COVID et Grande Guerre

Il existe des analogies intéressantes entre la COVID et la Grande Guerre qui ne renvoient pas uniquement aux différentes vagues de la grippe espagnole ou au nombre de victimes. Ainsi, nos gouvernements actuels ont fait preuve d’impréparation, malgré des alertes répétées. Comme leurs prédécesseurs en été 1914, ils ont été surpris par une tragédie dont l’étendue, la durée et l’impact ont été initialement sous-estimés.

L’archiduc François-Ferdinand fut le patient zéro d’une interminable liste de morts tombés sur le champ de bataille.

L’attentat du 28 juin 1914 à Sarajevo n’aurait jamais dû déclencher une guerre mondiale. Cette dangereuse illusion avait bercé le Concert européen des Nations au cours de cet été fatidique. Il avait fait preuve d’un somnambulisme coupable, malgré les risques avérés d’une rapide escalade militaire. L’archiduc François-Ferdinand fut le patient zéro d’une interminable liste de morts tombés sur le champ de bataille. En 2019, il aura suffi qu’un malheureux pangolin infecté par une chauve-souris finisse dans une casserole pour déclencher une crise planétaire. Pourtant, les menaces d’une pandémie liées à la transmission d’un virus animal chez l’Homme avaient été identifiées depuis longtemps, mais aucune action préventive digne de ce nom n’a été prise.

En août 1914, les soldats étaient partis dans l’illusion d’une guerre courte et d’un retour rapide. Au printemps 2020, le confinement devait être bref. Depuis lors, nous vivons une série de restrictions dont personne ne voit encore la fin. Comme pour la trève de Noël 1914 dans les tranchées, le déconfinement de l’été dernier n’aura été qu’une brève parenthèse.

La Grande Guerre a non seulement provoqué une boucherie, mais elle a anéanti des empires, redessiné la carte du monde et relégué les Puissances européennes en ligue inférieure. En 2021, des pans entiers de l’économie risquent l’écroulement. Le paysage socio-économique post-COVID s’en trouvera dévasté.

En 1919, de graves troubles sociaux avaient précipité les armistices. En 2021, qui sont les Spartakistes et les Corps francs contemporains ? Des manifestations populaires s’organisent pour dénoncer les mesures prises par les gouvernements dans leur lutte anti-COVID. Vont-elles ébranler l’ordre établi ?

La fin de la guerre propulsa les États-Unis au rang de nouvelle superpuissance mondiale, amorça le déclin irréversible d’une Europe exsangue et provoqua la disparition des empires russe, ottoman, austro-hongrois et allemand.

À ce jour, seuls les pays en Extrême-Orient sont parvenus à affronter la pandémie sans trop de casse, alors que l’Occident s’empêtre dans une crise sans fin. Assisterions-nous donc au point d’inflexion des démocraties libérales sur la scène internationale ? Un nouvel ordre mondial émergera-t-il des ravages économiques et politiques provoqués par une pandémie tenace ? Si oui, lequel ?

Les alliés avaient gagné la guerre, mais auront perdu la paix

En 1919, les traités de paix avaient créé les prémices d’une nouvelle apocalypse encore plus dévastatrice que la première. Les alliés avaient gagné la guerre, mais auront perdu la paix. Dans leur obsession de revanche, ils avaient ignoré le ressentiment des vaincus facilement exploités par les partis de la guerre et de la violence.

En 2021, le vaccin nous donnera la victoire contre le virus, condition nécessaire, mais pas suffisante, pour rebâtir durablement nos sociétés. Les victimes collatérales du coronavirus sont trop nombreuses pour être négligées dans toute stratégie de récupération économique. Nos classes politiques, confrontées à un désastre mondial sans précédent depuis 1945, devront faire preuve de discernement. La sortie de crise ne peut laisser aucune place à des calculs politiciens. Il n’est tout simplement pas réaliste d’envisager le retour à un statut quo ante; la pandémie a creusé des inégalités sociales trop profondes, potentiellement explosives. Les bourses à leur plus haut niveau historique n’enrichissent qu’une minorité, laissant derrière elles un paysage économique dévasté. Il sera impératif de reconstruire nos sociétés post-COVID de façon plus égalitaire, sans ignorer les perdants de la pandémie. Sinon, on aura beau avoir terrassé ce maudit virus, tôt ou tard, le ressentiment des vaincus de la COVID explosera. Comme après 1919.

Fin de l’analogie !

 

Jean-Noël Wetterwald

Jean-Noël Wetterwald a travaillé 34 années pour le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés. Il a servi au Vietnam, au Cambodge, à Hong Kong, au Chili, au Guatemala, en Colombie, en Bosnie et plus récemment en Ukraine. Il a publié trois livres: d'exils, d'espoirs et d'aventures en 2014,le Nouveau roi de Naples en 2017 et tout récemment : témoin d'une déchéance. Contributions occasionnelles à la page d'opinions du «Temps». Il est aussi débriefeur à Canal 9.

9 réponses à “COVID et Grande Guerre

  1. J’attends le premier qui fait la comparaison avec le déclin de l’empire romain… zut, c’est moi.

    C’est pas fini de se chercher des certitudes dans le passé pour trouver le courage d’affronter le présent ?

    1. Ce n’est pas le présent que nous avons peur d’affronter, c’est le futur.

      L’incident du 6 Janvier à Washington n’est que la partie visible d’un iceberg qui recouvre presque tous les pays de la planète. Il a suffi de quelques excités pour mettre au grand jour l’existence, qu’on préférait ignorer, d’une très forte proportion d’Américains favorables à l’extrême droite depuis des générations.

      Et ce phénomène ne concerne pas seulement les USA.

    2. Désolé, c’était déjà fait en 2017.

      Je vous renvoie à la lecture du livre de Kyle Harper The Fate of Rome (Le destin de Rome) ou titre en FR «Comment l’Empire romain s’est effondré».

      Une analyse de la conjonction de nos préoccupations actuelles, les changements climatiques et la peur des pan-(épi-) démies (Ebola, Covid-19) sur le monde dans lequel nous vivons.

  2. Le COVID est le premier grain permettant de se faire une idée comment la bateau affrontera la prochaine tempête droit devant. Ouais, c’est pas terrible. On se confine en attendant que l’industrie privée nous sauve… Les états se sont fait rouler dans la farine une première fois avec le Remdesivir, ils se font rouler une second fois avec des précommandes de vaccins que la pharma préfère livrer au plus offrant… Pendant que les enchères montent, on attend bien confiné. Sûr! Y quelque chose qui cloche au royaume néolibéral.

  3. C’est triste, mais l’histoire se répète.
    Sans doute avons-nous de multiples vies, jusqu’à ne pas les répéter???

  4. En 1969, la grippe de Hongkong avait fait environ 40 000 mort en France , ceci dans une saine indifférence qui a permis à cette génération de vivre avec intensité. Aujourd’hui, avec seulement 30 000 morts de plus ( a mettre en lien avec la démographie) , les états détruisent nos libertés et l‘intensité de vie des jeunes.

    Le virus est dans nos relations avec la mort et la liberté. Le virus se loge dans nos têtes et rogne le contenu des culottes de nos dirigeants pour qui il est plus aisé d asperger la Société avec des mesures globales que ciblées.

    1. Le contexte est totalement différent. En 68-69, on allait sur la Lune et on croyait que tout était possible. On ne pouvait pas médiatiser une épidémie qui risquait de tout gâcher.

      En 2019-21 la situation est diamétralement opposée. Plus personne ne croit encore que tout sera possible et la conduite de nos dirigeants a fait perdre toute confiance en un système qui paraît sclérosé à la plupart.

      Alors qu’en 69 on offrait à nos enfants un avenir technique, scientifique et culturel riche de tous les espoirs, aujourd’hui, nous ne leur offrons que des téléphones et des réseaux prétendus sociaux dont ils commencent à se rendre compte qu’il s’agit, en réalité, d’une nouvelle Gestapo.

      Nous avons donc besoin de la pandémie pour dissimuler tout ce qui est encore pire.

  5. Sur l’impréparation des gouvernements à faire face à la crise sanitaire actuelle comme aux deux guerres mondiales, ne devrions-nous pas laisser aux historiens à venir le soin d’en débattre? Quant au déclin des civilisations, est-ce un thème si nouveau? N’était-il pas déjà au centre de l’oeuvre de l’un des plus éminents parmi ces derniers, Arnold Toynbee?

    De plus, comparer les laissés pour compte de la crise actuelle à ceux de 1919 et de 1945 n’est-il pas un peu gratuit? En 1919, l’Allemagne, avec son économie en ruines, subissait les conséquences du Traité de Versailles, qui lui imposait de rembourser une dette colossale et l’interdiction de réarmer, tandis qu’elle voyait la Ruhr occupée par les vainqueurs. Un peuple entier avait été dépossédé de ses droits et humilié. Vae Victis!, dit le proverbe. Quoi de comparable avec les quelques pans de l’économie – restauration et hôtellerie, sports et culture – paralysés par la crise actuelle?

    En revanche, un virus invisible de moins d’un dix-millième de millimètres aura réussi à mettre à genoux en quelques semaines la moitié de l’économie mondiale et à confiner 3’5 milliards d’individus, ce qu’aucune armée, aucune puissance n’a encore réussi à faire. Si on doit reconnaître à la pandémie un caractère historique, n’est-il pas d’abord là?

    Enfin, si quelques pans, tout de même minoritaires, de l’économie et de la société en paient le fardeau le plus lourd, si la quasi totalité du trafic aérien, routier et maritime est en mode “stand-by”, cette crise, comme toutes les crises, n’offre-t-elle pas une occasion unique de repenser les normes socio-économiques en vigueur jusqu’ici? Certains secteurs s’en sortent même fort bien: l’agro-alimentaire, la pharma, les énergies renouvelables et surtout l’informatique – déjà sortie grande gagnante de la Seconde Guerre Mondiale. S’il y a un parallèle à faire entre celle-ci et la crise sanitaire, n’est-ce pas là qu’il faut le chercher?

    1. Je vous remercie d’avoir pris le temps de répondre à mon article.
      Il y aura bien évidemment un temps pour les historiens, une fois que nous serons sortis de la crise. Malheureusement, pour le moment nous y sommes encore en plein dedans.
      Une analogie n’est pas unique. J’en ai choisi une, il en existe d’autres,sans nul doute plus pertinentes qui viennent enrichir le débat en échangeant nos opinions sur les enseignements que peut nous livrer l’Histoire.

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