte. Nos ministres ne pourront pas éternellement différer le moment attendu pour mettre les multinationales actives dans l’extraction et le négoce des matières premières, face à leurs responsabilités.