Le Conseil fédéral doit proposer une loi pour faciliter l’intégration des personnes admises à titre provisoire

La consultation lancée en août 2019 par le Conseil fédéral sur la modification de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) vient de prendre fin.  Sur la base des avis des cantons, communes, entreprises, partis politiques et ONG, le Conseil fédéral doit proposer une loi modifiée afin de faciliter l’intégration des personnes admises à titre provisoire (permis F) sur le marché du travail et diminuer leur dépendance à l’aide sociale. 

 

L’admission provisoire n’a rien de provisoire

 

L’admission provisoire est une mesure de substitution pour les décisions de renvoi qui ne peuvent être exécutées (1). Au cours des auditions d’asile, ces personnes n’ont pas démontré qu’elles étaient personnellement exposées à de sérieux préjudices (ou craignaient de l’être) en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques. Elles ont fui des conflits, des situations de violences généralisées ou des désastres naturels. Elles viennent en majorité de Syrie, d’Afghanistan, d’Erythrée et de Somalie. Pour ces personnes, l’exécution du renvoi est repoussé à une date indéterminée. L’admission provisoire n’est pas une autorisation relevant du droit des étrangers, c’est une mesure de substitution, une “autorisation de rester” d’une durée limitée de 12 mois renouvelable en attendant que le renvoi puisse être exécuté. Mais en réalité, la majorité d’entre eux restent durablement en Suisse. 

 

Source: Commentaire sur la statistique en matière d’asile pour l’année 2018, Secrétariat d’Etat aux migrations SEM

 

Le Conseil fédéral, les chambres, les partis politiques, les entreprises, les organisations non-gouvernementales planchent depuis 2016 sur différentes options afin de permettre leur intégration dans le marché du travail et réduire ainsi les coûts de l’assistance sociale. Les prises de positions de lOrganisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), l’Association suisse des Centres sociaux protestants (CSP Suisse) et Amnesty international  sont détaillées et expliquent pourquoi certains durcissements iront à l’encontre des intentions politiques et économiques initiales (2).  Résultats des courses: si le volet pour faciliter l’accès au marché du travail est généralement bien accueilli, l’interdiction inutile des déplacements à l’étranger provoque une levée de bouclier. Par ailleurs le terme d’ «admission provisoire» doit être remplacé par un terme plus approprié. 

 

Inutile d’interdire les voyages à l’étranger, ils sont déjà très limités

 

A l’instar des personnes qui bénéficient d’un statut de réfugié, celles qui sont admises provisoirement en Suisse n’auront plus le droit de voyager vers leurs pays d’origine ou vers les pays tiers (européens ou autre). L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), l’Association suisse des Centres sociaux protestants et Amnesty international considèrent cette interdiction disproportionnée et incompatible avec le respect des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution suisse (article 10 et 14) et la Convention européenne des droits de l’homme (article 8).  La loi actuelle est déjà très restrictive et les permis de voyager avec octroi de visa de retour sont délivrés au compte-goutte. 

Il faut se rendre bien compte de ce que cela signifie concrètement : une famille syrienne de réfugiés de la guerre civile vivant en Suisse depuis sept ans – par exemple à Kreuzlingen – et ne pouvant pas rentrer dans son pays tant que dure la guerre n’aurait jamais le droit de rendre visite à ses proches en Allemagne ; les enfants de cette famille ne pourraient pas participer à une course d’école à Constance ; une femme ayant fui l’Afghanistan ne pourrait aller trouver son oncle malade en Italie”, précise l’OSAR dans son rapport. 

Durant les débats parlementaires, la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga  trouvait déjà l’idée inutile. Elle rappelait qu’en 2017 le nombre d’autorisations de voyage avait concerné seulement 184 sur 43 000 personnes admises à titre provisoire. Et puis il faut savoir que l’admission provisoire peut être levée à tout moment si la personne est retournée dans son Etat d’origine sans autorisation préalable (visa de retour) du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). 

L’Association suisse des CSP pense que le durcissement est contre-productif. En effet un voyage à l’étranger représente le seul moyen de garder un vrai contact avec la famille ce qui participe au bien-être psychique et facilite l’intégration des personnes dans le marché du travail en Suisse.  En outre, l’interdiction de voyager est absurde dans le contexte de l’espace Schengen et d’un système d’asile européen commun. Dans l’Union européenne, les personnes au bénéfice d’une protection subsidiaire reçoivent un document de voyage semblable à celui des personnes réfugiées reconnues. 

 

Autoriser les déménagements dans d’autres cantons lorsque des emplois et des formations sont accessibles 

 

Pour faciliter l’intégration professionnelle des personnes admises à titre provisoire, les changements de canton doivent être facilités. Le projet de loi prévoit un changement de canton possible lorsque la personne est totalement indépendante de l’aide sociale, lorsque le rapport de travail existe depuis au moins 12 mois et lorsque le trajet l’exige. Ces conditions risquent de rendre les choses pratiquement impossibles. En particulier, l’exigence de l’indépendance totale à l’aide sociale déplaît aux ONG mais les cantons craignent des coûts financiers en plus si ces conditions ne sont pas remplies. Dans sa réponse au Conseil fédéral, le Conseil d’Etat genevois a demandé que les cantons aient un droit d’opposition au transfert cantonal d’une personne qui leur ferait courir un risque financier important. 

 

“L’appel d’air”, cette phobie qui risque de tout foutre en l’air

 

Dans l’élaboration de nouvelles lois dans le domaine de l’asile, le spectre de “l’appel d’air” rôde sans relâche. C’est un risque réel pour certains mais c’est une phobie illusoire pour d’autres. Ceci étant dit, les restrictions des voyages, proposées afin d’éviter des abus, n’empêcheront pas les abus.  

Le problème comme l’explique bien l’Association suisse des CSP c’est que “l’avant-projet (de loi) est traversé par deux dynamiques: d’un côté il est question de faciliter l’intégration professionnelle en permettant le changement de canton, de l’autre il faudrait interdire aux mêmes personnes de voyager à l’étranger et d’entretenir des relations avec leurs proches. Ces deux dynamiques sont contradictoires, parce que les personnes au bénéfice d’une admission provisoire ont besoin de se sentir reconnues en tant qu’êtres humains titulaires de droits en Suisse pour poursuivre leur intégration.”

Enfin, ce terme “admission provisoire” induit les entreprises en erreur et doit être modifier. Le Conseil fédéral résiste pour les mauvaises raisons (“trop compliqué de trouver un terme qui convient dans les trois langues”) alors qu’il produit régulièrement de nouveaux termes sans en faire un plat. Le terme « admission à titre humanitaire » a souvent été évoqué et reflète mieux la réalité tout en étant propice à l’intégration. L’association patronale de l’hôtellerie “GastroSuisse” dont la branche emploie un tiers des travailleurs admis provisoirement estime que de nombreux employeurs font preuve de retenue quand il s’agit d’engager des détenteurs du permis F. Dans une prise de position séparée GastroSuisse réclame aussi des mesures pour que les employeurs suisses soient mieux informés sur le sujet des possibilités de recrutement de personnes dans le domaine de l’asile. 

 

 

Lire aussi:

Pas de nouveau statut pour les personnes admises provisoirement, Le Temps, 29 août 2017

Restrictions des voyages à l’étranger des permis F | Opposition des milieux de l’asile, Plateforme d’information sur l’asile, 22 novembre 2019

 

Notes :

(1) Les modifications proposées concernent les personnes admises à titre provisoire (permis F) mais sans statut de réfugié. A fin juin 2019, il y avait en Suisse 10 048 autres réfugiés admis à titre provisoire bénéficiant de meilleurs conditions. Ce sont des personnes dont la qualité de réfugié a été reconnue mais auxquelles l’asile a été refusé pour cause d’indignité (art. 53 de la loi du 26 juin 1998 sur l’asile , LAsi) ou de motifs subjectifs survenus après la fuite (art. 54 LAsi). Un motif subjectif survenu après la fuite est établi lorsque le comportement d’une personne à l’étranger expose celle-ci à des persécutions dans son pays de provenance ou d’origine. Du fait des droits qui leur sont conférés en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, les réfugiés admis à titre provisoire sont mieux lotis en matière d’aide sociale et de mobilité que les autres personnes admises à titre provisoire. 

(2)

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

Une réponse à “Le Conseil fédéral doit proposer une loi pour faciliter l’intégration des personnes admises à titre provisoire

  1. Cher ami fraternel,
    Vous vous maintenez illégalement dans mon domicile? Mais soyez le bienvenu! Et je m’en vais de ce pas vous nourrir, vous donner de l’argent de poche et vous financez intégralement une formation. Ce serait quand même dommage que vous preniez un emploi non qualifié; c’est mon devoir de vous soutenir, puisque vous vous êtes introduit clandestinement dans mon domicile, pour que vous puissiez concurrencer mes enfants sur le marché du travail.

    Tiens, en parlant de mon fils aîné, quel fainéant!, il ne fait que deux jobs pour se payer des études… et il s’est cru autoriser à demander une bourse….pfff, quel boulet!

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