C’est dans l’intérêt de la Suisse de participer au mécanisme de répartition des rescapés en Méditerranée

Une motion intitulée « Urgence humanitaire en Méditerranée. Pour que la Suisse soit solidaire du mécanisme coordonné de répartition post-débarquements » vient d’être déposée au Parlement fédéral par six membres du Conseil national (1). Cette motion demande à la Suisse d’accueillir 2% des personnes rescapées en Méditerranée et de participer ainsi au mécanisme d’attribution automatique souhaité par plusieurs Etats européens.

Dans un communiqué de presse, SOS MEDITERRANEE Suisse précise que le dépôt de la motion intervient alors que les autorités italiennes viennent juste d’assigner Lampedusa comme lieu sûr de débarquement pour les 82 rescapés secourus par l’Ocean Viking lors des deux dernières opérations de sauvetage. Le navire est le premier à être autorisé à débarquer des personnes depuis  la fermeture des ports italiens il y a 15 mois.

Depuis longtemps les organisations de sauvetage en mer et plusieurs Etats européens (France, l’Allemagne, l’Espagne) recommandent la mise en place d’un mécanisme de débarquement pérenne et coordonné impliquant le transfert des rescapés vers les pays de l’Union européenne selon une clé répartition précise. L’Italie réclame un tel système beaucoup plus juste et solidaire. De son côté, le Ministre de l’intérieur allemand, Horst Seehofer (CSU) a récemment évoqué une participation à hauteur de 15% dans ce mécanisme qui sera discuté lundi 23 septembre à Malte.

Pour Caroline Abu Sa’Da, directrice générale de SOS MEDITERRANEE Suisse «Chaque jour de blocage en mer est un jour de trop (…) Cette situation de gestion « au cas par cas » qui prévaut depuis 15 mois ne peut plus durer. Nous attendons des Etats du continent européen, qui se réunissent à Malte lundi 23 septembre, qu’ils s’accordent sur la mise en place d’un mécanisme de débarquement coordonné, prévisible et pérenne. La Suisse a, elle aussi, un rôle à jouer. Faisant partie de l’espace Schengen et finançant l’agence Frontex comme le reste des pays européens, la Suisse pourrait se montrer solidaire de ces Etats. Elle peut participer au mécanisme de répartition, comme le souligne la motion déposée aujourd’hui au Parlement fédéral, et soutenue par une large majorité des partis politiques suisses. Elle se montrerait ainsi à la hauteur de sa tradition humanitaire en nous aidant à sauver des vies en mer ». 

Le Conseil fédéral aurait tort de tourner le dos à cette motion. Ce serait aussi assez lâche vis-à-vis de nos voisins européens. Les Accords de Dublin permettent à la Suisse de renvoyer chaque année des milliers de requérants d’asile vers l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne et d’autres pays européens sans examiner leurs motifs d’asile (1). La Suisse fait partie de l’espace Schengen. Elle finance l’agence Frontex chargée de la surveillance des frontières européennes.

Et puis, l’Union européenne se dirige vers un rééquilibrage de la charge en matière d’accueil des requérants d’asile, le système Dublin tel qu’il fonctionne aujourd’hui est destiné à disparaître au profit d’un système d’attribution proportionnel sur le modèle suisse. Le Conseil fédéral a le choix aujourd’hui de proposer sa contribution solidaire en acceptant d’accueillir 2% des personnes rescapées en mer. Elle doit aussi participer activement à la mise en place d’un système d’attribution proportionnel au niveau européen. A défaut, la Suisse sera bientôt dos au mur et les gouvernements européens lui imposeront un pourcentage précis qui pourrait  être bien plus élevé.

 

Lire aussi:

France et Italie à l’unisson pour la répartition des migrants en Europe, LE TEMPS, 19 septembre 2019

 

(1) En se fondant sur cet accord, la Suisse a pu transférer à d’autres États Dublin, depuis 2009, un nombre notablement plus élevé de personnes (29 955) qu’elle n’a dû elle-même en admettre (6626). Chiffres donnés par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM): voir les statistiques 2018 en matière d’asile ici.

Aldo Brina | Accord de Dublin : des milliards d’euros (et de francs suisses) partent en fumée

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

3 réponses à “C’est dans l’intérêt de la Suisse de participer au mécanisme de répartition des rescapés en Méditerranée

  1. Je pense que c’est effectivement un système acceptable et j’y suis favorable même si je vois d’un mauvais œil l’immigration en provenance du Sud de la méditerranée.

    Mais lorsque l’on parle d’accueillir des rescapés selon une clé de répartition, il s’agit concrêtement de les admettre sur le territoire afin d’examiner la légitimité de leur demande d’asile, n’est-ce pas ? Votre billet ne le précise pas. Or, il est à mon sens souhaitable que tant les migrants que les citoyens en Suisse soient conscients de cet aspect. Les migrants afin qu’ils ne partent pas du principe qu’être secourus signifie être acceptés, et les citoyens (et politiciens) en Suisse pour qu’ils acceptent plus facilement le mécanisme proposé.

    J’aimerais rajouter que la tradition humanitaire mentionnée de façon redondante dans les médias et en politique S
    suisse a pour vocation, à mes yeux, de venir en aide à ceux qui en ont besoin. Le problème avec la migration actuelle, c’est qu’il est très difficile de définir si l’on est en présence d’un migrant qui a besoin de l’asile ou qui recherche uniquement une vie meilleure. Un article ou un blog dans le Temps mentionnait récemment des chiffres de l’ordre de 47’000 migrants actuellement en Libye remplissant les conditions d’asile, et 500’000 cherchant à fuire une situation difficile mais néanmoins sans remplir les conditions pour obtenir l’asile. L’argument de la tradition humanitaire n’en est donc pas un.

  2. Il est dans l’intérêt de la Suisse qu’il n’existe aucune incitation à recourir à des passeurs pour venir illégalement en Suisse et risque sa vie durant le trajet.
    https://www.rts.ch/info/suisse/10726323-un-haut-responsable-suisse-critique-la-politique-dasile-europeenne.html

    Mesures:
    1. Reconduite systématique des naufragés vers un port sûr en Afrique du Nord (=supprimer toute incitation à recourir à des passeurs);
    2. Examen sous 3 mois de leurs motifs d’asile dans un centre d’asile dans ce port sûr (= confirmer notre volonté que seules les personnes qui remplissent les conditions de l’asile soient accueillies en Europe) ;
    3. Clef de répartition des personnes reconnues comme réfugié;
    4. Reconduite systématique des déboutés dans leur pays d’origine;
    5. Sanctions économiques contre tout état dont le taux d’asile dépasse quelques pourcents ou refusent de reprendre ses propres ressortissants;
    6. Refus d’ouvrir une procédure d’asile pour toute personne qui ne présente pas des documents attestant de sa nationalité.

    Oui, obtenir un port sûr en Afrique du Nord et y loger les candidats à l’asile pendant trois mois, aura un coût. Mais ce coût est supportable, financièrement et politiquement. C’est à ce prix qu’on arrêtera de voir les requérants d’asile comme des profiteurs qui enrichissent des mafias internationales pour concurrencer nos enfants sur le marché du travail ou bénéficier des allocations sociales dans le rouge…

    Il n’existe aucune argumentation de bonne foi contre mes propositions.

  3. Qu’en pensez-vous ?
    https://www.20min.ch/ro/news/monde/story/Certains-refugies-paient-pour–tre-detenus-en-Libye-31620719

    “Certains réfugiés paient pour être emmenés dans des centres de détention surchargés en Libye. Ils pensent pouvoir être mieux protégés ou plus facilement relocalisés vers un Etat tiers, a dit jeudi à Genève un responsable du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR).”

    Bon, du coup, je crois que je vais dormir ce soir un peut moins naïf…

Les commentaires sont clos.