Initiative « pour l’autodétermination » : le jour d’après

Si les derniers sondages montrent une légère avance pour les partisans du Non à l’initiative « pour l’autodétermination », l’issue du vote reste incertaine. Une acceptation de l’initiative UDC « contre les juges étrangers » ne serait pas sans conséquence pour notre pays. Passage en revue des conséquences plus ou moins vraisemblables au soir et dans les mois suivant la votation. Politique fiction ? Peut-être pas tant que ça.

Berne, 25.11.2018 15h41

Comme le laissait présager le dernier sondage du début du mois de novembre, le camp du « Oui » a remonté la pente lors des derniers jours. Dans une interview au Tages Anzeiger du 10.11, Christoph Blocher a résumé en ces termes l’enjeu du vote : « Nous savons maintenant que la Commission européenne ne se donne même plus la peine d’écouter la Suisse. Soit le peuple Suisse décide de prendre son destin en mains, soit les décisions seront entièrement imposées depuis Bruxelles ». À 15h43, la conseillère nationale PLR Christa Markwalder tweete : « La votation va se jouer à un rien. Nous retenons notre souffle ». Le camp du Oui ne possède que 17’000 voix d’avance, mais tout reposera sur le vote des Argoviens (double majorité des cantons et de peuple oblige). À 15h57, le résultat tombe à 50,6%, Argovie a rejoint le camp du Oui. Dans l’euphorie du stamm des partisans du Non, en direct de Zurich, l’influent UDC Roger Köppel déclare au micro de la RTS : « Ce 25.11 est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la Suisse. Nous le célébrerons comme le jour où le peuple Suisse a pris son destin en mains, comme les Confédérés en 1291 ». À 18h00, Christian Levrat, président du parti socialiste déclare en ouverture de Forum : « Les milieux économiques portent une lourde responsabilité dans cette défaite. Leur engagement a été très timide. La gauche a fait sa part, mais les milieux économiques n’ont pas été à la hauteur des enjeux ».

Paris, 26.11.2018 10h15

Lundi matin, le Président français Emmanuel Macron, qui ne s’était pas encore exprimé au sujet du vote de la Suisse, déclare avec une pointe d’opportunisme lors d’une conférence de presse improvisée en écho aux velléités de départ de Genève exprimées la veille par plusieurs responsables d’ONG : « Nous prenons acte du vote du peuple suisse. Ne reconnaissant plus la Cour européenne des droits de l’hommes, la Suisse n’est désormais plus en mesure de garantir pleinement le respect des droits humains. La Suisse n’a plus la légitimité suffisante pour héberger le siège régional des Nations Unies et celui de l’Organisation international du travail (OIT). La France est déterminée à renforcer son rôle de patrie des droits humains. Dans une lettre adressée ce matin aux Nations unies et à l’OIT, elle demande à ces deux organisations internationales le transfert de leurs sièges en France. Plus de 3000 emplois sont concernés ».

Ankara, 06.12.2018 15h17

En marge d’une rencontre bilatérale sur la Syrie, Vladimir Poutine et Recep Tayip Erdogan annoncent la dénonciation simultanée de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans un communiqué commun, les deux chefs d’Etat, dont les pays sont les plus souvent condamnés par les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme déclarent : « La Cour de Strasbourg est devenu un instrument de colonisation des pays d’Europe de l’Ouest pour imposer sa vision du monde et affaiblir le pouvoir souverain des Etats. La Suisse a montré la voie en remettant en cause le pouvoir des juges étrangers. La Fédération de Russie et la République de Turquie savent ce qui est bon pour leurs peuples et n’ont pas à se faire dicter leur comportement par une Cour politisée ».

Bruxelles, 22.03.2019 17h46

Réuni en sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, le Conseil européen annonce la fin des principaux accords bilatéraux avec la Suisse. Dans un mémorandum d’entente, l’Europe des 28 dénonce les Accords sur la libre circulation des biens, des services et des personnes. Selon le communiqué final du Conseil : « La Suisse ne peut pas nouer un partenariat étroit avec l’Union sans les droits humains. La protection des droits humains fait partie intégrante du droit européen. La remise en cause systématique du droit international par la Suisse n’en fait plus un partenaire fiable. L’Union va renforcer ses contingents et ses taxes à la frontière avec la Suisse dans tous les secteurs d’activité. Cela ne sera pas sans conséquence, puisque 71% des importations suisses proviennent du marché européen ».

Jean Tschopp

Juriste de formation, Jean Tschopp est l’auteur d’un livre sur l’accès aux ressources et aux matières premières (Statut et droits collectifs des peuples autochtones, Stämpfli, 2013). Titulaire d’un doctorat en droit international de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), il est depuis 2012, député socialiste au Grand conseil vaudois et vice-président de Groupe depuis 2016. Parallèlement, Jean Tschopp exerce comme responsable conseil (service juridique) à la Fédération romande des consommateurs (FRC)

9 réponses à “Initiative « pour l’autodétermination » : le jour d’après

  1. Espérons, bien sûr, que cela restera une fiction. Toutefois, j’aimerais signaler une erreur quoi qu’il arrive: Christian Levrat parlera en ouverture de Forum à 18h (et non à 17h), heures d’écoute des fidels depuis de nombreuses années.

    1. Cher Willy. Merci pour ta relecture attentive. Je suis aussi un fidèle de Forum. Les soirs de votations populaires, il arrive que l’émission soit exceptionnellement avancée à 17h00. Mais tu as raison, la plupart du temps l’émission débute à 18h00. Modification intégrée

    2. Votre commentaire et sa réponse sont bien “suisses” 18h et non 17h…:).

      Il m’importerait plus de voir de réelles analyses des si nombreux journalistes (combien en Suisse?),
      pour décortiquer ce qu’essaie de mettre en place le sieur Blocher… et les fonds qu’il injecte dans son bébé UDC…
      … mais là, silence!

      1. Pour cette nécessaire transparence sur le financement des partis, nous voterons bientôt sur l’initiative PS. En attendant, les liens d’intérêts restent dans un épais brouillard

  2. La démocratie suisse, citée en exemple mondialement, n’a pas les épaules aussi solides que l’on s’imagine.
    Quand un canton de Glaris, pèse d’une certaine manière avec ses quelques 40’000 habitants, autant que Zürich, c’est beau et démocrate.

    Il n’empêche qu’il s’agit de trouver de nouvelles clés, malgré le ronron suisse.
    Entre le parti agrarien et l’UDC de Blocher, Tettamanti, … deux mondes, mais il importe bien de les différencier, vaches avec ou sans cornes subventionnées! dans cette Suisse figée dans le temps, car le réveil risque d’être difficile et, aucun doute, va être soudain.
    Enfin, courage, les suisses n’en manquent pas
    🙂

  3. Les Suisses devraient finalement se poser une seule question concernant l’initiative de l’UDC: en comparaison internationale, est-ce que notre pays va mal ou plutôt bien? Si la réponse est “plutôt bien”, alors ne jouons pas aux dés en risquant de mettre à mal les conditions-cadres qui ont permis cette relative prospérité (ce que les Britanniques sont en train de tester à leurs dépens). Les expériences, c’est très bien, … mais en laboratoire, pas à l’échelle d’un pays!

  4. La seule question que devraient se poser les Suisses est: est-ce que notre pays va mal ou plutôt bien en comparaison internationale?. Si la réponse est “plutôt bien”, pourquoi risquer de mettre en péril les conditions-cadres qui ont permis cette durable prospérité (comme les Britanniques sont en train d’en faire la dure expérience)? Une expérimentation hasardeuse peut être envisagée dans le cadre d’un laboratoire mais pas au niveau d’un pays!

  5. La seule question que devraient se poser les citoyens suisses avant de voter fin novembre prochain est la suivante: notre pays va-t-il mal ou plutôt bien (la perfection n’existant pas en ce monde) en comparaison internationale? Si la réponse est “plutôt bien”, alors est-il bien judicieux de mettre en péril les conditions-cadres qui ont assuré cette prospérité (comme, de leur côté, les Britanniques sont en train de l’expérimenter)? Les expérimentations hasardeuses peuvent à la rigueur se comprendre en laboratoire, mais pas à l’échelle d’un pays!

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