La réforme du Brevet fédéral d’interprétariat concerne aussi les interprètes intervenant dans les auditions d’asile

Mon billet Asile: les superpouvoirs des interprètes a été mis en ligne le 16 mai 2019. Il faisait état de nombreux problèmes d’interprétation durant les auditions d’asile. Dans cet article, je suggérais que la Suisse suive l’exemple de nombreux pays européens en introduisant l’enregistrement audio des auditions d’asile. Je demandais également que les interprètes intervenant dans la procédure d’asile reçoivent une formation adaptée à la complexité de leur tâche. A l’époque, Michael Müller, Secrétaire général de l’association suisse INTERPRET, avait confirmé le besoin impératif d’une formation adéquate. 

 

Ces deux demandes ont été communiquées en janvier 2020 au Secrétaire d’Etat aux migrations (Mario Gattiker) dans une lettre signée par 66 experts de l’asile en Suisse dont de nombreux professeurs de droit, des avocats, des juristes et de nombreuses ONG. La réponse diplomatique de Mario Gattiker ne promettait rien. Selon lui, la Suisse dispose actuellement de l’un des meilleurs systèmes en Europe. Et pourtant, en 2021 il n’existe en Suisse toujours aucune formation pour cette catégorie d’interprètes et aucun moyen de vérifier la fidélité de la traduction lors des auditions (1). 

Accélérer la réforme du Brevet fédéral d’interprétariat

 

En collaboration avec le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation SEFRI, l’association INTERPRET travaille au projet de réforme du Brevet fédéral d’interprétariat. En effet, l’actuel  Brevet fédéral est limité à l’interprétation communautaire, c’est-à-dire celle pratiquée dans la santé, la formation et le social. La réforme doit donc intégrer deux autres domaines importants: l’asile et la justice (2). 

 

En 2019, le Secrétariat d’Etat aux migrations SEM m’informait qu’il prenait part au projet de réforme. Un des points délicat de la réforme concerne le rôle de l’interprète dans chaque domaine d’intervention. Si les interprètes communautaires sont  autorisés à avoir un rôle proactif pour garantir la compréhension mutuelle des parties, ceux qui interviennent dans les auditions d’asile font une interprétation consécutive pratiquement mot-à-mot. Ce n’est qu’exceptionnellement et avec l’autorisation préalable de l’auditeur du SEM que l’interprète est autorisé à recommander une clarification au requérant. Cette façon de procéder est aussi appliquée dans le domaine de la justice. Elle permet d’éviter, autant que possible, les apartés entre requérants d’asile et interprètes  dont les effets potentiels sur la décision d’asile ne doivent pas être sous-estimés. 

 

Néanmoins, il y a un juste milieu et Michael Müller estime que le nouveau Brevet fédéral doit inclure une formation de base solide pour tous les interprètes tout en intégrant la notion de rôle spécifique au domaine d’intervention:

 

Dans le projet de réforme du Brevet fédéral nous souhaitons surmonter ces différences de rôle car nous pensons que le travail d’un interprète ne varie pas tellement d’un domaine à l’autre. Nous sommes en train de créer un système de qualification “intégratif” qui correspond aux besoins et aux attentes de tous les domaines d’intervention.”

 

Maîtriser les langues ne suffit pas

 

Les interprètes sélectionnés par le SEM sont recrutés selon une procédure en plusieurs étapes qui inclut une évaluation des compétences linguistiques et une vérification des activités et des liens politiques du candidat. Le respect de règles de conduite durant les auditions est exigé des interprètes. On insiste notamment sur le devoir de neutralité bien qu’il soit, à mon avis, impossible à respecter en pratique. 

 

Pour l’instant, et depuis des années le SEM n’exige pas de formation particulière chez les interprètes qu’il recrute. Il évalue surtout les compétences linguistiques de la personne. Pourtant, le travail d’interprétation exige la maîtrise d’autres compétences comme le rappelle Michael Müller: 

 

En général, il y a une multitude de compétences que tous les interprètes doivent acquérir. Il faut maîtriser les deux langues, une langue nationale suisse et la langue étrangère, mais il est aussi crucial de maîtriser la technique de l’interprétation consécutive et la technique de la prise de notes. En plus, dans le contexte de l’asile, une bonne connaissance de la procédure et de la terminologie s’impose. Enfin, les interprètes doivent comprendre les limites de leur rôle et ce qui est en jeu pour le requérant d’asile.” 

 

Besoin de formation confirmé par une étude commandée par le SEM

 

En 2020, la section intégration du SEM a commandé une étude de marché sur l’interprétariat communautaire afin de prévoir le futur des Programmes d’intégration cantonaux PIC (3). Cette analyse pointe des différences importantes dans la qualité des formations selon les cantons, les agences et les langues et confirme le besoin d’une réforme du Brevet fédéral actuel. 

 

Comme les auditeurs du SEM ne maîtrisent pas la langue étrangère parlée durant l’audition, il est d’autant plus important pour eux de pouvoir compter sur des interprètes irréprochables et compétents. Les auditions d’asile durent plusieurs heures durant lesquelles il est demandé aux requérants d’asile des précisions sur des événements traumatiques. Ils doivent eux aussi pouvoir compter sur des interprètes compétents et fiables. Ces deux dernières années de nombreux cas ont révélé des problèmes d’interprétation aboutissant à des décisions d’asile que le Tribunal administratif fédéral TAF a dû casser (4).

 

Il est grand temps pour le SEM de faire avancer non seulement le dossier du nouveau Brevet fédéral d’interprétariat mais aussi celui, impératif, de l’enregistrement audio des auditions d’asile. En janvier 2022, Madame Schraner Burgener prendra la tête du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), peut-être la promesse de futures décisions intelligentes pour améliorer la qualité de la procédure d’asile. 

 

Lire aussi: 

 

 

Notes:

(1) Lettre à Mario Gattiker (janvier 2019) 

(2) Nous ne parlons pas dans cet article de la formation destinée aux interprètes intervenant dans le cadre de la protection juridique des requérants d’asile. Parmi les 11 institutions de formations reconnus par Interpret SA, deux d’entre elles (Caritas Schweiz Fachstelle Integration et SAH Schaffhausen, en allemand) proposent actuellement le module 4A (Interprétariat dans le cadre de la consultation juridique dans la procédure d’asile) et Caritas Suisse (Fribourg) travaille avec des interprètes qui ont tous déjà reçu cette formation. 

(3) Dans les programmes d’intégration cantonaux (PIC) un aspect des subventions fédérales concerne l’interprétariat communautaire. 

(4) Arrêt du TAF E-2274/2017 du 10.4.2019. Voir aussi l’arrêt E-1928/2014 du 24.7.2014. Et plus récemment D-6877/2019 du 17.2.2020.

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.