Vers une politique des matières premières

Si la Suisse est devenue une destination de choix pour les sociétés actives dans le courtage des matières premières, au niveau politique, la prise de conscience des enjeux entourant ce sujet n’en est qu’à ses premiers frémissements.

A la faveur d’accords d’exonérations et d’optimisations fiscales, la Suisse a attiré sur son sol une concentration record de sociétés leaders dans l’extraction ou le négoce du pétrole, du zinc, du cuivre ou de l’aluminium: Mercuria, Trafigura, Vale, Vitol ou encore Glencore-Xstrata, premier négociant mondial de matières premières. En 2013, cette dernière réalisait un chiffre d’affaires estimé à 217 milliards de dollars, plus du double de celui de Nestlé ou encore le triple des dépenses annuelles de la Confédération.

La responsabilité de Glencore-Xstrata est en cause dans plusieurs scandales associant dommages irréversibles pour l’environnement et exploitation humaine à grande échelle. En 2013, l’activité d’une usine hydroindustrielle dans le bassin du Congo faisait apparaître des rejets d’acide sulfurique dans la rivière Luilu contaminant la population locale. Au Katanga, l’extraction de minerai de cuivre par Kamoto Cooper Company, filiale de Glencore-Xstrata implique toujours le travail de plusieurs enfants.

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Les enjeux entourant le négoce des matières premières réunissent l’essentiel des missions constitutionnelles de la Confédération en matière de politique étrangère: préservation des ressources naturelles, lutte contre la pauvreté, promotion des droits humains et de la démocratie. Pourtant, le rapport de 2013 du Conseil fédéral sur les matières premières passait ses obligations sous silence. La plupart des recommandations du rapport se limitent à accompagner des initiatives internationales multilatérales à l’issue incertaine. Pourtant, l’établissement de ces multinationales en Suisse en fait un sujet de politique intérieure. Alors que nos conseillers fédéraux se bousculent pour participer au Forum de Davos, aucun d’entre eux, du propre désaveu des participants, n’intervenait au premier sommet mondial des multinationales des matières premières, tenu à Lausanne en avril 2013.

Pour le printemps 2014, le Conseil fédéral a promis des mesures concrètes pour faire la lumière sur ce secteur ombrageux. Dont acte. Nos ministres ne pourront pas éternellement différer le moment attendu pour mettre les multinationales actives dans l’extraction et le négoce des matières premières, face à leurs responsabilités.

Jean Tschopp

Juriste de formation, Jean Tschopp est l’auteur d’un livre sur l’accès aux ressources et aux matières premières (Statut et droits collectifs des peuples autochtones, Stämpfli, 2013). Titulaire d’un doctorat en droit international de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), il est depuis 2012, député socialiste au Grand conseil vaudois et vice-président de Groupe depuis 2016. Parallèlement, Jean Tschopp exerce comme responsable conseil (service juridique) à la Fédération romande des consommateurs (FRC)