Les glaciers de la discorde

Dépendance énergétique

Gazprom. Premier exploitant et exportateur de gaz au monde. Dans les années 1990, Boris Elstine avait privatisé cette société. Au milieu des années 2000, Vladimir Poutine l’a renationalisée pour en faire une arme stratégique. À ce jour, l’Etat russe détient plus de 50% du capital de la société. La mainmise de Gazprom n’a cessé de s’étendre. À tel point que la Finlande ou les Etats baltes dépendent désormais exclusivement de la société gazière pour leur approvisionnement en électricité. Les enjeux économiques sont tels que tous les moyens sont bons pour pénétrer de nouveaux marchés.

 

Laissez-faire, laissez-passer ?

C’est dans ce contexte géopolitique qu’intervient le projet du Conseil fédéral de libéralisation totale du marché de l’électricité jusque vers les ménages et petits consommateurs (consommation inférieure à 100 MWh/an). Au prétexte d’un alignement sur la politique de l’Union européenne et d’hypothétiques baisses de prix pour le consommateur, la Suisse n’aurait d’autres choix que celui d’une ouverture complète de son marché de l’électricité.

 

Stratégie énergétique 2050

Ces velléités de libéralisation totale cadrent mal avec la Stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral, qui doit permettre la création de plusieurs milliers d’emplois dans les énergies renouvelables et la réduction de nos émissions de CO2. Comment la Suisse pourra-t-elle concilier une ouverture complète de son marché de l’électricité avec les intérêts de groupes industriels étrangers, dont notre stratégie d’investissement dans les énergies renouvelables est très éloignée de leurs priorités ?

 

Force Hydraulique

Pour le gouvernement vaudois, « l’ouverture totale du marché de l’électricité met en danger le parc de production hydroélectrique dont la Suisse a besoin pour réussir la transition énergétique ». Depuis 2008, les prix de l’électricité n’ont cessé de chuter. Cette baisse des prix rend moins attractifs les investissements dans les grands projets hydrauliques, dont les retombées économiques nécessitent une vision à moyen ou à long terme. À tel point qu’à fin 2013, deux grands projets d’exploitation hydraulique dans les Alpes – Grimsel 3 et Lago Bianca – étaient suspendus.

Jusqu’au début des années 1970, l’énergie hydraulique composait le 90% de l’énergie produite en Suisse, aujourd’hui elle n’en représente plus que le 56%. La sortie du nucléaire passe par un renforcement de notre production hydraulique. Dans un secteur extrêmement concurrentiel, la Suisse doit se donner les moyens de mener une politique qui exploite les atouts de sa topographie, celle de nos glaciers. L’ouverture complète du marché de l’électricité nous ferait courir un trop grand risque de dépendance énergétique. Il faudra le dire. Jusqu’au référendum.

Jean Tschopp

Juriste de formation, Jean Tschopp est l’auteur d’un livre sur l’accès aux ressources et aux matières premières (Statut et droits collectifs des peuples autochtones, Stämpfli, 2013). Titulaire d’un doctorat en droit international de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), il est depuis 2012, député socialiste au Grand conseil vaudois et vice-président de Groupe depuis 2016. Parallèlement, Jean Tschopp exerce comme responsable conseil (service juridique) à la Fédération romande des consommateurs (FRC)