Fady Aljasem vient de soumettre une plainte contre la Grèce au Comité des Nations Unies pour les droits de l’homme pour violation de son droit à la vie, actes de torture et traitements inhumains et dégradants mais aussi pour tentative de disparition forcée contraire à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (ICPPED) (1).
Christiane Amanpour, Kyriakos Mitsotakis et Fady Aljasem
En août 2020, la journaliste Christiane Amanpour (CNN) interrogeait le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis sur les allégations de refoulements illégaux de migrants vers la Turquie. Exécutés par des policiers et gardes-frontières grecs en pleine mer et le long de la rivière Evros/Meriç, ces opérations de “pushback” sont documentés depuis des mois. Les agents de Frontex y prendraient d’ailleurs activement part. Mais, Kyriakos Mitsotakis a nié en bloc. Il ne peut plus le faire à présent. Les rapports, les témoignages, les plaintes pleuvent à l’encontre des gardes-côtes, gardes-frontières et policiers grecs. Frontex est aussi la cible d’une enquête interne, exigée par la Commission européenne. Le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe (CPT) vient de publier un rapport consternant sur le système de détention des migrants en Grèce et sur la pratique des refoulements.
Mais c’est le parcours de Fady Aljasem qui montre le mieux les pratiques sordides et criminelles des policiers grecs aux frontières. Son témoignage comme beaucoup d’autres a fait l’objet d’une analyse minutieuse de l’institut Forensic Architecture spécialisé dans la reconstitution des faits sur la base d’auditions, de données mobiles et d’images satellites.
L’histoire de Fady
L’auteur de cette plainte, Fady Aljasem est un réfugié syrien de 26 ans établi en Allemagne depuis 2015. Il vient de Deir az-Zour, une ville qu’il a fui après l’arrivée de Daech. En novembre 2016, il décide de partir en Grèce pour retrouver son frère de 11 ans, porté disparu aux alentours de Didymotique dans le district de l’Evros au nord-est du pays. Pour faire le voyage, Fady a des papiers valides l’autorisant à voyager en toute légalité. Ses documents montrent qu’il a reçu le statut de réfugié en Allemagne et qu’il est donc établi légalement dans l’Union européenne.
Le 30 novembre 2016, il est interpellé par trois policiers grecs à la station de bus de Didymotique. Les policiers l’interrogent sur ses origines et examinent ses papiers mais ils décident de poursuivre l’interrogatoire au poste de police puis l’emmènent en minibus vers un lieu inconnu. Une baraque dans la nature. Là, ils lui confisquent son passeport, les clés de son appartement en Allemagne, son portefeuille, son téléphone. Les policiers grecs sont accompagnés d’hommes parlant l’allemand. Ils le placent en cellule avec d’autres personnes. Il y a des hommes, des femmes et des enfants. Une nuit, tout le monde est emmené sur une rive et quand le signal est donné, il est placé avec des dizaines d’autres personnes sur un bateau poussé vers la rive d’en face. Une heure plus tard, ils sont arrêtés par les militaires turcs. Cette première expulsion vers la Turquie a été entièrement reconstituée par Forensic Architecture.
En Turquie, Fady parvient à survivre sans papiers, sans argent et, la plupart du temps, sans abri. Il sollicite l’aide de l’ambassade d’Allemagne, sans succès. Après dix tentatives, il parvient enfin à traverser la frontière en décembre 2017. A Athènes, il rencontre un avocat recommandé par l’ONG Human Rights 360 qui l’aide dans ses démarches. En octobre 2019, trois ans après avoir quitter l’Allemagne, il obtient finalement un document de voyage pour l’Allemagne. En mai 2020, son permis de résidence allemand est renouvelé.
Selon Fady, les policiers l’ont arrêté, détenu et refoulé simplement parce qu’il était syrien et parlait l’arabe. Cette expérience le ronge et surtout elle a eu un effet dramatique sur sa santé. Fady a développé des problèmes cardiaques importants et vient d’être opéré. Son frère qui aurait 15 ans aujourd’hui est toujours porté disparu. Est-il décédé lors d’une opération de refoulement? C’est bien possible.
Quel rôle joue Frontex ?
Qui étaient les individus parlant l’allemand dans le centre de détention? L’enquête de Forensic Architecture se dirige vers le personnel de Frontex. L’agence européenne des garde-frontières et des gardes-côtes. Sur le terrain et sur mer, les agents de Frontex participent chaque jour à des arrestations aux frontières de l’UE. L’Agence a connaissance de refoulements illégaux mais elle est également impliquée dans ces refoulements. Une enquête du magazine allemand Spiegel l’affirme. Ces accusations ne sont pas nouvelles. En 2019, Frontex a été accusé de commettre des violences en Bulgarie, en Hongrie et en Grèce. La Commission européenne vient d’exiger une enquête et Frontex devra répondre aux questions du Parlement européen.
Cliquez sur l’image pour lire l’article.
- Greece faces legal action over alleged expulsion of Syrian to Turkey, The Guardian
- Communication to the United Nations Human Rights Committee In the case of FAJ against Greece Submitted for consideration under the Optional Protocol to the International Covenant on Civil and Political Rights to The United Nations Human Rights Committee
- Communiqué de presse de GLAN (en anglais)
- Pushbacks and Rights Violations at Europes Borders,State of Play in 2020 Refugee Rights Europe & End Pushbacks Partnerships.
- Ending violent pushbacks at the Greek-Turkish border
(1) Il est représenté par le réseau d’action juridique GLAN (Global Legal Action Network).